Supplique pour un peu de pudeur
Par Majid Kamil
«Le Maroc sanctionné», répètent en boucle les journalistes. «Cette décision aura un impact négatif sur l’image du Maroc en Afrique», renchérit le géo politologue français et grand spécialiste du foot, Pascal Boniface.
Le Maroc a-t-il eu tort ou raison de demander le report de l’organisation de la CAN 2014 ? Il est légitime d’en débattre. Mais de grâce, un peu de pudeur.
Je vis depuis trois ans à Conakry. Permettez-moi de rappeler qu’aux heures les plus dures d’Ebola, un grand nombre de pays de la CDEAO et plus largement de l’Afrique a fermé ses frontières aux citoyens des trois pays touchés. Le Maroc, lui, a maintenu les siennes ouvertes. A l’aéroport de Casablanca, aucune stigmatisation, aucune manifestation de méfiance, un contrôle quasi normal pour les passagers arrivant de Conakry.
L’aéroport de Casablanca est un des plus grands hubs d’Afrique. Le Maroc reçoit annuellement des millions de touristes. Il avait donc tout à perdre de la moindre alerte concernant Ebola. Et pourtant, il n’a pas hésité à maintenir une rotation quotidienne avec Conakry. Il n’a pas hésité à maintenir la tenue d’une conférence économique entre hommes et femmes d’affaires des deux pays. Il faut garder cela en mémoire lorsque l’on parle aujourd’hui de la prochaine CAN. Il faut garder à l’esprit que l’un des rarissimes points de sortie du pays (avec Paris) était, jusqu’à il y a encore quelques jours, l’aéroport Mohamed V de Casablanca.
Je crois par ailleurs me souvenir que les plus hautes autorités ivoiriennes ont interdit une rencontre de foot dans leur pays au motif d’Ebola. Je crois également me souvenir que Youssou N’Dour a annulé, il y a quelques mois, un concert prévu à Conakry, pour la même raison.
Etranger, me trouvant dans une position sociale relativement privilégiée, j’ai pourtant vécu très profondément le sentiment d’isolement, oserais-je dire d’abandon, dans lequel s’est retrouvée la Guinée (je parle de ce pays car c’est là où je vis actuellement, mais je ne doute pas que ceci est également vrai pour la Sierra Leone et le Libéria). Et l’attitude du Maroc a été, dans ces moments-là, d’un grand réconfort.
Sans vouloir parler en leur nom, je pense pouvoir affirmer que cette solidarité, les guinéens ne sont pas prêts de l’oublier.
Dans ces moments de tristesse et d’angoisse, nul doute que si la CAF avait organisé un match de démonstration, n’importe où, en faveur de la Guinée ; si Joseph Antoine Bell et Yaya Touré avaient fait, ne serait-ce qu’une déclaration de soutien, cela aurait mis du baume au cœur de tous.
La « grande famille du football africain » aurait pu (et aurait dû) demander aux autorités africaines et à leurs compagnies aériennes de continuer à desservir la Guinée, le Libéria et la Sierra Leone, conformément aux recommandations de l’OMS. L’Afrique compte des artistes de renommée mondiale. Que n’ont-ils organisé un concert de solidarité à Dakar, Abidjan ou ailleurs ?
Encore une fois, il est légitime de discuter de la décision du Maroc. Mais il y a une très grande injustice à hausser le ton contre ce pays aujourd’hui, surtout de la part de ceux qui étaient (et sont encore) inscrits aux abonnés absents face à cette épreuve.
L’analyse géopolitique de cette épidémie sera faite un jour. On peut d’ores et déjà constater les dommages collatéraux qu’elle a provoqués (en dehors du drame absolu qu’elle constitue en elle-même), notamment l’assourdissant silence des «sociétés civiles» et des «forces vives» africaines.
Si l’on en doutait encore, le traitement réservé au Qatar à propos de l’organisation de la prochaine coupe du monde de football apporte la démonstration que le sport est devenu un attribut décisif du «smart power». Dans cette expression, si certains pensent «power», sachons retenir «smart».
Majid Kamil, ancien ambassadeur, banquier
Majid Kamil
(Ancien ambassadeur/Directeur de banque)