Par Laurent Diabate
« Pourquoi les Congolais ne pourraient-ils pas avoir la possibilité de passer par les urnes pour choisir librement leur favori dans une élection ouverte et même inclusive ? » L’interrogation est signée Moïse Katumbi et risque de faire du bruit en République démocratique du Congo (RDC). Le pays d’Afrique centrale vit depuis quelques mois dans l’incertitude politique la plus totale ; le mandat présidentiel de Joseph Kabila — au pouvoir depuis 2001 — a officiellement pris fin en décembre dernier, sauf que celui-ci s’accroche à son poste et repousse sans arrêt la tenue du scrutin qui doit lui désigner un successeur.
« L’économie est par terre »
Observant l’élection présidentielle qui s’est déroulée fin août en Angola, l’ancien gouverneur de la région congolaise du Katanga, Moïse Katumbi, a d’ailleurs félicité « le président Dos Santos qui a décidé de ne pas se représenter. En posant ce geste, il a d’abord pensé à son pays, à sa population. » Avant d’ajouter : « Il a aussi respecté la parole donnée. Il avait dit qu’il ne se représenterait plus et il a tenu son engagement. » Un clin d’œil on ne peut plus clair à l’attitude de Joseph Kabila. « Chez nous, au Congo, je me souviens des propos du président […], il disait à qui voulait l’entendre qu’il ne prolongerait pas […] Aujourd’hui, il semble avoir perdu la mémoire. »
Et lorsque celle-ci lui revient, les explications avancées pour justifier l’absence de scrutin sont, au mieux, extrêmement maladroites, au pire, plutôt négatives pour son bilan. Si l’élection présidentielle — et les élections législatives, qui doivent se tenir en même temps — a été repoussée et n’a pas de date fixe aujourd’hui, ce serait une question d’argent. Les caisses de l’Etat ne permettent pas, selon Joseph Kabila, d’assurer la logistique électorale et l’accueil des citoyens congolais…
En affirmant cela, le « président » de la République se tire en réalité une double balle dans le pied. Non seulement il refuse aux Congolais le droit le plus élémentaire dans toute démocratie, celui du vote, mais il semble également attirer bien malgré lui les critiques sur sa gestion du pays. C’est, ni plus ni moins, ce que déclarait Moïse Katumbi, fin août, au média belge « La Libre ». « [Le budget de l’Angola] est plus de dix fois supérieur au budget de notre RDC alors que nous disposons de bien plus de richesses que les Angolais. Notre Congo, lui, ne cesse de dégringoler. L’économie est par terre, les vrais investisseurs ne viennent plus et le peuple […] est la première victime. »
Le « système Kabila »
Une raison, notamment, à cela : la corruption rampante qui s’est installée depuis les années 2000 au plus haut sommet de l’Etat. C’est ce qu’entendaient pointer du doigt récemment l’agence de presse américaine Bloomberg, le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) et l’ONG Global Witness, en alertant sur le « système Kabila » en vigueur aujourd’hui. La recette : une prédation financière couplée à une répression de l’opposition, le tout saupoudré de pots-de-vin. Résultat : « Les besoins élémentaires des citoyens ne sont pas satisfaits » pour le président de Transparency International. « La population se couche tous les soirs le ventre vide à cause de la corruption, alors que les puissants et les corrompus jouissent d’un mode de vie somptueux en toute impunité. »
D’après un rapport publié par le GEC en juillet 2017, le clan du chef de l’Etat est à la tête d’une fortune estimée à plusieurs dizaines de millions de dollars ; des proches de M. Kabila — dont des membres de sa famille — sont propriétaires de plus de 80 sociétés, dont une qui leur permet de jouir de plus de 71 000 hectares de terres agricoles. Deux entreprises familiales ont également acquis des licences d’exploitation de mines de diamants sur un immense territoire le long de la frontière avec l’Angola. Et, globalement, il est possible, selon les experts du GEC, de trouver une société contrôlée par Joseph Kabila — ou l’un des siens — dans presque tous les secteurs de l’économie congolaise.
Le problème, alerte par ailleurs le Groupe d’expert sur le Congo, c’est qu’il ne s’agit là que de la « partie immergée de l’iceberg » : les documents qui lui ont permis de détricoter le « système Kabila » proviennent de sources principalement publiques. Le centre d’étude n’ayant pu accéder aux informations tenues secrètes par les proches du président de la République, il estime que leur mainmise sur l’économie du pays est encore plus importante. « Le GEC n’a, par exemple, pas comptabilisé plusieurs grands ranchs, des bâtiments, des sociétés de médias et des entreprises commerciales qui sont considérés par beaucoup comme appartenant à la famille ».
Moïse Katumbi, successeur pressenti
On comprend dès lors mieux pourquoi Joseph Kabila ne veut pas lâcher le pouvoir. En abandonnant le fauteuil présidentiel, celui-ci ne ferait pas que renoncer à tous les privilèges indus dont il a pu jouir jusqu’à présent ; la nouvelle équipe dirigeante aurait sans doute à cœur, au nom de l’intérêt général, de recouvrer la fortune que le clan du chef de l’Etat est soupçonné d’avoir soustraite des caisses publiques. C’est peut-être la raison pour laquelle le pouvoir en place refuse toujours d’appliquer l’Accord de la Saint-Sylvestre, signé le 31 décembre 2016 avec l’opposition, et qui devait déboucher sur un système de cogestion du pays en attendant les élections.
Plus regrettable encore, alors que les manifestations s’accumulent « pour dire non à la présidence à vie de M. Kabila et exiger des élections avant la fin de cette année », comme celle du 31 juillet dernier à l’appel du mouvement de jeunes indignés Lutte pour le changement (Lucha), le pouvoir cherche à étouffer toute voix discordante. D’après l’organisation de défense des droits de l’Homme Amnesty International, cette « marche pacifique » s’était effectivement soldée par « une centaine de personnes arrêtées, y compris des journalistes qui couvraient les manifestations ». « Les forces de sécurité congolaises ont fait usage de grenades lacrymogènes et tiré à balles réelles sur des manifestants pacifiques dans six des onze villes concernées » par la marche, affirme également l’ONG.
Des rues qui se changent en théâtres de guerre civile, des richesses dont peinent à profiter les Congolais, un pouvoir corrompu qui renâcle à organiser sa succession : pour les principales forces d’opposition, la situation ne peut plus durer. Le G7 — groupe d’anciens collaborateurs de Joseph Kabila aujourd’hui frondeurs — et l’Alternance pour la République (AR) étaient d’ailleurs réunis à Bruxelles, au début du mois d’août dernier, pour demander la tenue des scrutins tout en apportant leur soutien à Moïse Katumbi. L’ancien gouverneur du Katanga, qui jouit d’une forte popularité, non seulement dans cette région, mais dans le pays tout entier, est le candidat pressenti pour remplacer M. Kabila. Encore faut-il qu’il y ait des élections.