Pour un grand nombre de pays, l’assurance construction est chaudement recommandée. Pourtant, même si elle a pour but de protéger la maîtrise d’ouvrage – professionnelle ou consommateur – et les entreprises des grands risques qui pèsent sur elles, les assurances obligatoires restent encore marginales dans la grande majorité des pays du continent africain. Souvent facultatives, les assurances construction trop peu nombreuses ne plaident pas en faveur de la qualité des bâtiments ainsi que la sécurité des compagnons et des occupants. Cependant, Il est vrai que par faute de moyens, les Etats ne peuvent contraindre au bon respect des règles et normes en la matière.
Et même si certains plaident pour des obligations limitées dans la durée, les assureurs, dans leur grande majorité, préfèrent que l’assurance soit plutôt perçue comme un service qui apporte une valeur ajoutée. Selon eux, le fait de la rendre obligatoire n’est donc pas forcément la meilleure solution.
En Europe, le débat en matière d’assurance construction est plus compliqué encore. La plupart des Etats de l’Union Européenne (UE) n’ont pas instauré d’obligation d’assurance comme l’a fait la France. Néanmoins, la responsabilité des constructeurs existe sous diverses formes et l’UE souhaite harmoniser dans ce domaine les pratiques de ses Etats membres. Pour des raisons de simplification, les compagnies d’assurance classent les pays en trois catégories : ceux dans lesquels un texte de loi fixe les conditions d’une responsabilité décennale ou d’un système proche, ceux dans lesquels on trouve des assureurs en mesure de couvrir les constructeurs dans le cadre de leur responsabilité et ceux dans lesquels l’assurance est obligatoire. Ainsi, par exemple, l’Allemagne prévoit une responsabilité de constructeur pour une durée de cinq ans, mais dans les faits cette assurance n’est pas souscrite. Au Royaume-Uni, les compagnies d’assurance ont développé le Latent Defects Insurance qui vise à couvrir les dommages de l’ouvrage dans le cas d’un défaut de conception ou d’exécution.
Cependant, aucun texte légal ne vient régir ce produit financier. En Belgique, la responsabilité décennale mentionnée dans le Code Civil se rapproche beaucoup de la protection française. L’obligation d’y souscrire devrait être appliquée à compter de juillet 2018. Si on se tourne vers la Pan-Europe, la Turquie a souhaité, pour des raisons particulières, contraindre les professionnels de la construction à souscrire à une décennale bien qu’aucun produit n’existe à proprement parler pour couvrir les dommages. Enfin, en France (depuis le XIXème siècle), en Espagne (depuis 1999 avec le Seguro Decenal) et en Italie (depuis 2001 et les lois Merloni), les entreprises doivent se soumettre aux exigences légales.
La France, en la matière, pourrait être perçue comme le pays le plus exemplaire. Toute personne qui fait construire ou réaliser des travaux d’importance par une entreprise doit souscrire une assurance construction dommages-ouvrage. Une grande partie des entreprises doit souscrire également une assurance décennale. Ainsi, l’assurance dommages-ouvrage permet en cas de sinistre de procéder aux remboursements ou à l’exécution de toutes les réparations faisant l’objet de la garantie décennale, sans attendre qu’intervienne une décision de justice. A l’assureur de se charger ensuite de procéder au recours contre le ou les constructeurs responsables.
Les risques couverts par l’assurance sont de deux types. Les vices et malfaçons qui menacent la solidité de la construction et les désordres qui remettent en cause la destination de l’ouvrage comme des fissures importantes des murs ou un effondrement de la toiture. Mais aussi les dommages affectant la solidité des éléments d’équipements indissociables de l’ouvrage comme le chauffage central par exemple.
Tout ceci devrait donc contribuer à l’excellence de la construction en France. Or, le contexte économique difficile de ces huit dernières années dans l’immobilier met sérieusement en péril la pertinence de la politique d’assurance construction tant louée par les politiques.
En effet, après une période de vaches maigres et malgré une relance prometteuse du marché de la construction, les caisses des entreprises sont exsangues. De plus, la filière française se trouve face à un dangereux paradoxe, entre une surenchère des normes et réglementations nationales et européennes en matière de conformité technique et des offres anormalement basses (OAB) encouragées, au niveau national, par une partie de la maîtrise d’ouvrage publique et privée. Le « mieux disant » laisse trop fréquemment la place au « moins disant », amenant les entrepreneurs à rechercher des matériaux et des équipements à moindre coût, souvent non-conformes, et des compagnons moins qualifiés et donc moins chers.
En 2014, l’étude statistique menée par l’observatoire de la Fédération Française du Bâtiment OCCIME, en charge de la lutte contre le commerce illicite des matériaux et équipements de la construction, avait mis en exergue la réalité de cette situation. Tous les secteurs étaient concernés, et tout particulièrement ceux de la menuiserie-charpente, des équipements électriques, de la plomberie et du génie climatique. Depuis, rien n’a vraiment changé, bien au contraire. Contrefaçons et non-conformités ne se sont jamais autant développées en France comme en Europe.
Toujours dans le cadre de cette même étude, 47% des 71 experts en assurances de la construction interrogés ont été confrontés au moins une fois à des non-conformités techniques ou contrefaçons. 33% d’entre eux reconnaissent qu’ils auraient pu procéder à des identifications poussées de non-conformités si leur formation avait été adaptée ou la demande d’expertise précisée.
Ce constat quant aux violations des règles en matière de conformité technique et sécuritaire des matériaux et équipements de la construction, mais aussi du droit de la propriété industrielle, soulève la question d’éventuels dysfonctionnements du marché des fournitures de la construction en Europe, et plus particulièrement en France. Mais pire que tout, la situation économique désastreuse de la construction pendant presque une décennie et la concurrence agressive engagée entre les compagnies d’assurances dans l’hexagone ont amené une partie de la maîtrise d’ouvrage à développer des pratiques quasi frauduleuses qui pourraient remettre en cause la pertinence de l’assurance construction.
La sinistralité est considérable, souvent sérielle, sans qu’on puisse en dessiner clairement les contours, faute de remontées ciblées des expertises, de bases de données fiables et surtout de la bonne volonté des assureurs. Les experts restent peu sensibilisés au phénomène malgré des réflexions menées en interne par quelques compagnies. La prévention, pourtant essentielle, demande une connaissance plus affutée des pratiques illégales, mais la formation criminologique dédiée n’existe pas.
Quant à la Décennale, des améliorations possibles impliquent une analyse plus fine des modèles économiques. Dans un tel contexte, compte tenu des failles béantes laissées par les assureurs, la pratique frauduleuse est inéluctable. Sa méthode est simple. Elle consiste, pour les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre les moins scrupuleux, à user et abuser de la décennale pour déclarer de manière préméditée des sinistres à 9 ans, 11 mois et 20 jours à partir de la réception validée des travaux.
Sciemment, ils ferment les yeux sur des choix discutables de matériaux et équipements ou de compétences des compagnons pour bénéficier d’OAB, convaincus de pouvoir refaire à neuf, grâce à la garantie décennale, tout ou partie des ouvrages sinistrés. L’article 1792 du Code Civil français précise pourtant que le constructeur est présumé responsable, en cas de pathologie, d’atteinte à la solidité ou d’une impropriété à destination, même si l’origine du désordre vient d’un mauvais choix du produit.
Cette présomption de responsabilité revenant au constructeur, c’est donc lui qui doit cautionner le choix du produit de construction, indépendamment du conseil de son fournisseur ou du choix de son client. Oui mais voilà, l’assureur paye et se refuse de jouer le rôle de la police. Mais jusque quand ? L’impact économique de l’évolution jurisprudentielle défavorable aux assureurs est cependant difficile à mesurer avec précision. Les assureurs reconnaissent d’ailleurs, avec objectivité, que l’extension du champ d’application de l’assurance obligatoire ne constitue pas la cause première du déficit du système.
Aucun chiffre n’étant fourni, aucune certitude en la matière n’est de mise, ni sur le coût de l’extension du champ d’application obligatoire, ni sur l’impact de cette extension sur le retrait d’un certain nombre d’assureurs. Le désengagement constaté en France se manifeste essentiellement par une très grande prudence de certains assureurs dans l’acceptation de nouvelles prises de risque.
Elle se concrétise, par exemple, par la réticence à assurer les constructeurs de maisons individuelles. Toujours est-il que tant que les assureurs ne se pencheront pas sérieusement sur les sinistralités constatées, aucune disposition ne pourra être mise en place pour limiter les dérives d’une maîtrise d’ouvrage et le commerce illicite des matériaux et équipements de la construction.
En attendant, les dommages collatéraux qui en découlent sont multiples et touchent tous les pans de la profession : une concurrence déloyale directe pour les entrepreneurs, des critères de choix des matériaux et équipements tirés vers le bas, malgré les recommandations appuyées de l’Agence Qualité Construction (AQC), et enfin une mise en danger des compagnons en matière de sécurité et de santé publique.
L’assurance construction obligatoire incite-t-elle à la fraude ? Oui, si rien n’est mis en œuvre pour en contrôler les effets pervers. Volontairement ou non, les secteurs concernés de la filière restent désespérément muets sur ce point. Cette « omerta » crée une tacite approbation de l’ensemble des professionnels sur les méthodes employées pour gagner des marchés, et ainsi favoriser le développement du commerce de fournitures non-conformes. Créer en profondeur le dialogue national et faire sauter les verrous de l’immobilisme sont indispensables si la filière veut rétablir la concurrence loyale et mettre un frein aux dysfonctionnements du marché des matériaux et équipements.
La seule méthode pour y remédier consiste à comprendre la nature des sujets en cause, dresser une cartographie des perceptions nationales et à identifier des cheminements sociaux, économiques, politiques, institutionnels et culturels pertinents. Les transformations qui s’imposeront dans les différents secteurs de la filière du Bâtiment seront au cœur de la réflexion : Quels outils pour permettre un décèlement précoce des évolutions frauduleuses en matière de sinistralité sérielle ? Quelles politiques publiques, quelles évolutions de la décennale, quels changements des rapports entre maîtrise d’ouvrage et entrepreneurs sont nécessaires pour mettre à niveau le marché de la construction ? Quelles pratiques pour performer la qualité d’une construction ? En bout de chaîne, comment construire en toute sérénité et équité, pour plus de sécurité, plus de qualité et à un juste prix?
Il n’en demeure pas moins que, même si elle n’est pas chiffrable, et même si elle n’est pas la cause principale du déficit actuel, l’extension du champ d’application de l’assurance construction obligatoire a créé une situation économiquement défavorable pour les assureurs construction et un coût toujours trop élevé pour les constructeurs.
S’est ainsi développé, chez les assureurs, un fort sentiment de malaise face à l’évolution actuelle de l’assurance construction. Toute une profession est profondément marquée par les dérives du système et le déficit important de ce secteur. Les assureurs ont, en effet, été manifestement surpris par l’évolution jurisprudentielle du champ de l’assurance construction. Quel que soit le bien fondé de cette dernière, ils ne pouvaient pas prévoir que des travaux et des désordres qui paraissaient, dix ans plus tôt, totalement exclus du champ de l’assurance construction obligatoire s’y retrouveraient aujourd’hui.
Reste à déterminer comment se sortir de ce mauvais pas. La détermination ferme d’un champ d’application évolutif de l’assurance construction, fut-il différent de celui prévu à l’origine, peut-il contribuer à stopper les dérives frauduleuses d’une maîtrise d’ouvrage et d’une OAB scandaleuse pour calculer, dans leurs nouveaux contrats, leurs primes de façon à rendre le système globalement équitable pour tous ? Dans cette hypothèse, l’extension progressive des outils d’amélioration du champ d’application de l’assurance construction apparaîtrait comme salutaire pour une éthique forte et commune du mieux construire. A suivre.
Par pierre Delval