Par Mamadou SENE, banquier et essayiste.
L’élection du Président de la BAD s’est tenue le 29 mai 2025 et le candidat mauritanien, Sidi Ould TAH, a été élu très rapidement, très largement et de façon claire et nette. Pourtant, au premier tour, le candidat zambien Samuel MAIMBO est arrivé en tête avec 40,4 % des votes totaux, même si, pour les votes régionaux, c’est-à-dire africains, il n’est arrivé que deuxième avec 26,6 % ; il a donc obtenu 60,3 % des votes non régionaux.
Quant au candidat mauritanien Sidi Ould TAH, il est arrivé au premier tour en deuxième position avec 33,2 % des votes totaux ; mais, pour les votes régionaux, il a fait une entrée remarquable et s’est placé largement en tête avec un score de 47 % ; en revanche, pour les votes non régionaux, il n’a pas été à son avantage avec un score de 13,3 %.
Le candidat sénégalais Amadou HOTT est arrivé en troisième position avec 17,6 % des votes totaux, mais a fait un très mauvais score au niveau des votes régionaux avec un score faible de 11,8 %, qui l’a placé en quatrième position dans cette catégorie de votants ; cela a été un mauvais présage pour ses chances de succès ; en revanche, il s’est placé en deuxième position au niveau des votes des pays non régionaux avec un score de 26 %.
La candidate sud-africaine Swazi TSHABALALA est arrivée en quatrième position avec 8,2 % des votes totaux et 13,7 % des votes régionaux, dont 12,3 venant d’Afrique du Sud, son pays ; elle n’a obtenu que 0,4 % des votes non régionaux, c’est-à-dire très peu, trop peu.
Le candidat tchadien Abbas M. TOLLI est arrivé en cinquième position avec 0,5 % des votes totaux et 0,9 % des votes régionaux ; il n’a obtenu aucun vote au niveau des pays non régionaux. C’était trop peu pour rester dans la compétition.
Les conclusions que je tire du premier tour sont :
- une bipolarisation, comme en 2005, des votes du premier tour marquée d’une part par un vote massif des membres régionaux pour Sidi Ould TAH (47 %), suivi de Samuel MAIMBO à 26,6 % et d’autre part par un vote très massif des membres non régionaux pour Samuel MAIMBO (60,3 %), suivi d’Amadou HOTT à 26 % ;
- la quatrième place d’Amadou HOTT chez les membres régionaux (11,8 %) a été le signe prémonitoire de l’anéantissement de ses chances de succès ; mais, fort de sa deuxième place chez les non régionaux et de son bon score (25,9 %), il a pu s’imaginer dans la peau du « troisième homme » qui coifferait au poteau les deux candidats de tête, en cas de double majorité introuvable pour l’un et l’autre ;
- pour Abbas M. TOLLI et Swazi TSHABALALA, les jeux étaient faits dès le premier tour ; l’un, arrivé dernier, a été éliminé ; l’autre était virtuellement condamnée à l’être au deuxième tour, étant donné ses faibles soutiens du premier tour.
Au deuxième tour, le candidat mauritanien Sidi Ould TAH a ravi la première place à Samuel MAIMBO et a recueilli 48,4 % des votes totaux (régionaux et non régionaux) contre 33,2 % au premier tour, et a consolidé sa première place chez les régionaux avec 68,4 % de leurs voix contre 47 % au tour précédent. Il a obtenu 19,6 % des votes non régionaux contre 13,3 % au premier, ce qui constitue une progression de plus de 6 points.
Le candidat zambien Samuel MAIMBO a vu ses soutiens se rétrécir au niveau des votes totaux pour se situer à 36,7 % contre 40,4 % au premier tour et au niveau des membres régionaux à 18,8 % contre 26,6 %. En revanche, il a légèrement conforté ses positions au niveau des membres non régionaux, dont il a obtenu 62,5 % des votes contre 60,4 %.
Le candidat sénégalais Amadou HOTT a vu ses votes globaux baisser significativement, passant à 9 % contre 17,6 % au premier tour, et ses votes régionaux s’effondrer en s’établissant à 2,8 % contre 11,8 % ; sans doute ses rares électeurs africains l’ont lâché pour « voter utile » en faveur de Sidi Ould TAH. Il en a été de même pour ses votes non régionaux qui ont également fortement baissé en s’établissant à 17,9 % contre 26 % au premier tour.
La candidate sud-africaine Swazi TSHABALALA voit, comme le candidat sénégalais, ses votes globaux, déjà faibles, baisser, passant à 5,9 % contre 8,2 % au premier tour, et ses votes régionaux également se rétrécir en s’établissant à 10,0 % contre 13,7 %. Quant à ses votes non régionaux, elle les a entièrement perdus. Elle est éliminée.
Les conclusions que je tire du deuxième tour sont :
- le candidat mauritanien Sidi Ould TAH a été le seul candidat à voir tous ses scores progresser, totaux, régionaux et non régionaux ; les autres ont régressé partout et significativement. Seul Samuel MAIMBO a maintenu son score chez les non régionaux et l’a même légèrement amélioré;
- des pays qui ont voté pour Amadou HOTT et Swazi TSHABALALA au premier tour les ont lâchés au deuxième tour pour « voter utile » en faveur principalement de Sidi Ould TAH ; c’est la règle du jeu dans ce type d’élection. De ce fait, la candidate sud-africaine a été éliminée. Pour le candidat sénégalais, au vu de ses scores, la sagesse et le fair-play auraient été pour lui, si rien ne l’en empêchait, de renoncer au troisième tour, ne serait-ce que pour éviter un score encore plus bas.
Au troisième tour, le candidat mauritanien Sidi Ould TAH a écrasé la compétition et a recueilli 76,2 % des votes totaux (régionaux et non régionaux) contre 48,4 % au tour précédent et 72,4 % des votes des régionaux contre 68,4 % précédemment ; on en déduit qu’il a obtenu 81,7 % des votes non régionaux contre 19,6 % au deuxième. Manifestement, les non régionaux se sont ralliés au choix des régionaux, ce qui a donné à Sidi Ould TAH une large majorité et une légitimité incontestable.
Le candidat zambien Samuel MAIMBO a vu ses votes se rétrécir au niveau des membres non régionaux pour tomber à 16,7 % contre 62,5 % au deuxième tour ; ses votes régionaux se sont légèrement confortés pour s’établir à 22,7 % contre 18,8 %. Manifestement, ses pays électeurs non régionaux sont allés au secours de la victoire annoncée de Sidi Ould TAH.
Le candidat sénégalais Amadou HOTT a vu ses votes globaux tomber à 3,6 % contre 9 % au deuxième tour, et ses votes régionaux, légèrement en hausse mais toujours très bas, s’établir à 4,9 % contre 2,8 %. Il n’a récolté au troisième tour que 1,6 % des votes des membres non régionaux contre 17,9 % au deuxième tour et 26 % au premier. On constate que ses scores se sont dégradés de tour en tour.
La conclusion que je tire du troisième tour est que le vote et les scores du troisième tour sont l’expression de la volonté des pays membres, régionaux comme non régionaux, d’avoir un Président de la BAD bien élu et le plus consensuel possible, et cette volonté a été aidée par la candidature incontestablement très bonne de Sidi Ould TAH. Ainsi, les pays non régionaux ont eu la sagesse de se rallier à cette candidature, après avoir donné une large majorité de leurs votes à Samuel MAIMBO au premier et deuxième tours.
L’ordre d’arrivée des candidats et la victoire finale de Sidi Ould TAH ne semblent pas surprendre beaucoup d’observateurs. Cette victoire pourrait être expliquée par les considérations suivantes :
- Sidi Ould TAH a un des tout meilleurs parcours académique et professionnel parmi les candidats ;
- Son programme pour la BAD mêlant audace et réalisme, vision et actions concrètes semble avoir pris en compte les défis d’aujourd’hui et les ambitions de demain de l’Afrique et de son institution financière ; je peux du reste dire la même chose à propos des programmes de Samuel MAIMBO et d’Amadou HOTT ;
- Sa présence réussie pendant dix années à la tête de la BADEA laisse supposer qu’il a une bonne connaissance de la fonction et que par ailleurs il ne lui sera pas difficile de mobiliser des fonds arabes pour la BAD ; celle-ci aura besoin de beaucoup de ressources d’après tous les candidats ;
- la campagne électorale et diplomatique, que le Président élu a menée harmonieusement avec le gouvernement mauritanien, ses diplomates et ses experts, a été bien organisée, bien structurée, très offensive, à la fois enthousiaste et sobre et finalement gagnante ;
- il est ressortissant d’un pays qui n’a jamais donné de Président à la BAD, contrairement à Samuel MAIMBO et à Amadou HOTT ;
- il n’appartient pas à la même région que le Président sortant, contrairement à Amadou HOTT, la Mauritanie étant un pays d’Afrique du Nord d’après la classification de la BAD ; même si à la BAD il n’y a aucune règle écrite de rotation géographique, celle-ci fait jusqu’ici partie de ses usages et de ceux de beaucoup d’institutions internationales africaines.
Bref, cette victoire, Sidi Ould TAH et la Mauritanie l’ont voulue, ils s’en sont donné les moyens et ils l’ont eue.
Mamadou SENE
Auteur de l’ouvrage « La banque expliquée à tous – Focus sur l’Afrique »
Annexe : détail des résultats
Vote 1er tour
Votes totaux | Votes des régionaux | Votes non régionaux | ||
Samuel MAIMBO | 40,4% | 26,6% | 60,3% | |
Sidi Ould TAH | 33,2% | 47,0% | 13,3% | |
Amadou HOTT | 17,6% | 11,8% | 26,0% | |
Abbas M. TOLLI | 0,5% | 0,9% | 0,0% | |
Swazi TSHABALALA | 8,2% | 13,7% | 0,4% | |
Total | 100,0% | 100,0% | 100,0% | |
Vote 2ème tour
Votes totaux | Votes des régionaux | Votes non régionaux | |
Sidi Ould TAH | 48,4% | 68,4% | 19,6% |
Samuel MAIMBO | 36,7% | 18,8% | 62,5% |
Amadou HOTT | 9,0% | 2,8% | 17,9% |
Swazi TSHABALALA | 5,9% | 10,0% | 0,0% |
Total | 100% | 100% | 100,0% |
Vote 3ème tour
Votes totaux | Votes des régionaux | Votes non régionaux | |
Sidi Ould TAH | 76,2% | 72,4% | 81,7% |
Samuel MAIMBO | 20,3% | 22,7% | 16,7% |
Amadou HOTT | 3,6% | 4,9% | 1,6% |
Total | 100% | 100% | 100,0% |