Le secteur industriel ivoirien, l’un des plus denses de l’Union économique et monétaire Ouest -Africaine (UEMOA) , a entamé l’année 2024 avec une augmentation de 10% des tarifs de l’électricité. Financial Afrik analyse avec M. Louis S. AMEDE, directeur général de la Fédération Nationale des Industries et Services de Côte d’Ivoire (FNISCI), les perspectives découlant de cette évolution pour le secteur industriel ivoirien.
Dans sa traditionnelle note de perspectives de début d’année destinée à ses entreprises membres, la FNISCI a estimé que le défi majeur pour l’industrie ivoirienne en 2024 est la maîtrise des facteurs de production. Un engagement ?
Effectivement ! Il s’agit pour la FNISCI, dans le cadre de sa mission de veille, d’aiguillonner ses entreprises membres sur les évolutions de l’environnement économique, les défis qui en découlent et les ajustements qu’ils emportent pour elles à l’effet de maintenir un niveau de performance adéquat. Et pour 2024, le défi majeur pour le secteur industriel ivoirien sera de maîtriser les facteurs de production. Cela d’autant qu’il a entamé l’année avec une augmentation supplémentaire du coût de l’électricité de 10% dès le 1er janvier 2024. Cette hausse surprise décidée par le gouvernement en décembre 2023 avait été précédée quelques mois plus tôt, soit en juillet 2023, par une première augmentation de 10% et 15% en fonction de la puissance. L’électricité est un facteur de production essentiel dans l’industrie et, ce double relèvement des tarifs, a des répercussions directes sur les coûts opérationnels des entreprises. Pour préserver leur compétitivité, ces dernières devront nécessairement avoir une bonne maîtrise des facteurs de production clés que sont, certes l’énergie, mais aussi le capital financier, et la force de travail.
Et la FNISCI, dans son analyse, a tablé sur un renchérissement continu du coût de ces facteurs de productions ?
En effet ! Et les faits, au premier trimestre 2024 l’attestent! Pour en finir avec le facteur énergie, nous relevions que le niveau des prix de l’énergie (électricité et carburant) va rester élevé, cette année. Non seulement l’orientation des cours internationaux du pétrole conforte cette perspective. Mais, au plan national, le double engagement du gouvernement ivoirien auprès du Fonds monétaire international (FMI) d’agir de façon active pour résorber le déficit financier structurel du secteur ivoirien de l’électricité et de laisser, autant que faire se peut, les prix du carburant refléter les évolutions des cours sur le marché international, la consolide. S’y ajoutent les réels problèmes de fourniture régulière d’électricité avec lesquels les entreprises industrielles font depuis plusieurs mois actuellement. Conséquence, la facture énergétique des entreprises industrielles, au premier trimestre 2024, est, dans la plupart des cas, en hausse par rapport à la même période l’année dernière.
Vous avez identifié le capital financier comme un autre de ces facteurs clés devant impacter négativement les activités du secteur industriel ivoirien en 2024.
A ce sujet, nous avons porté à l’attention de nos entreprises industrielles membres qu’elles devraient continuer de faire, cette année aussi, avec des conditions financières toujours peu accommodantes pour ne pas dire onéreuses. De toute évidence, les coûts élevés de l’énergie (électricité et carburant) ainsi que les prix tout aussi élevés de certains produits alimentaires et d’usage courant, ne pouvaient qu’alimenter une augmentation générale des prix à la consommation avec comme corollaire un maintien du taux d’inflation largement au-dessus de la cible communautaire de 3% du PIB. Le FMI parle, à cet effet, de 4,7%. Nous avons estimé, dès lors, que la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) maintiendrait ses taux d’intérêt bancaire directeurs à leur niveau de la fin de l’année 2023, donc élevé. Au moins sur les six premiers mois de l’année avec pour optique de favoriser un équilibre de la croissance économique et la maîtrise de l’augmentation générale des prix à la consommation.
En maintenant ses taux directeurs élevés, la BCEAO favorise le durcissement des conditions de crédits et rend encore plus difficile pour les entreprises industrielles de trouver des financements pour leurs investissements ?
En termes de maintien à un niveau élevé de ses taux directeurs, la BCEAO, ne fait pas différemment que les institutions équivalentes dans le monde. Même si le problème fondamental dans cette approche c’est qu’elle occulte quelque peu le fait que la dynamique inflationniste qu’elle est tentée ainsi d’endiguer, ne procède pas que d’une demande en furie, mais aussi d’une offre mondiale de plus en plus compromise. La perturbation des chaînes d’approvisionnement, par exemple, est depuis la pandémie de la Covid-19, l’un des facteurs qui alimentent la hausse des prix.
Bref ! Pour en revenir précisément à votre question, la logique sous-tendant le maintien par la BCEAO de ses taux directeurs à un niveau élevé, est que cela se transmette aux conditions de financement en rendant les coûts de crédits onéreux du fait d’un ajustement automatique à la hausse des taux d’intérêt servis par les établissements bancaires secondaires. La conséquence pour les entreprises industrielles qui ne vont pas, pour autant, ne pas faire leurs investissements prioritaires, c’est que dans leur colonne des dépenses, elles enregistrent, en plus de la hausse du coût de l’énergie, un grossissement de leurs charges financières. Une situation à laquelle, l’on rajoute le fait conjoncturel que les entreprises industrielles, depuis le dernier trimestre 2023, peinent à disposer auprès du système bancaire national de devises normales, c’est à dire à un coût raisonnable et diligemment, pour honorer à échéance, leurs factures fournisseurs.
Quid maintenant du facteur travail ?
Au-delà de l’évolution du coût et de la qualité de l’énergie et du resserrement des conditions financières dont j’ai parlé tantôt, et qui sont plus ou moins conjoncturels, le secteur industriel ivoirien pâtit d’un problème plutôt structurel celui-là, qui est la faiblesse relative ou l’insuffisante croissance de la productivité du travail. Cette situation pose l’amélioration de l’efficacité opérationnelle et de l’efficience technique dans le secteur industriel en enjeu décisif pour les entreprises sur la voie du maintien de leur niveau de performance et une bonne santé financière en 2024. Surtout qu’en plus, les tensions géopolitiques et géoéconomiques, qu’elles soient sous régionales et/ou internationales, ne vont pas vraiment faiblir en cette année et les incidences inflationnistes qu’elles ont sur les coûts des intrants mais également leur disponibilité va plutôt persister. Et les tensions en mer rouge sont venues conforter notre analyse.
Une enquête expresse que nous avons réalisée auprès de nos entreprises membres au cours du mois d’avril, indique qu’au premier trimestre 2024, leurs coûts opérationnels ont suivi une tendance haussière par rapport à l’année dernière. C’est dire combien il est décisif pour elles d’agir pour améliorer leur productivité et leur compétitivité. C’est là tout l’enjeu de la bonne maîtrise qu’elles devront avoir des facteurs de production dont nous avons longuement parlés.
La FNISCI a suggéré des pistes en ce sens, je suppose ?
Retenant que la dynamique haussière des coûts de l’énergie ne va pas s’estomper à très court terme, que l’inflation va se maintenir à un niveau élevé tout comme les taux d’intérêt d’ailleurs, agir pour améliorer leur productivité et leur compétitivité implique pour les entreprises du secteur industriel ivoirien de primo, se tourner vers la technologie pour consolider leurs capacités productives, stimuler leur productivité humaine et matérielle, innover dans leurs produits mais également dans leur manière de s’approvisionner ; secundo : de s’employer à renforcer les capacités techniques et opérationnelles de leurs ressources humaines pour qu’elles accroissent leur créativité et leur productivité personnelles ; tertio : de normaliser et d’optimiser leurs processus internes pour améliorer leur efficacité opérationnelle et maximaliser à la fois les capacités de la production et la qualité. La législation fiscale et le cadre règlementaire national, voire communautaire, offrent certains avantages et privilèges à cet effet, il s’agit de pouvoir capitaliser sur ceux-ci.