Dans l’espace UEMOA, les PME/TPE rencontrent très souvent des difficultés à financer leurs activités malgré leur rôle important pour les économies de l’union. Ce segment est redouté par les banquiers car il présente un risque avéré. Dans cet article, nous proposerons des solutions à leur financement.
1.État des lieux
Après les années 90, la croissance des économies africaines particulièrement celles de l’espace UEMOA est de plus en plus influencée par les entreprises du secteur privé notamment les PME et les TPE, aux cotés des multinationales ou des grandes entreprises. En effet, l’économie de l’UEMOA se porte bien en raison du dynamisme de l’économie ivoirienne. Selon les institutions financières internationales, le taux de croissance du PIB dans la zone est de 5,5 % en 2013 contre 3 % pour le monde, associé à des prévisions de +7,2 % pour 2014. Cette bonne santé de l’économie rejaillie sur les PME/TPE qui représentent environ 80 à 90% des entreprises de l’union, mais qui contribuent à moins de 20% du PIB des États membres. Il y a donc matière à impulser davantage le développement de ce segment surtout qu’il peut être une solution au chômage des jeunes dans l’union. Les PME/TPE qui pour la plupart créent et développent leur business sur fonds propres pour ceux qui disposent d’une trésorerie suffisante, expriment des besoins qui nécessitent un accompagnement tant technique que financier d’ou la problématique de leur accès au financement. Malheureusement, le constat est que le système bancaire de l’UEMOA fort de cent vingt et un (121) établissements de crédit au 31/12/2013 selon la commission bancaire de la BCEAO n’arrive pas encore à aller sur ce segment qui représente de façon unanime le véritable challenge pour les tissus économiques des pays Africains en général et plus particulièrement ceux de l’UEMOA. Et pourtant les ressources du circuit bancaire sont appréciables d’autant plus qu’elles ont connu une évolution de 11,7% pour s’établir à 16.383 Milliards à fin 2013 selon le rapport annuel 2013 de la BCEAO. Face à cela, un encours de crédit toujours selon la même source qui traduit une stratégie que l’on pourrait qualifier plutôt de « défensive » ou même de prudence de la part des banques vis à vis de cette clientèle qui est plus demandeuse des concours à moyen ou long terme. Les crédits à la clientèle qui se fixent à 11.186 Milliards ne consacrent en moyenne que 17 % aux PME. De ce constat, il ressort autant de raisons avancées par les banques dont les principales (évoquées aussi par plusieurs experts) sont entre autres : le manque de professionnalisme traduit par la faiblesse technique et managériale des dirigeants des PME, l’absence de structure et d’autofinancement de ces entreprises, le caractère informel de leur exercice en grande majorité, ce qui représente un risque élevé. D’autre part, les politiques de ces différents états tout comme tous les acteurs (UEMOA) ainsi que les partenaires multilatéraux réfléchissent et mettent en place des mécanismes pour relever ce défi à l’instar du « Partnership Making Finance Work Africa (MFW4A) » dont le Secrétariat est logé à la Banque africaine de développement (BAD). C’est dans cette dynamique que s’inscrit notre démarche qui vise à proposer des solutions qui pourront contribuer à un meilleur accompagnement bancaire dans le développement des PME de l’espace UEMOA et par extension de l’Afrique subsaharienne francophone.
2. Caractéristiques des PME et TPE Africaines
La plupart des PME de l’UEMOA tout comme celles de l’Afrique ont généralement en commun une identité qui se résume, au fait qu’elles sont des personnes physiques ou morales employant très peu de personne ou même sont assimilées au promoteur lui-même (entreprises individuelles). Des critères plus ou moins partagés par la plupart des pays membres de l’espace présentent cette catégorie d’entreprise en commençant par les TPE puis les PME à proprement dite. Les premières indiquées sont très souvent des affaires familiales dont l’objectif principale ici est de faire face aux besoins de subsistance c’est à dire à la pitance quotidienne avant de penser à se constituer une épargne pour avoir des actifs et après se développer. Ensuite l’on peut avoir un autre type qui lui s’inscrit dans une vision entrepreneuriale dès le départ avec pour objectif de se développer (cf. ESF [2009]). Il part du métier qu’il sait faire ou du fait qu’il sent en lui des aptitudes de commerçant avec une bonne capacité à nouer des contacts et à bien vendre. Il paie les taxes communales, se fait établir un registre de commerce, dispose d’un local abritant le siège de l’entreprise, appartient à des associations légalement reconnus, tient souvent une comptabilité, etc. Notons que cette présentation ainsi faite des caractéristiques de ces entreprises n’est pas exhaustive puisque certaines activités avec d’autres spécificités peuvent être propre non seulement à chaque pays mais aussi à bien d’autres secteurs.
3. Les difficultés rencontrées par les banques dans l’accompagnement des PME
Si les PME / TPE sont constamment confrontés à des besoins de trésorerie pour leurs dépenses de fonctionnement (salaires, loyers, etc.), d’investissement, l’exécution des marchés publiques / privés etc.; en revanche, elles ont des difficultés à se financer auprès des banques. En effet les banquiers évoquent des raisons qui sont tout de même tangibles puisqu’elles font très souvent référence aux obligations de respect des normes de l’orthodoxie financière. Ces motifs les plus récurrents sont :
– L’exercice dans l’informel : La majorité des entreprises africaines mènent leur activité dans un cadre non légal. Beaucoup ne tiennent effectivement pas de comptabilité minimum devant permettre aux banquiers de pouvoir évaluer leur situation ou la faisabilité de leurs affaires. En outre, la majorité d’entre elles ne sont même pas déclarées aux services de fiscalité et donc ne payent pas d’impôts (cf. HOPPENOT [2009])
– Le manque de professionnalisme : Les promoteurs des PME africaines sont très souvent des personnes qui exercent des activités sans aucune formation de base. Leurs activités sont conduites sans une bonne vision, un bon « business plan » et une bonne stratégie. Ainsi, l’une des inquiétudes des banquiers réside dans la gestion temporelle de l’entreprise, indispensable pour assurer sa pérennité.
– L’absence de fonds propre suffisants : Dans l’espace UEMOA, le secteur privé est constitué à plus de 80 % de petites entreprises exerçant surtout dans le secteur informel (cf. enquête UEMOA [2002]). Ce dernier est caractérisé par la faiblesse voir l’absence de capital dans l’exploitation de leur activité. C’est ce qui était ressortit de l’enquête réalisée par l’organisation sous-régional en accord avec les instituts nationaux de statistique de 2000 à 2002. En pratique, les ressources de ces PME / TPE en majorité sont constituées d’épargne, de dons, d’héritage et autres tontines.
– L’absence de garanties pour la couverture du risque : Certes la garantie ne fait pas le crédit mais elle permet de sécuriser dans une certaine mesure le risque pris par le financier. Cela demeure une des préoccupations majeures du système bancaire. Malheureusement, les unités de productions en majorité informelle disposent de très peu de moyens, encore moins de ressources ou biens à proposer en garantie pour l’accès à un quelconque crédit bancaire. A titre d’exemple dans nos familles Africaines, bon nombre d’actifs immobiliers sont des patrimoines familiaux rendant difficiles leur utilisation en termes de sûreté.
4. Les stratégies mises en œuvre par le système bancaire
L’intérêt porté par tous les pays de l’UEMOA, notamment les politiques depuis plusieurs années, incitent de plus en plus les acteurs du système financier à mettre en place des stratégies pour essayer un temps soit peu de jouer leur rôle dans le financement de l’économie. A ce titre, nous retrouvons aujourd’hui dans bon nombre d’établissement bancaire de l’UEMOA à l’instar de la BOA (banque of Africa), des départements dédiés à cette catégorie de clientèle que sont les PME/TPE. Par ailleurs, elles ont davantage réduit les frais d’ouverture de compte, les frais de gestion et ont assoupli les conditions d’accès aux crédits, leur permettant ainsi de capter davantage de clients puisque ceux-ci génèrent beaucoup de ressources (épargnes). Elles ont aussi augmenté leur enveloppe dédiée à cette clientèle. Une autre disposition qui traduit leur intérêt est le système de partage de risque. En effet nous retrouvons aujourd’hui de plus en plus de banques qui signent des conventions avec des institutions internationales ou régionales pour une couverture du risque à 50 % des engagements en faveur des PME. On peut citer l’AGF, la SFI, ARIZ. A cela, on pourrait ajouter d’autres actions qui vont dans le même sens à l’instar de l’APBEFCI qui a organisé en décembre 2014, une formation de 100 conseillers clientèles des PME pour leur permettre de mieux répondre aux besoins de crédit de ces entreprises.
5. Des approches possibles pour un financement bancaire plus accru des PME
Nous proposerons dans cette section des pistes à explorer pour financer les PME. Parmi celles-ci, nous pouvons citer :
– Les partenariats pour des services non financiers : A l’image de certaines structures Étatiques telle que l’INIE en Côte d’Ivoire, les banques devraient en plus du partage du risque, intégrer une approche d’accompagnement de ces structures en confiant leur assistance technique à des partenaires non financiers. En effet, ces entrepreneurs ont besoin de coaching, d’un suivi rapproché pour assurer la pérennité de leur affaire et honorer valablement leurs engagements vis à vis de leurs créanciers (les banques). Et vu que ces services d’assistance engendrent des coûts, les banques peuvent dans le cadre de certaines conventions avoir recours aux subventions accordées par les différents états ou les institutions telles que l’UEMOA pour les inciter à s’y engager. A cet effet, la DECISION N°16/2003/CM/UEMOA relative au programme d’actions pour la promotion et le financement des PME dans l’UEMOA démontre la volonté de ses États membres à soutenir ce segment.
– La formation des acteurs en charges de la clientèle PME : Les conseillers clientèles ou autres chargés d’affaires ont besoin de renforcement de capacité et de formation spécifique adaptée à ces petites entreprises pour mieux les accompagner (cf. DERREUMAUX [2009]). Cela passe bien évidemment par la connaissance de leurs différentes activités, de leur cycle d’exploitation, de leur marché potentiel, etc. Ainsi vu les enjeux, le potentiel de ce marché, il est temps que tout le système financier s’y mette à l’instar de l’APBEFCI de Côte d’Ivoire.
– L’assouplissement / l’identification des indicateurs de performances économiques et financiers : L’orthodoxie financière impose un certain nombre de ratios et autres indicateurs financiers dans l’analyse des dossiers de crédit. Il se trouve ici que la spécificité de ces entreprises en terme d’absence de documents financiers fiables et autres devraient permettre de considérer davantage les comptes de résultats prévisionnels retraités par les banquiers à partir des informations tirées des emprunteurs ou promoteurs lors des entretiens, des études sectorielles pour approcher un temps soit peu la réalité. Au niveau des crédits d’investissements, nous pourrons prendre en compte des taux d’actualisation par maturités vu leur contribution dans la détermination de certains ratios tels que la DSCR, la LLCR etc. et tenir compte par exemple de la CAF pour estimer la capacité de remboursement réel de l’entreprise. Ainsi, la courbe des taux sans risque est une solution à l’obtention des taux d’actualisation par maturité. Sur ce dernier point, les lecteurs pourront se référer aux travaux de GBONGUE et al. [2015].
– Le pilotage technique du risque : Aujourd’hui l’environnement financier, plus particulièrement bancaire, est devenu très concurrentiel. En effet nous notons une présence de plus en plus marquée des banques dans l’espace UEMOA vu sa croissance soutenue indiquée dans l’état des lieux. Ceci étant, sous l’impulsion de la BCEAO et des politiques, nous retrouvons des produits similaires notamment de financement en faveur du secteur privé. L’un des éléments, nous le pensons, qui pourrait contribuer à une réduction de l’aversion au risque des professionnels de cette niche porteuse (PME / PMI) pour les différentes économies est le pilotage technique du risque. En effet les banques devraient comme le recommande Bale 2, relayé par la commission bancaire, mettre en place de véritables outils d’appréciation et de gestion du risque, qui vont leur permettre de relever ce challenge (cf. GBONGUE [2015]). Tout le système est unanime sur les potentialités du secteur, mais aussi sur la difficulté d’appréhender le risque de ce secteur d’où les couvertures à 100 % recherchées par les banquiers. Ainsi lorsqu’à travers des outils (système de notation, de pricing, etc.), les managers pourront avoir une relative appréciation du coût du risque de ce secteur et les moyens de sa réduction. Ils ouvriront davantage les vannes pour accompagner ces entreprises PME/PMI.
– La cession des créances publiques : Dans nos économies africaines notamment celles de l’UEMOA, les plus gros marchés sont les marchés publiques appelés communément la « commande publique » dans le jargon bancaire. Cependant, la grande difficulté est non seulement de pouvoir disposer de ressources pour pouvoir satisfaire un bon de commande, mais le plus dur est de pouvoir être payé dans un délai raisonnable. Ainsi, il serait souhaitable que les professionnels à travers leurs associations (APBEF CI) signent des conventions à travers lesquelles des mécanismes pourront être mis en place. Les PME/TPE pourront lever des fonds à partir des titres de créances détenues sur l’État auprès des banques, qui elles à leur tour pourront se refinancer à des taux optimaux auprès de la banque centrale. Cela passe bien évidemment par un engagement aussi bien des États que de la banque centrale. Cela est possible vu la surliquidité des banques de l’espace UEMOA.
Conclusion
Malgré une économie reluisante, les PME / TPE de l’UEMOA éprouvent des difficultés à se faire financer par le système bancaire. Pour pallier à ces difficultés, les banquiers ont mis en place des stratégies basées sur le partage des risques. Outre ce dernier, d’autres solutions peuvent être envisagées notamment la signature de convention (avec l’Etat, la banque centrale et les partenaires non financiers) et surtout le pilotage technique. Ce dernier peut être une solution immédiate à la réduction du risque des PME / TPE.
7. Bibliographie
– DERREUMAUX P. (2009) : Les difficultés de financement des PME en Afrique : à qui la faute ?, Proparco n°1.
– Epargne Sans Frontière (2009) : Le secteur privé en Afrique, élément essentiel de la croissance économique. Rapport du groupe de travail
– GBONGUE F. (2015) : Quels outils pour le pilotage technique des risques des banques subsahariennes francophones dans le cadre de Bâle II ?, Financial Afrik, n°15.
– KAUFFMANN C. (2005) : Le financement des PME en Afrique.- Paris : OCDE, Repères n°7
– VANDENBERG P. (2006): Poverty reduction through small enterprises. Genève: ILO, working paper n°75.
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