De la mode et le luxe au fast-food, de la fintech à l’entreprenariat et au coaching des jeunes entrepreneurs, Stéphanie Taky Funga, la quarantaine, une success story « m »Made In Congo », raconte son parcours à Financial Afrik. La CEO de Takyshian Trading, qui a pris part, le 30 octobre 2023, à la rencontre dénommée « Meet The président » avec le président Félix Tshisékedi de la RDC, donne également son appréciation de cette initiative.
Entretien réalisé par Rodrigue Fénelon Massala
Nous voudrions commencer cette interview en scrutant votre parcours de jeune femme entrepreneure partie de très loin. Pouvez-vous brièvement vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis issue de la diaspora congolaise. J’ai effectué mes études en LEA (Langues étrangères appliquées) à l’UMB de Strasbourg et à la Sorbonne à Paris. Après l’obtention de ma Maîtrise en 2003, je suis recrutée pour la start-up team de LVMH afin d’effectuer l’ouverture de Sephora au Qatar en tant que concept Manager et Directrice de Magasin. Après une année pleine de succès au Qatar, je suis mutée à Dubaï où nous ouvrons une série de magasins dont le célèbre Flagship Store de Dubai Mall. Je suis ensuite débauchée par Limites Brands, où je deviens Category Manager de Victoria Secret’s aux Émirats Arabes Unis, après une formation de deux mois au Canada au siège du groupe. J’ai la charge de l’ouverture de plusieurs magasins et de la formation de plus de 450 agents aux Émirats. C’est alors qu’en 2013, l’envie de rentrer en Afrique inonde mon esprit, et je décide de tout abandonner et de m’installer à Libreville. Mon voyage entrepreneurial commence avec le lancement de Waz Burger, ma chaine de fast -food que j’ai commencé en 2014 à Libreville. Waz Burger voit le jour la première fois en RDC en 2016 à Rotana.
Pouvez–vous brièvement nous parler de vos activités en tant que jeune femme d’affaires en RDC ?
Je suis une jeune femme serial-entrepreneur dans le domaine de l’Horeca et de l’agro-industrie. Je possède une chaine de fast-food standardisée qui s’appelle Waz Burger, mais aussi une usine de transformation de frites Surgelés au Kongo Central avec une capacité de production de 3 tonnes de frites par jour. Je suis également chef de projet et développement à travers ma société Takyshian Trading en parfaite collaboration avec un partenaire de haut niveau et de qualité, lequel possède plus de 5000m² de terres réparties sur toute la RDC. A travers ma société, j’accompagne également les jeunes entrepreneurs et chefs d’entreprises privés dans l’exploitation et la mise en valeur de leurs propriétés agricoles. Je suis aussi coach pour l’encadrement des jeunes entrepreneurs pour le programme COPA PADMPME de la Banque Mondiale et je les accompagne dans la structuration et l’exécution de leurs plans d’affaires.
Quel est votre plus grand challenge ?
Mon plus grand défi est de faire vivre ma vision et de ne pas me décourager face aux difficultés que je peux rencontrer au quotidien.
Vous avez commencé à entreprendre à l’étranger, notamment au Gabon. Qu’est-ce qui a motivé votre retour dans votre pays d’origine, la RDC ?
Mon objectif a toujours été de m’installer en RDC. J’ai commencé par le Gabon, car j’ai saisi l’opportunité d’arriver déjà sur le continent africain. Je suis née et j’ai grandi en France. Le Gabon représentait pour moi à l’époque un pays économiquement assez stable pour faire mes marques. Ainsi, j’ai tout de suite accompli ma vision qui était à l’époque de développer une entreprise dans l’horeca en RDC.
Quelle lecture faites-vous de la problématique de l’accès au marché pour les jeunes entrepreneurs en général et pour les jeunes filles en particulier ?
Je pense qu’il n’y a en soit aucun problème avec le marché, mais le réel défi est d’avoir des jeunes entrepreneurs capables de croire en eux et de s’adapter aux réalités du marché congolais. Je ne connaissais personne ici, toute ma famille est en Europe et je ne suis pas d’une grande famille, j’ai tout simplement saisi le taureau par les cornes et je me suis faite une place. La jeunesse congolaise doit davantage croire en elle et les femmes congolaises doit sortir des stéréotypes selon lesquelles elles sont moins performantes que les hommes. Il faudrait croire en soi-même d’abord, avoir la confiance en soi, car la confiance en soi permet d’avoir une vision réaliste de nos capacités. Croire en nos capacités permet de mieux gérer nos émotions et atteindre nos objectifs. Avoir confiance en soi est bénéfique pour la santé mentale, la réussite, la prise de décision et la résilience.
Comment financez-vous vos activités ?
J’ai eu un énorme soutien familial sans lequel je n’aurais jamais pu commencer. J’ai également eu plusieurs prêts bancaires, une subvention de la Banque mondiale, et un accompagnement du FPI (Fonds de promotion de l’industrie). Je suis en train de travailler en ce moment sur une levée de fonds internationale.
Avez-vous établi un rapport d’affaires avec les banques en vue d’un accompagnement ?
Oui, les banques ont tout de suite cru en moi et en mon projet, je n’ai jamais eu de problème avec ça. C’est vrai que les procédures ont toujours été très longues mais finalement je suis toujours arrivée á mes fins car je n’ai jamais abandonné.
A quel âge avez-vous touché votre premier million de dollars ?
Mon premier million de dollars a été réalisé en 2018, une année d’apogée avant la pandémie de la Covid-19 où j’ai totalisé l’ouverture de 8 restaurants dans la ville de Kinshasa avec une grande notoriété. J’avais de grand contrats sponsoring notamment avec la BCDC, la SOFIBANQUE et La BRALIMA ainsi qu’une base client fidèle de plus de 22 000 personnes dont plus de 6 000 clients récurrents.
Aujourd’hui, à combien est évalué globalement le chiffre d’affaires des entreprises que vous managez?
Mon usine vient de débuter mais avec cette cadence, nous allons atteindre un chiffre d’affaires de 3,7 millions de dollars en fin d’exercice. Combiné à toutes mes autres activités HORECA et services, mon chiffre d’affaires annuel nage entre 5 et 6 Millions de USD. Mon objectif est d’arriver à 15 millions de USD d’ici 2028.
L’agro-alimentaire, l’agro-industrie, l’agro-business, l’amour du travail de la terre (l’agriculture)…, est-ce une passion pour vous, ou juste une nécessité d’affaire ?
Plus qu’une passion, c’est une vocation et c’est ma raison d’être. Toute personne est née avec un objectif à réaliser sur terre ; une mission. Il ne faut que la découvrir et la mettre en œuvre pour apporter son apport dans sa communauté, son entourage et être pleinement heureux. Ma mission est de participer au développent économique de la RDC en exploitant les produits du sol congolais, à travers le développement de l’industrie de transformation agricole.
Comment analysez –vous le climat des affaires en RDC ?
Je trouve que c’est réellement le moment de poser ses bases et ses marques surtout lorsqu’on est entrepreneur. Le climat n’a jamais été aussi bon pour se positionner dans les secteurs liés au développement industriel ou encore à la fintech par exemple. Les millionnaires de demain sont ceux qui le comprennent aujourd’hui et qui se positionnent dans ces différents secteurs.
Vous avez pris part, le 30 octobre 2023, à la rencontre dénommée « Meet The président », qui a rassemblé 120 jeunes entrepreneurs congolais face au chef de l’État Félix Tshisékedi. Comment avez-vous apprécié cette initiative ? Donnez-nous votre lecture de jeune femme d’affaire.
Je dirais d’emblée d’un point de vue objectif c’est une très belle initiative du chef de l’État et je l’encourage car il n’y a qu’en se rapprochant des entrepreneurs qu’il pourra faire vivre sa vision en tenant compte de leurs défis au quotidien. Car la création de la richesse est d’abord l’émanation du secteur privé porté par les PME et PMI. Par ailleurs, d‘un point de vue subjectif, j’ai été un peu déçue de la tournure que l’évènement a pris. Je m’attendais à un échange (questions / réponses) avec Monsieur le Président de la République ou un échange «one to one» de 3 minutes pour pouvoir lui poser une question clé. La définition qu’on a voulue donner au statut de ‘millionnaire’ pendant l’évènement m’a également dérangée (et je parle au nom de beaucoup d’entrepreneurs qui étaient présents). Pour moi, devenir millionnaire est un travail de longue haleine et ne se réduit pas à un octroi de marché. Il aurait été plus judicieux de parler de chiffre d’affaires global et de bénéfice net de ces entreprises sur une période donnée. Le message que le jeune congolais doit comprendre, c’est que devenir millionnaire est un travail au quotidien qui finira par payer ses fruits avec de la constance, de la loyauté et du travail.
Outre le business, vous êtes aussi dans le coaching. Quel conseil pouvez-vous donner aux jeunes filles dans ce monde digitalisé et numérisé en vue de développer le business ?
Je conseille à toutes nos jeunes lectrices de commencer par découvrir qui elles sont et de découvrir leurs missions. On ne peut aller nulle part si on ne sait pas qui on est. Une fois qu’elles les auront découvertes, qu’elles mettent tout en œuvre malgré les difficultés pour arriver au bout de leurs rêves.
Quel message avez-vous à lancer aux plus hautes autorités de votre pays en l’occurrence le chef de l’Etat dans le cadre de la création des jeunes champions dans le milieu de l’entreprenariat féminin de la RDC ?
J’encourage le chef de l’État et en l’occurrence le futur président élu, de s’entourer davantage d’entrepreneurs dans les différents ministères clés de notre pays de manière à organiser des cellules de facilitation d’exécution des différents projets. Il y a également des solutions possibles pour lutter contre la lenteur et la lourdeur administrative par le renforcement de la digitalisation qu’il faudrait impérativement mettre en place le plus rapidement possible afin de pouvoir multiplier le nombre d’affaires conclus par an.