Par Luc MORIO, Directeur Associé de FINACTU
En Afrique francophone, comme partout dans le monde, la construction de logements est un défi que les autorités peinent à relever : même si des progrès considérables y ont été faits depuis une décennie, le Gouvernement souffre du retard pris dans l’ajustement des constructions par rapport à une demande qui galope, au rythme d’une progression démographique très forte. Deux chiffres suffisent à cerner l’ordre de grandeur du problème : rien que pour la Côte d’Ivoire, il manquait environ 600.000 logements il y a 10 ans, sauf que la population ivoirienne a augmenté de 6 millions d’habitants depuis….
Le cœur du problème est bien connu : le volume des financements[1] permettant d’accéder au logement est insuffisant, et ne cible pas la masse des personnes souhaitant acquérir un logement, qu’il s’agisse des travailleurs à revenus modestes ou le secteur informel.
Comment y répondre ?
La conviction des équipes de FINACTU, fortes de leur expérience auprès de nombreuses institutions dédiées au financement du logement en Afrique, est que, par des outils simples, il est possible de mettre en place un véritable boost de la demande solvable de logements.
Encore faut-il bien comprendre l’origine du problème, pour lui apporter les solutions adaptées. De nombreux freins pénalisent la disponibilité de logements : on citera à titre d’exemple la rareté des titres fonciers, notamment en province, ou l’absence dans certains pays de règlementation sur la copropriété, qui freine la vente d’appartements ; on mentionnera aussi la part encore trop importante de l’auto-construction, guère soutenue par le secteur bancaire. Ou encore le faible financement des promoteurs immobiliers, contraint par la demande solvable insuffisante et les difficultés des promoteurs immobiliers à recouvrer dans les délais les paiements attendus sur des Ventes en l’État Futur d’Achèvement (VEFA). Ce qui conduit régulièrement à des temps de construction longs, voire à l’arrêt des chantiers, avec les « carcasses » que nous connaissons. Les contrats de VEFA sont régulièrement non honorés, décrédibilisant le secteur de promotion immobilière. Et tant d’autres freins encore…
Face à tous ces freins, la clé pour déverrouiller le marché reste le financement de la demande, condition pour qu’une offre structurée se mette en place, en dépit des contraintes.
Explorons ici quelques solutions efficaces, qui ont prouvé leur efficacité dans des contextes similaires ailleurs dans le monde.
Une première solution consisterait à apporter un soutien aux promoteurs immobiliers par la mise en place d’un mécanisme de financement puis de titrisation de la location-vente.
L’essentiel des personnes souhaitant accéder à la propriété ne sont pas éligibles au financement bancaire (revenus insuffisants, cyclicité des revenus, revenus non pris en compte, employeur non éligible et bien sûr secteur informel). Par contre, ces personnes ont souvent une épargne et paient un loyer.
L’historique des acteurs ayant pratiqué la location-vente (organismes para publics ou promoteurs) est généralement excellent, sous réserve d’un versement initial suffisamment important et que le projet immobilier soit de bonne facture et avec une viabilisation aux normes.
Ce n’est pas le métier des promoteurs de financer eux-mêmes les locations-ventes, car leurs ressources doivent être allouées à la réalisation de nouveaux projets.
L’enjeu est donc d’arriver à un cycle de financement différent :
- Financement initial complet du projet en fonds propres et en dette bancaire
- Ventes en VEFA avant démarrage voire au cours du projet (pour mitiger le risque commercial et non pour financer le projet) et en location-vente
- Portage du financement de la location vente par le secteur bancaire sur une durée inférieure à 12 mois
- Titrisation régulière multi-cédante de l’exposition (FCTC et création régulière de compartiments)
Une part de risque (correspondant à la marge sur la construction, environ 15 à 20% du prix de vente) devrait être gardée « à risque » afin d’aligner les intérêts.
Le maintien de polices d’assurances adéquates sur la durée de vie de la titrisation, ainsi que le respect d’un minimum de background check (centrale des risques, credit bureau, screening KYC) est nécessaire afin de maintenir la valeur des actifs.
Enfin, des frais de gestion sur la location-vente doivent également être prévus afin que le travail de suivi et d’encaissement puisse s’effectuer dans de bonnes conditions.
Par ailleurs, il convient de noter qu’un volume plus important de logements – par la compétition entre promoteurs et par les économies d’échelle – et une durée de chantier plus courte sont des facteurs potentiels importants de baisse des prix des logements.
Une seconde solution consisterait à impliquer les institutions de microfinance dans l’accès au logement.
Le nombre de clients bancaires est aujourd’hui limité, en dépit d’une forte croissance au cours des vingt dernières années (cf. taux de pénétration du secteur bancaire, qui ne prend même pas en compte la multi-bancarisation). Par contre, les institutions de microfinance ont un volume de clientèle bien plus élevé et sont aujourd’hui une part essentielle du système financier des pays africains.
La particularité des institutions de microfinance est qu’elles ne disposent pas de ressources longues et que leur capacité de transformation demeure limitée. Par conséquent, elles se limitent généralement à des prêts de court terme voire moyen terme (maximum 05 ans, et cela reste exceptionnel) dédiés aux activités génératrices de revenus, et ne peuvent pas financer le logement.
Pourtant, elles jouissent d’un excellent historique avec leurs clients, qui pour certains ont effectué des dizaines de cycles de prêts. Ces clients ne sont également pas bloqués par une quotité cessible, même si la soutenabilité de l’endettement doit demeurer un point constant de surveillance.
L’accompagnement des institutions de microfinance dans le financement du logement est essentiel :
- Via la mise en place de départements dédiés (méthodologie, staff, scoring des emprunteurs etc.) ;
- Via l’octroi de ressources longues aux institutions de microfinance, à des conditions abordables ;
- Via des mécanismes de titrisation des créances hypothécaires, afin de ne pas alourdir leurs bilans alors qu’elles ne bénéficient pas (en zone UEMOA) d’une pondération prudentielle particulière sur les financements immobiliers ;
Une troisième solution consisterait à mobiliser les institutions de protection sociale dans une branche logement au sein du système de sécurité sociale.
Le logement est une problématique majeure des pouvoirs publics (on ne compte plus les initiatives à ce sujet) et des employeurs (coopératives, soutien des employeurs, etc.). Il nous semble qu’une cotisation employeur modeste (max. 2,5% avec un plafonnement), reversée à un Fonds Mutuel de Garantie, pourrait trouver une légitimité et une acceptabilité, à condition d’un système transparent et efficace.
L’utilisation de cette garantie serait payante (par les banques et les institutions de microfinance, qui refactureront au besoin) mais à un taux relativement faible, afin de conserver le taux de crédit abordable. Un étalement pour des catégories défavorisées comme les femmes ou les jeunes pourrait être envisagé.
Il est attendu que sur les bons profils les banques se contentent de l’hypothèque, et donc ne « consomment » pas cette garantie.
Cela permettrait de flécher l’impact sur le Tier 3 exclu du crédit bancaire, avec un effet sur la baisse des taux.
Bien entendu, le Fonds Mutuel de Garantie devrait avoir des normes claires en matière d’effet de levier, de rapidité de la couverture etc., afin de pouvoir offrir une solution crédible aux banques.
Des conditions d’utilisation devraient être mises en place afin de maximiser l’impact et limiter les risques :
- Historique d’emploi
- Plafonnement du prix du logement,
- Rapport BIC existant répondant à un score minimum
- Assurance décès emprunteur et assurance multirisques habitation,
- Hypothèque,
- Utilisable une seule fois et pour une résidence principale etc.
- Conservation d’une part de risque minimale par les banques (10% à 25%).
Pour soulager le coût et éviter des frais de double garantie, il pourrait être envisagé un accompagnement fiscal (enregistrement « gratis » de l’hypothèque en cas de recours à cette garantie logement).
Les outils existent, il convient de les agencer
L’émergence du secteur du logement est conditionnée à une articulation de l’ensemble des acteurs qui doivent travailler en synergie. Il nous paraît essentiel alors d’envisager la création d’agences nationales de l’habitat, comme en Côte d’Ivoire, dans l’objectif d’un acteur unique chargé de coordonner, d’orienter et de mobiliser les acteurs publics et surtout privés pour une nouvelle dynamique.
Enfin, le marché financier régional, pierre essentielle, n’est pas encore réellement utilisé, alors même que des mécanismes comme la titrisation ou les obligations sécurisées trouvent leurs origines dans les réflexions sur la problématique du logement il y a déjà une dizaine d’années.
[1] Crédits hypothécaires mais pas seulement : crédit vendeur, location-vente, etc.