Tenue à Abidjan le 6 avril 2017, la première édition de la Conférence Bloomfield-Financial Afrik sur le risque pays s’est penchée sur la Côte d’Ivoire, génératrice de 35% du PIB l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) et auteur d’une croissance de plus de 9% depuis 2012.
Après les soubresauts des éléments de l’armée, il y a quelque mois, le démarrage d’une nouvelle législature marquée par l’élection de plus de 70 députés indépendants sur 250, la conjoncture changeante du cacao et les différentes perspectives sur l’horizon politique, économique et financier du pays 2020, une telle conférence était forcément attendue comme le montre l’affluence, nombreuse, au Radisson Blu d’Abidjan, des acteurs de la finance, des hauts cadres, des élus et des cabinets spécialistes de questions stratégiques.
De la performance macroéconomique, à la résilience aux choc externes, en passant par l’environnement des affaires, l’indépendance de la justice, le rapport Bloomfield dévoilé à l’occasion repose sur la grille d’analyse et les standards internationaux en vigueur au sein des agences de notation. « La seule nouveauté, explique Stanislas Zézé, PDG de Bloomfield, réside dans la démarche. D’habitude, toutes les évaluations des risques pays nous viennent de l’extérieur. Nous avons pensé qu’il était temps de faire nos propres évaluations de nos forces et faiblesses à travers une démarche transparente. Il ne faut pas éviter de parler de nos problèmes. Il faut les aborder et chercher des solutions pérennes ».
Concrètement, le rapport analyse le risque pays Côte d’Ivoire à travers ses différentes composantes dans un contexte de croissance ralentie, devant se situer à 7,9% (FMI) au terme du dernier trimestre 2016. L’indice du secteur privé ivoirien, de 48,5% en moyenne, fait ressortir une contre-performance sur l’année 2016. Le tissu bancaire, fort de 29 établissements de crédit (une dispersion qui appelle à des rapprochements), fait ressortir des délais de prise de décision plus ou moins longs, reflétant la réalité d’un secteur où les décisions de crédit se prennent ailleurs. L’option de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) prise en décembre 2016 de baisser les réserves obligatoires de 200 points de base est susceptible de relancer le crédit.
Les ressources publiques sont bien tenues avec un ratio dette/PIB à 42% en dessous de la norme communautaire de 70% et un déficit public maitrisé à 4%. Toutefois, le service de la dette par rapport aux recettes budgétaires est de 26% contre une moyenne acceptée de 20%. Au regard de ces éléments, il est indispensable de réduire la charge de la dette extérieure dans un contexte où le dollar s’est apprécié de 40% en trois ans.
Par ailleurs, le passage des délais de passation de marchés de plus de 300 jours à 121 jours couplé à la possibilité de paiement des impôts en ligne contribue à la nette amélioration du climat des affaires. Quant au climat social, il demeure tendu du fait des mouvements syndicaux et des revendications de certaines corporations. Il faut noter que 70% des chômeurs sont jeunes. De plus, seuls 26% des jeunes sont titulaires d’un diplôme supérieur.
À long terme, les fondamentaux de la Côte d’Ivoire restent solides. Le plus important pour un pays restant sa capacité de réaction de l’avis des analystes de Bloomfield. Au regard de tous ces éléments, le risque-pays Côte d’Ivoire est évalué à 6,1% sur une échelle allant de 1 à 10.
Réactions après lecture du rapport Bloomfield
A la suite de la présentation du rapport risque-pays Côte d’Ivoire, le 6 avril 2017, voici les réactions à chaud de la salle. Animé par Youssef Carius de Pulsar Parteners, le premier panel a réuni Aurelien Mali, lead Moody’s sur la notation de Côte d »Ivoire, Bruno Leclerc, Directeur de l`Agence française de Développement (AFD) , partenaire historique du pays et Stanislas Zeze lui même. Pour M. Leclerc, les ratios des banques ivoiriennes ont tendance à être inférieures aux ratios de l’Afrique subsaharienne. « Le secteur bancaire a tendance à financer la trésorerie plutôt que les investissements à long terme ».
Pour le directeur général de l’Agence française de Développement, « au delà du risque pays, il y a une vision du pays à long terme reposant sur le développement et la démographie. » Si vous avez 9% de croissance et une croissance démographique de 2,5% pour an, cela montre que vous investissez beaucoup plus dans les soins de base. Tous les pays émergents sont parvenus à baisser leur démographie et à opérer une transition démographique ».
Pour Aurelien Mali, le monsieur Moody’s en charge des notations pour la Côte d’Ivoire, le Nigeria, l’Angola, l’Afrique du Sud et le Gabon, seule le premier pays a eu sa notation en augmentation. La Côte d’Ivoire se démarque ainsi de la plupart des pays subsahariens impactés par la baisse des cours de matières premières.
Abordant la crise actuelle du cacao, M. Mali estime qu’il y aura un impact direct sur les finances publiques car la fève représentant 13% des revenus de l’Etat ivoirien et 1 à 2% points de croissance PIB. « La question, relève-t-il, est de savoir jusqu’à quand l’Etat garantira-t-il les revenus -paysans sans que cela ne représente un coût structurel sur les finances publiques. ».
Bloomfiel-Moody’s: pas une différence d’approche mais de monnaies
Il faut le dire, la présence de l’agence Bloomfield et Moody’s dans un même panel laissait présager des échanges techniques sur les méthodologies utilisées et l’approche usitée pour arriver à l’évaluation de la note pays. L’éléphant est noté BB- par l’agence américaine qui évalue la capacité de remboursement en devises, donc prenant en compte le risque de change. Quant à Bloomfield, elle fait ses évaluations de la capacité de remboursement en Franc CFA. Le différentiel constaté entre les deux démarches correspond au risque de change.
« Chez Bloomfield, nous partons d’analyses empiriques et non de scoring. Nous prenons en compte des critères qualitatifs dont la culture », explique M. Zezé qui fait remarquer d’ailleurs que le coût de l’emprunt de Côte d’Ivoire est trop élevé par rapport à sa notation ». Cela, poursuit M. Zézé, même si le pays leader de l’UEMOA est parvenu à emprunter à 6%, soit bien en deçà du taux de 8% auxquels empruntent les États dans sa catégorie.
Pour Aurelien Mali, la notation Internationale, basée sur une méthodologie globale, apporte une comparaison globale essentielle à laquelle l’on ne pourrait se soustraire. « La Côte d’Ivoire, notée en dessous du Brésil est supérieure au Kenya et au Nigeria ». De plus, poursuit-il, lorsqu’il y a défaut, il n’y a pas de distinction entre monnaie étrangère et monnaie locale ». Aux yeux de M. Mali, la transparence de la gestion des comptes publics est le maître mot. « Le défaut du Mozambique suite à la découverte d’une dette cachée et le défaut technique du Congo Brazzaville montrent certaines fragilités et rappellent la nécessité de la transparence « .
En ce qui concerne le risque politique, il se décompose en risque géopolitique et politique domestique selon la grille de Moody’s. Pour la Côte d’Ivoire, le pays était élevée au lendemain des événements de 2010-2011 mais s’inscrit depuis en diminution constante. Le récent changement de constitution avec la désignation d’un vice président, poste électif, consolide cet ancrage.
Le poids de l’informel
Par la suite les échanges se sont poursuivis à travers les différents panels et sur divers sujets dont l’informel, la fiscalité et les PME. La question de l’informel, qui concerne 9 ménages ivoiriens sur 10, a soulevé différents aspects dont la répartition équitable de l’assiette fiscale entre tous les agents économiques. Présent à la conférence, Souleymane Diarrassouba, le ministre de l’Artisanat, des PME et du Commerce, a estimé que 800 entreprises génèrent 80% des recettes fiscales.
Le vice-président de la Chambre de Commerce, Nabil Ajami, a estimé que le taux d’imposition en Côte d’Ivoire est de 51,3% (en fait, il s’agit de la pression sur les entreprises du secteur formel) contre 32% au Ghana et 47% en zone CEDEAO. « La question fiscale demeure essentielle dans l’accompagnement des entreprises’, a poursuivi le représentant de la Chambre de commerce. Si le guichet unique (CEPICI) a enregistré la création de 27 000 entreprises en trois ans, aucun suivi n’existe quant à la viabilité de ces nouvelles entités.
A noter que le ministère du Commerce compte lancer prochainement une agence des PME. D’ores et déjà, diverses mesures concernent ces structures. En 2016, quelque 16,5% de la commande publique était réservée aux PME. Ce ratio sera porté à 20 % en 2017 a ajouté le ministre.
Différentes approches sont proposées par les pays africains pour accompagner la petite entreprise. Didier Acouetey du cabinet Afric Search appelle à s’inspirer de l’exemple du Kenya qui est parvenu à regrouper 1000 artisans à Mombassa et à créer un système intégré de chaîne de valeur, ou encore du Rwanda qui propose un package de structuration des artisans en coopérative avec des formalités facilitées pour l’enregistrement.
Dans tous les cas, a déclaré le ministre de l’Economie et des Finances, en guise de conclusion, la solution réside dans l’intégration économique au sein de l’UEMOA, de la CEDEAO et de l’Union Africaine. Inscrite en lettres d’or dans le préambule de la nouvelle constitution de Côte d’Ivoire, cette intégration sera une plus value pour un secteur agro-industriel à la recherche de débouchés et d’alternatives.
Adama Wade