Peut-on envisager l’émergence sans industrialisation?
[Envoyé spécial] L’industrialisation est-elle une voie obligée vers l’émergence ? C’est par cette interpellation forte que s’est ouverte le 4ème congrès des économistes africains, le 16 novembre à Accra. Le thème général de la rencontre, qui traite de «Politiques industrielles et performances économiques» exprime le parti pris des économistes africains pour le pragmatisme.
Introduit par Dr René N’Guettia Kouassi, chef économiste de l’Union Africaine, le sujet du rapport de l’émergence à l’industrialisation interpelle forcément l’intelligentsia et les décideurs africains. A l’exemple du haut commissaire aux Affaires Economiques de l’Union Africaines, Anthony Mothae Maruping, présent à l’ouverture du congrès, et qui appelle à bien lire les statistiques, les économistes africains militent pour une interprétation plus approfondie des performances enregistrées par le continent au cours des dix dernières années. «Il n y a pas longtemps tout le monde se gargarisait d’une croissance africaine de 4 à 5%. Or, c’est un taux bas comparé à la forte croissance démographique de nos pays», a déclaré M. Maruping. Pour le haut commissaire de l’Union Africaine, «ces forts taux de croissance traduisent avant tout la hausse des cours de matières premières». La plupart des intervenants à ce congrès préconisent l’industrialisation, vue comme le vecteur de transformation le plus efficace dans l’histoire de l’économie de développement.
L’agenda 2063 de l’Union Africaine et l’agenda 2030 des Nations Unies (Objectifs de développement durable) ne sont pas en conflit selon Anthony Mothae Maruping, haut commissaire aux Affaires économiques de l’Union Africaine.
Cette préoccupation figure en bonne place dans l’agenda 2063 de l’Union Africaine adopté en juin 2015 et l’agenda 2030 des Nations Unies sur les objectifs de développement durable adopté le 15 septembre 2015. «Les deux agendas, celui de l’industrialisation de l’Afrique et celui du développement durable (ODD), ne sont pas en conflit», a répondu le haut commissaire de l’Union Africaine à une question de Financial Afrik introduisant la conférence de presse.
Pour sa part, la vice- ministre ghanéenne des Finances a insisté sur la productivité et l’amélioration de l’environnement des affaires comme paramètres essentiels de la transformation du continent.
Le décors planté, il a fallu par la suite entrer dans le vif du sujet et passer aux conditions de l’industrialisation. Le Camerounais Adom Desiré mettra l’accent sur le déficit en ingénieurs et en compétences à travers une présentation riche en chiffres et en figures (nous y reviendrons).
Quant à L’évêque et économiste Ghanéen, Bishop Peter Kekeré, qui porte bien ces deux fonctions d’apparence opposées, il citera, parmi les conditions de l’émergence, la disponibilité des compétences, une politique industrielle efficace, la stabilité politique et économique et l’intégration africaine. Malek Jihane, économiste de son Etat, rappelle quant à elle qu’ «une bonne politique d’industrialisation nécessite l’adoption du modèle de transformation structurelle».
Aussi, au delà du débat de l’industrialisation de l’Afrique par la transformation de ses matières premières (chocolat en Côte d’Ivoire) ou par l’exploitation des opportunités diverses offertes par le raccordement aux bouts de la chaîne de valeur de la mondialisation (composants aéronautiques au Maghreb), il s’agit, pour les Etats, de ne pas rater les nouvelles opportunités: «Depuis cinq ans, la consommation privée interne tire la croissance», lance Francis Mensah qui noteaussi un début de la montée de l’investissement privé.
Cette émergence de la classe moyenne africaine pose de nouveaux défis sur le plan micro-économique en obligeant les entreprises à l’effort de labelisation, remarque Zeinabou Dia, expert en communication venue du Gabon. Une question qui sous-entend le passage des industries africaines de la sous-traitance à la co-traitance et à ces normes industrielles indispensables à la certification.
D’autres questions comme la place de l’innovation dans le développement endogène, la conciliation de l’industrialisation avec les engagements internationaux et, entre autres, l’adéquation des cadres nationaux d’émergence avec les cadres régionaux, panafricains et internationaux, ou encore place de la monnaie et du taux de change, vont être traitées en longueur au cours de ce congré qui se tient jusqu’au 18 novembre.