Le libéral décomplexé Abdoulaye Wade et le socialiste melenchonien Ousmane Sonko formeraient-ils un mariage de la carpe et du lapin ?
Après deux alternances démocratiques en 2000 et en 2012, la démocratie sénégalaise monte encore d’un cran avec, une première dans l’histoire de ce pays qui vote depuis 1848, un quasi équilibre des forces entre l’opposition et le pouvoir. Le résultat du vote place le pays de la Teranga dans la même configuration que le Ghana, une autre grande démocratie ouest-africaine avec depuis les élections de 2020, un parlement comprenant 137 députés pour le parti au pouvoir (New Patriotic Party (NPP) du président Nana Akufo-Addo contre 136 députés pour le National Democratic Congress (NDC) de l’ancien président John Mahama lequel avait contesté les résultats dans un premier temps.
Au Sénégal, au terme du scrutin historique du dimanche 31 juillet 2022, le résultat global consacre une rupture d’avec l’hyperprésidentialisme (défini à notre sens par un exécutif disposant d’une majorité absolue à la chambre des législateurs) dans une ambiance démocratique envers et contre quelques manchettes de la presse internationale. Ainsi, avec 82 députés, le camp présidentiel «Benno Bokk Yakaar» arrive en tête mais avec 42 députés en moins qu’il y a cinq ans. A l’inverse, les coalitions d’opposition «Yewwi Askan Wi », de l’opposant Ousmane Sonko, 47 ans, leader du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF) , et « Wallu Sénégal », de l’ancien président Abdoulaye Wade, 96 ans, fondateur et dirigeant du Parti Démocratique Sénégalais (PDS), rentré au pays à la veille du scrutin, remportent respectivement 56 et 24 sièges, soit 80 au total pour cette alliance. Trois députés appartenant à d’autres mouvances complètent l’hémicycle et seront de ce fait appelés à jouer les arbitres.
Dans le fond, la question sera de savoir combien de temps tiendra l’inter-coalition qui rassemble fort à celle entre la carpe et le lapin? Le Wallu du président Abdoulaye Wade est d’obédience plutôt libérale décomplexée alors que, de par son programme, porté entre autres sur la remise à plat des contrats miniers, un discours constant contre les multinationales et les incitations fiscales, Ousmane Sonko serait plutôt de tendance socialiste melenchonienne. Les points de friction entre les deux hommes sont nombreux à commencer par la possible candidature de Karim Wade aux présidentielles de 2024. La convergence entre les deux leaders inter-générationels restant la volonté de barrer la route au camp présidentiel en 2024.
Jusque-là assez flou sur le projet d’un troisième mandat que ses opposants lui prêtent, le président Macky Sall le sait sans doute mieux que quiconque, sur les deux prochaines années, tout silence sur ce sujet sera retenu contre lui. Le débat politique sénégalais à court terme ne fera pas économie de la gestion des ressources des hydrocarbures (125 000 barils par jour à partir de la fin 2023), de la poursuite du rythme de l’investissement dans les infrastructures et des alliances et contre-alliances politiques dans un contexte où les électeurs ont sanctionné les « transhumants » tant au niveau des locales qui ont eu lieu au début de l’année que de ces législatives. Les pluies diluviennes du 5 août à Dakar le montrent bien, la durabilité passe par les investissements dans les infrastructures et les services de base sans lesquels tout acquis est fragile.