Par Pr Amath Ndiaye, économiste, FASEG – UCAD.
Dès son arrivée au pouvoir, le président Bassirou Diomaye Faye a affirmé une volonté de rupture, portée par un discours souverainiste axé sur l’émancipation économique et un recours accru aux ressources internes. Si cette ambition de “souveraineté budgétaire” est compréhensible, elle se heurte à des réalités économiques incontournables : le Sénégal ne dispose pas, à ce jour, de capacités endogènes suffisantes pour financer à la fois un déficit budgétaire de 12 % et un déficit courant supérieur à 9 % du PIB.

Malgré un discours offensif, les premières mesures concrètes tardent à être mises en œuvre. Aucun plan d’ajustement crédible n’a encore été présenté, et aucune loi de finances rectificative n’a été adoptée pour corriger les dérives constatées. Cette inertie budgétaire entretient les doutes des investisseurs quant à la capacité du gouvernement à assainir les finances publiques.

Dans un contexte marqué par des pressions sur les réserves de change et par un durcissement des conditions financières internationales, une reprise des discussions avec le FMI apparaît comme une priorité macroéconomique. Le Fonds reste en effet l’interlocuteur le plus à même de restaurer la crédibilité du pays, de rouvrir l’accès aux financements concessionnels et de mobiliser d’autres partenaires techniques et financiers.
Comparaison régionale : rigueur béninoise, stabilité ivoirienne
Pays | Déficit budgétaire (% PIB, 2023) | Accord FMI | Dette publique (% PIB, 2023) | Rendement Eurobond (2031–2033) |
---|---|---|---|---|
Sénégal | 12 % | Non | 99,6 % | ≈ 12,9 % |
Bénin | 4,1 % | Oui | 49,4 % | ≈ 7,9 % |
Côte d’Ivoire | 5,5 % | Oui | 56,8 % | ≈ 8,5 % |
Source : Cbonds.fr
Cette comparaison régionale illustre l’impact direct de la rigueur budgétaire et de la discipline macroéconomique sur la perception des investisseurs. Le Bénin et la Côte d’Ivoire, bien que confrontés à des défis similaires, bénéficient de rendements bien inférieurs, traduisant la confiance du marché dans leur gouvernance économique.
Conclusion : entre ambition souverainiste et crédibilité financière
La flambée des rendements des Eurobonds sénégalais traduit une perte de confiance profonde des marchés envers la trajectoire financière du pays. Si la responsabilité de l’ancien régime est manifeste, le nouveau pouvoir devra dépasser le registre du discours et engager rapidement des mesures concrètes. La restauration de la crédibilité passera par un engagement budgétaire clair, une transparence accrue des données publiques, la régularité des rapports d’exécution budgétaire et un accord rapide avec le FMI.
Sans ce rééquilibrage urgent, le Sénégal restera confronté à un coût de financement insoutenable, fragilisant sa souveraineté économique qu’il entend pourtant reconquérir.