Miguel Azevedo, Directeur Afrique pour la Banque d’Investissement de Citi, a rencontré Financial Afrik dans le cadre d’une tournée en Afrique de l’Ouest. Entretien exclusif.
Comment se présente l’Afrique d’une manière générale dans le regard des investisseurs globaux et des grandes banques ?
Il est clair qu’il y a une certaine transition perceptible dans le rythme de progression du continent africain. La période de forte croissance fait place à une phase de progression plus posée. Certains pays font face aux dévaluations de leurs monnaies et aux déficits budgétaires consécutifs de la chute des cours de matières premières et se voient dans l’obligation d’opérer des ajustements massifs. Mais les facteurs clés à avoir en tête dans l’analyse de l’Afrique reste la forte croissance démographique, l’urbanisation et, encore plus important en ce qui me concerne, la résilience et l’esprit entrepreneurial des africains en général. Les africains trouvent de l’énergie et de l’imagination pour contourner les obstacles et s’adapter à toute nouvelle donne, c’est formidable. Ce qu’on voit en Afrique de l’Est, de l’Ouest et du Nord, nous incitent à l’optimisme.
Comment Citi appréhende-t-elle la montée des risques liés aux dettes publiques et corporates africaines ?
Je ne le verrais pas sous l’angle de la montée des risques. En tant que banquier d’investissement, je préfère l’approche du couple risque-rendement. L’Afrique offre des rendements élevés qui correspondent à un certain niveau de risques. Le continent fait face aux risques internes et aux risques externes et exogènes. Ces derniers sont liés à la hausse des taux d’intérêt aux USA et en Europe, ce qui pousse les investisseurs globaux à désinvestir les marchés frontières et à rapatrier les fonds dans les marchés d’origine. Les risques endogènes sont liés aux politiques et aux choix des gouvernements qui ne doivent pas emprunter pour financer le déficit des budgets de fonctionnement mais plutôt pour investir. Le marché fait la différence entre ceux qui empruntent pour financer un projet spécifique et ceux qui empruntent pour entretenir des dépenses de fonctionnement. Les États et entités rationnelles, disposant de procédures claires et de projets concrets, trouveront facilement le moyen de lever des fonds. Le marché a de l’appétit pour les risques rationnels.
Donc, il n’y a pas de soucis à se faire quant à une désaffection des investisseurs pour les titres publics et privés africains ?
Pas du tout, et je vais vous donner deux exemples récents qui prouvent que les porteurs de fonds font une distinction claire entre les bons et les mauvais risques en Afrique. Il y a deux semaines (NDRL: l’interview a été réalisé le 21 février 2017), Citi a accompagné l’Etat fédéral du Nigeria pour une émission souveraine de 1 milliard de dollars sursouscrite à plus de de 7,5 fois en dépit des questions récurrentes autour de la dépréciation de la monnaie de ce pays, de la libéralisation et des déséquilibres économiques. Mais le gouvernement est parvenu à expliquer aux investisseurs sa vision et la rationalité de ses choix de développement. C’est la première fois qu’un pays de l’Afrique sub-saharienne a pu souscrire un emprunt libellé sur quinze ans. C’est un signal fort de la part des investisseurs. De même, en novembre dernier, IHS Towers, un groupe nigérian intervenant dans les infrastructures télécoms, a émis une obligation corporate de 800 millions de dollars qui a été entièrement souscrite. Il s’agit, pour le cas d’espèce, de la plus grande obligation corporate en Afrique subsaharienne hors Afrique du Sud. Les investisseurs sont motivés par les modèles de business et les choix rationnels qui déterminent la rentabilité des projets. Cet exemple montre l’attractivité des chantiers d’infrastructures sur le continent africain. Il s’agit d’infrastructure de base qui proposent des rendements -selon la loi des rendements décroissants – plus intéressants que les autres catégories d’infrastructures.
Quelle est la place de l’Afrique francophone dans les projections des investisseurs globaux et de la Citi?
Il n’y a pas de différence à mon avis entre l’Afrique francophone et l’Afrique anglophone. Les investisseurs cherchent des marchés bien gérés, avec un environnement économique favorable aux affaires, une garantie de protection des investisseurs, une stabilité monétaire. Bref, un certain nombre de critères attractifs pour l’investissement. Parfois, certains pays ont plus de faveurs que d’autres. En ce moment, les pays africains qui suscitent le plus d’intérêt auprès des investisseurs, sont le Sénégal et la Côte d’Ivoire. Si ces deux pays décollent, ils vont entraîner tous les autres dans leur sillage. En plus de ces deux pays, je citerai le Ghana qui bénéficie d’un a priori favorable suite à sa récente alternance politique et aux choix cohérents du nouveau gouvernement. Les premières décisions prises par ce gouvernement visant, notamment, à stabiliser la monnaie locale, le Cedis, ont été bien appréciées des investisseurs.
Quelle est la place de Citi dans le marché M&A des fusions acquisitions en Afrique?
Je vais être objectif. Nous travaillons avec nos partenaires africains, les aidons à développer des projets et à accéder aux marchés internationaux par l’émission des bonds, des actions ou par la recherche de partenaires. De l’autre côté, nous avons des clients globaux qui s’intéressent à l’Afrique, terre d’opportunités et qui cherchent à faire équipe avec des partenaires locaux pour faire des affaires. Notre rôle est d’établir des connexions entre ces différents profils et d’accompagner nos clients, africains et globaux, vers la réalisation de leurs objectifs. Cette démarche est parfaitement illustrée par la transaction que nous avons conclue il y a deux semaines en Afrique de l’Est entre la japonaise Kansai, leader mondial de la peinture automobile, qui a acquis un groupe de compagnies en Tanzanie, en Ouganda et au Kenya. Voilà quelques-uns des aspects de notre rôle. Il y a trois semaines, nous avons aidé Fairfax à lever 500 millions de dollars pour investir en Afrique. Nous pensons les aider à trouver des partenaires. Notre objectif c’est de bien faire notre travail, d’accompagner nos clients et de leur donner le maximum de satisfaction.
Êtes-vous donc leader des M&A en Afrique ?
Ce n’est pas le plus important à notre sens. Notre mission c’est de fournir un certain nombre de services à nos clients. Notre action s’apprécie dans la durée. Il y a plus 40 ans que nous intervenons au Sénégal et 25 ans en moyenne dans la plupart des pays où nous sommes présents. C’est toute une expérience et un savoir-faire qui sont développés par nos équipes. Quant au classement, il n’est pas le critère le plus pertinent. Je dirais qu’en 2016, nous avons réalisé un bon exercice. Pour 2017, les projections sont plus optimistes. Après une période de correction 2015-2016, l’Afrique repart en 2017. Il y aura plus de deals, plus de fusions-acquisitions et plus d’opérations cette année.
Quels sont les deals attendus en 2017?
Nous aurons plus de transactions en 2017. Le niveau de confiance est de retour. Sur une perspective de cinq ans, 2013 et 2014 étaient des années fantastiques. 2015 et 2016 étaient des années d’ajustement. Je pense qu’il y aura plus de transactions en perspective pour 2017. On n’a pas vu grand-chose en Afrique subsaharienne l’année dernière. Je pense qu’il y aura plus de transactions impliquant des fonds d’investissements qui viendront pourvoir en capitaux des sociétés africaines. Les secteurs de la finance, des télécoms et les activités touchant le consommateur final resteront, je le crois, les plus privilégiés auprès des investisseurs. Le marché sera plus sélectif dans l’ensemble mais restera favorable aux bons projets.
Propos recueillis par Adama Wade