Le restaurant Wasabi dans la zone 4 d’Abidjan est aujourd’hui la première adresse de la gastronomie nipponne en Afrique de l’Ouest. Nous avons rencontré son propriétaire, Su Xiao Feng, un chinois d’Afrique un chinois marié à une japonaise et dont le parcours inspire réflexion.
Avec ses 100 couverts servis quotidiennement et son ballet continu de clients des chancelleries asiatiques, des grands décideurs et de la bourgeoisie locale, le Wasabi, ouvert en 2012, est une adresse qu’on ne présente plus à Abdjan . Ses salles privatives ont accueilli nombre d’apartés entre hautes personnalités de ce monde. Ce qui frappe le visiteur pourtant est, moins le décors recherché sur le thème de l’eau et de la verdure, que l’affabilité du maître des lieux, un africain de coeur qui n’a jamais imaginé durant sa vie de jeune homme rangé de Shangai qu’il officiera un jour sur les bords de la Lagune Ebrié.
Tout jeune,Su Xiao Feng a pris conscience du monde qui change à la faveur de la transition historique des années 70 qui a vu son pays passer des mains du timonier Mao Tse Toung à celles du «CEO» Den Xiao Ping, qui voulait concilier communisme et marché.
L’étudiant en Economie a suivi cette transition de loin comme le milliard de chinois. Mais de prés en tant que jeune étudiant intéressé par les théories du développement. Les années 90 virent la montée en régime des usines et des ateliers. La machine de l’empire du milieu tournait à plein régime. Mais ce n’était pas encore le Pérou pour nombre de chinois.
Tout comme son père, historien,Su Xiao Feng croyait en la valeur du travail. Mais comment trouver du travail dans ce qui n’était pas encore l’atelier du monde mais une vaste anti-chambre?
C’est tout naturellement qu’il opta pour l’immigration à la fin des années 90. A l’instar des milliers de jeunes chinois, il tente sa chance au Canada et y découvre les petites difficultés d’insertion dans un modèle d’économie libérale développé. C’est à l’époque, qu’il entend le mot magique « Afrique », un eldorado accueillant, ouvert où tout est possible.
Déçu de ses multiples petits boulots à Montréal, il prend un aller simple pour Accra, capitale du Ghana et y découvre en effet d’énormes opportunités de business. C’est pourtant la Côte d’Ivoire voisine, visitée le temps d’un week end, qui le fera chavirer parce que, déclare-t-il, on y trouvait des infrastructures, des routes, de l’électricité et un marché plus dynamique. «J’ai eu conscience dès lors que la Côte d’Ivoire est l’un des moteurs de l’Afrique».
Avec comme seul patrimoine 7000 dollars en poche et plein d’idées, Su Xiao Feng se lance dans le petit commerce à Adjamé, économe dans ses dépenses et méthodique dans ses décisions. Quelques compatriotes viennent lui souffler à l’oreille de faire attention à ne pas « gâter l’image des Chinois ». Il n’en tiendra pas compte, continuant à travailler d’arrache- pied, vendant ses produits sous le dur soleil d’Adjamé où il apprendra très vite à baragouiner le français ivoirien et à saisir les subtilités du «coupè-décalé».
Son atout face à la concurrence est simple: Su Xiao Feng respecte l’argent et sait faire des économies. Si son pays, la Chine, compte un taux d’épargne de 40%, c’est que la plupart des ménages veillent religieusement sur leurs bas de laine. Son père lui a toujours dit: travaille et épargne. Voilà le jeune Su Xiao Feng qui ouvre son restaurant en 2005 en investissant ses économies.
Baptisé Osaka, cette adresse gastronomique expérimentale lui permet de cerner les besoins de la clientèle. Le succès vient avec «Holy Sushi» ouvert en 2007 au Plateau, avec un investissement de 100 000 dollars et qui sera jusqu’à la crise poste électorale un restaurant qui ne désemplissait pas.
Convaincu que les relations sino-africaines et afro-asiatiques sont essentielles, Su Xiao Feng s’est intégré et compte de nombreux amis dans toutes les ethnies de Côte d’Ivoire. «Si la Chine est l’usine du monde, alors elle aura besoin d’un grand marché comme l’Afrique. Mais nous devons apprendre à l’Afrique comment pêcher…», poursuit-il en reprenant une déclaration d’un illustre personnage de son pays. «L’Afrique a besoin de la Chine pour lui apprendre comment optimiser ses ressources», lâche-t-il entre deux réceptions d’hôtes de marque et un œil circulaire à son personnel 100% local. «L’atout maître de l’Afrique est de disposer des coûts de facteurs bas. Les salaires ont explosé en Chine, devenue trop chère ».
Lors de la crise socio-politique en 2005, Su Xiao Feng refusera de quitter Abidjan malgré les suppliques de ses amis japonais, chinois et américains. «Partir était certainement facile, mais revenir aurait été difficile». Confiant en l’avenir, il pense que dans dix ans la Côte d’Ivoire sera la locomotive de l’Afrique de l’Ouest si elle poursuit son développement à son rythme actuel. «L’Afrique réelle n’est pas celle qu’on imagine. Encore aujourd’hui, 80% des Chinois ne connaissent de l’Afrique que les réserves d’animaux sauvages et les images des guerres diffusées par les grands médias». L’Afrique de Su Xiao Feng est celle qui est, véritablement, la dernière frontière de l’investissement, celle qui permet de faire de grandes choses avec 7000 dollars, là où un million de dollars sont insuffisants pour ouvrir une échoppe au Canada, aux USA où en Europe. La vraie richesse de l’Afrique n’est pas forcément des matières premières mais sa position de territoire low-cost qu’il faudrait conforter avec une offre d’électricité abondante, des infrastructures et une formation technique et professionnelle revalorisée.
Adama Wade