Samedi 21 janvier à 20h 40 GMT. L’ambiance est explosive sur le tarmac de l’aéroport de Banjul. Vêtu de son boubou blanc, coran et chapelet à la main, Yahya Jammeh avance, le visage fermé, suivi des membres de sa famille et d’une imposante suite. Une poignée de fidèles se lamente. Le Babili Mansa s’engage sur l’échelle du Dassault-Flacon 900 DX affrété par la Guinée depuis l’Allemagne , lève une main hésitante à une foule de derniers des soutiens dont des soldats de sa garde rapprochée: I’ll be back, I’ll be back » (je reviendrais ), clame-t-il déclenchant l’hystérie parmi les supporters.
Certains ont du mal à retenir leurs larmes. Quelques secondes d’un triste sourire de circonstance et Jammeh, coran à la main, disparaît dans l’oiseau blanc qui le transportera à Conakry puis à Malabo avec véhicules et ustensiles. Cette destination a été préférée par la CEDEAO car plus éloignée que Conakry et Nouakchott et plus hermétique aux sollicitations de la justice internationale qu’Abuja.
Tel est l’épilogue de longues tractations diplomatique entamées le 19 janvier par le président mauritanien à quelques heures d’un ultimatum fixé à minuit. Les discussions entre les deux hommes furent épiques. Agacé par les nombreuses exigences de Yaya Jammeh, qui tenait à faire patienter les parties le temps de l’examen de son recours présenté devant la Cour Suprême, le president Aziz lui aurait dit : « à minuit, tu ne seras plus des nôtres, mais un rebelle ». La réplique de l’ancien président gambien ne se fit pas attendre: » je ne me laisserais pas faire. Au lieu de nous attaquer, la CEDEAO doit nous aider à mettre en place notre Cour pour vider notre contentieux électoral ».
À la longue, Yahya Jammeh, qui s’est entretenu avec Idriss Deby plusieurs fois, accepte son départ du pouvoir mais pas de la Gambie, en exigeant une immunité totale pour lui, ses proches et ses partisans, en insistant pour que cette immunité soit sanctionnée par un communiqué conjoint signé des Nations Unies, de l’Union Africaine et de la CEDEAO, qui sera diffusée avant son départ du Palais. Le président sortant réclamait en outre une passation de services avec son successeur qui devait rentrer à Banjul. Les discussions en resteront là pour ce premier round.
Quelques dizaines de minutes plus tard, Mohamed Aziz, qui pensait avoir fait le plus dur en obtenant de son homologue la promesse de quitter le pouvoir dés le lendemain, faisait escale à Dakar aux environs de minuit passé pour rendra compte à Macky Sall dans le salon d’honneur de l’aéroport Léopold Sedar Senghors de Dakar.
Les deux hommes seront rejoints par le nouveau président gambien, Adama Barrow, qui avait profité du sommet Afrique-France de Bamako pour rallier Dakar.
Le président sénégalais rend compte de la teneur des discussions à son homologue nigérian, Muhammadu Buhari, dont l’aviation avait pris quelques heures plutôt le contrôle total du ciel gambien. Le nigérian est catégorique: ce sera aux gambiens et à eux seuls de se prononcer sur une immunité. La CEDEAO promet d’examiner les assurances de l’homme fort de Banjul qui se voit notifié une nouvelle échéance, soit le 20 janvier à 12 heures GMT.
Parallèlement, les troupes de la CEDEAO, passées de 4000 à 7000 hommes en l’espace de 24 heures, ont ordre de franchir la frontière gambienne et d’encercler Kanilai, le village de Jammeh. Aucun coup de feu ne sera tiré dans le fort du village natal de Yaya Jammeh. Les soldats gambiens se rangeaient sous la bannière de la CEDAO. La marine nationale en faisait de même, ralliant d’un bloc.
Il était clair à partir de cet instant qu’aucun militaire n’était prêt à mourir pour un régime désavoué par les urnes. Yaya Jammeh qui contrôle les services de renseignements dont la NIA (National Intelligence Agency) était au courant des défections. La démission de l’ensemble de ses ministres le laissera sans voix, le poussant à dissoudre le gouvernement.
informé de la situation au petit matin par son chef d’Etat-major, le général Ousmane Badjie , l’homme qui a régné de main de maître sur ce petit pays pendant 22 ans ne semblait plus avoir son assurance d’antan. « Toi aussi, tu me lâches, apostrophera t il brutalement le Général » Quelques heures plus tard, le chef des armées fera allégeance à Adama Barrow.
Présent sur les lieux en ce vendredi matin, le chef de la Police, Yankubac Sonko, tourne les talons, évitant le regard pénétrant du Babili Mansa. Modou Job de la Douane prend congé pour régler des urgences. Les têtes de l’armée prennent leurs distances avec l’homme fort de Banjul les unes après les autres.
Méfiant et psychologiquement affaibli, Jammeh, entre plusieurs séances mystiques, appellera au secours les présidents mauritanien et guinéen, ses deux dernières cartes. Mandatés par la CEDEAO, Aziz et Condé font du covoiturage aérien et rallient la capitale gambienne au terme d’une conférence de presse improvisée à Nouakchott. Au delà de la démocratie à restaurer, l’autre enjeu de ces négociations était de savoir lequel de Conakry, de Nouakchott ou de Dakar, tous trois membres de l’OMVS, allaient tirer son épingle du jeu dans une géopolitique régionale concurrentielle.
À midi, les présidents mauritanien et guinéen étaient à Banjul et parviendront à repousser l’ultimatum de 4 heures. C’est le début de la confusion.
En vingt quatre heures, Yahya Jammeh a revu beaucoup de ses prétentions à la baisse mais entretient le suspens par plusieurs volte-face et des évocations d’une illusoire résistance.
Sa revendication forte était de partir avec ses hommes et de jouir de ses droits d’ancien chef dEtat (salaire et avantage), de chef de parti et de citoyen pouvant revenir quand la situation se sera apaisée. En fait, il obtiendra tout sauf la garantie
d’immunité (point d’achoppement qui étirera les négociations et retardera le départ) remplacée par une mise en place prochaine d’une commission vérité et réconciliation dont la portée et la forme restent à définir. Le gouvernement gambien se voit obligé expressément à ne pas faire de chasse aux sorcières.
C’est fort de ces garanties que Yahya Jammeh a fait son allocution à la télévision nationale, déclarant qu’il quittait de son plein gré sans être forcé par personne. « Je crois en la capacité des Africains de décider pour eux-mêmes. Je ne me soumets qu’au jugement d’Allah. C’est une décision difficile pour laquelle j’ai sacrifié tout, dans l’espoir d’être récompensé par Allah le Tout Puissant. »
Mais dés samedi matin, Jammeh revient à la charge exigeant une garantie d’immunité écrite noir sur blanc. La CEDEAO reste de marbre s’engageant sur la garantie minimale de la non chasse aux sorcières contre les dignitaires du régime finissant. Visiblement épuisé, l’homme fort de Banjul finit par accepter le communiqué tripartite.
À noter une légère confusion entre l’ONU et l’Union Africaine qui publieront un communiqué jugé flou puis repris dans le sens de la CEDEAO. Comme l’a déclaré Marcel Souza, le haut commissaire de la CEDEAO, il n’y a pas d’impunité pour l’homme fort de Kanilaï, parti certes, mais avec une forte envie de rentrer dans trois ans. Reste à confirmer ou infirmer cette terrible information divulguée par le président élu, Adama Barrow: son prédécesseur aurait fait main basse sur 11 millions de dollars des coffres de l’Etat.
A. Jallow