Rendez-vous fin juin pour la date d’annonce de la flexibilisation des changes, a promis Abdellatif Jouahri, le 20 juin lors d’une importante conférence de presse. Mais d’ici les quelques jours qui nous séparent de cette date, le gouverneur de la Banque Centrale du Maroc, acquis à la théorie de Milton Friedman sur les bienfaits de la flexibilité des taux de change, doit reconsidérer les paramètres de l’équation.
Tout, y compris les calculs rigoureux qui lui avaient indiqué qu’il n’y aura pas de dévaluation si la monnaie marocaine abandonnait -sous les injonctions du FMI?- son vieux système de change fixe et de limitation des sorties de devises pour un système libéralisé. Les agences de notation à l’instar de Fitch avaient produit des rapports rassurants, évoquant la « sérénité du marché ». C’est le contraire que l’on observe.
En réalité, le gouverneur à l’instar de tous les économistes, refuse d’admettre que dans l’échange, il n’y a pas que l’économie. Le passage d’une monnaie fixe à une monnaie flexible n’est pas qu’une question de fondamentaux. Si tel était le cas, le grand crash de 1987 n’aurait pas eu lieu.
Avant l’annonce du change flottant, le royaume avait cumulé 7 mois et demi (250 milliards dirhams, soit 25 milliards d’euros) d’importations. Le pétrole bas avait éloigné tout risque d’aggravation du déficit commercial, structurellement déficitaire.
Mais entre la première annonce de l’introduction du change flottant et la dernière Conférence de presse du gouverneur de la Banque Centrale du Maroc, le 20 juin 2017, le monde a changé. D’abord une conjoncture politique devenue explosive dans le Golfe et aux conséquences prévisibles sur le cours du pétrole. Ensuite, une attitude légitime des agents économiques qui ont cru bon d’anticiper une décision importante en couvrant leurs marges.
Les achats massifs de devises à raison d’une moyenne de 1,2 milliard de dirhams par jour durant le denier mois ont alerté le comité monétaire de Bank Al Maghrib. Entre mai et juin, 44 milliards de réserves de change ont ainsi fondu..
Tout porte à croire, que cette vénérable institution dirigée par l’un des banquiers les plus expérimentés de sa génération n’avait pas pris en compte un détail : le facteur psychologique qui, dans le cas d’espèce, est beaucoup plus important que des fondamentaux au demeurant solides.
La peur fondée ou non (ce n’est pas important) a provoqué l’érosion des réserves de change ramenées à 6 mois d’importation. Le gouverneur de la Banque Centrale a envoyé des émissaires aux banques commerciales, téléphoné aux présidents des banques, exprimé sa désapprobation et menacé de sanctionner.
« Les opérateurs économiques vont se rendre compte qu’ils ont effectué des opérations de couvertures qui ne servent à rien », a notamment déclaré M. Jouahri visiblement surpris par le fait que le marché ne partage pas son analyse trop classique dans un monde post-subprime où un tweet de Donald Trump est plus influent sur le couple euro -dollar qu’une annonce de la BCE.
Comment peut-on reprocher à une banque d’anticiper et même de spéculer les tendances à la hausse ou à la baisse? « Il n’y aura pas de dévaluation, nous ne sommes pas dans une situation de crise de changes, nous sommes devant une opération de flexibilisation volontaire » a expliqué un Jouahri au fondamentalisme inoxydable.
Le gouverneur de la Banque Centrale qui a encore réitéré, qu’il n’y aura pas de dévaluation du dirhams semble oublier que ce n’est plus lui qui décide désormais du cours de la monnaie. Ce ne sont pas non plus les fondamentaux qui seront les seuls à déterminer la valeur de la devise du royaume mais, en partie et peut être pour beaucoup, quelques spéculateurs avisés dans les salles de marché et -facteur apparemment non pris dans les paramètres- la psychologie, le comportement des gens dans leurs peurs, leurs réactions face à l’intérêt, leurs désirs de défendre leurs avoirs bec et ongles et d’en engranger. Face à des enjeux de vie ou de mort, les traders des salles de marché ont le droit de ne pas faire de distinction entre régime de change et taux de change.
Oublie-t-on que lors du fameux jeudi noir de 1929 que c’est la traversée d’un chariot noir le long de Wall Street qui a causé plus de cessions de titres que la crise elle même ?
Khalid Berrada, Casablanca