Quatre chefs d’Etat africains ont assisté à Abidjan, le 28 mars 2017, à la cérémonie d’ouverture de la deuxième Conférence internationale sur l’émergence de l’Afrique.
Le président Macky Sall du Sénégal a servi un discours structuré, taillé sur du granit, détaillant les défis de la mise en œuvre. Ellen Johnson Sirleaf du Libéria, également président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), a mis en exergue la volatilité de la croissance africaine. Son pays qui a réalisé 9% de croissance en 2013 est retombé à 0% deux ans après à cause de la pandémie Ebola.
Mais de tous les présidents à avoir pris la parole au Palais des Congrès de l’hôtel Ivoire, c’est certainement Alpha Condé qui a le plus marqué les esprits. L’actuel président en exercice de l’Union Africaine a parlé « direct », brisant les codes pour exprimer des vérités crues. « Les croissances africaines, à l’inverse de l’Asie, n’entraînent pas des changements structurels ». Ou encore, « nous devons transformer nos minerais de fer localement en mutualisant nos moyens ».
Le millier de délégués s’est levé comme un seul homme quand l’ancien président des Etudiants d’Afrique en France a martelé, au terme d’un long détour ponctué d’anecdotes : « il est temps de couper le cordon ombilical avec l’ancienne puissance coloniale ».
Bref, Alpha Condé a fait sensation, ne laissant à son hôte et homologue Alassane Ouattara que le soin de conclure une séance d’ouverture riche en déclarations fortes.
Il faut le dire, le thème du jour, à savoir la mise en œuvre de l’émergence, ne comportait pas de réponse toute faite. Ni Helen Clark, administrateur du programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), encore moins Abdoulaye Mar Dieye, Directeur du bureau régional du PNUD pour l’Afrique, ne sont allés plus loin que la formulation de déclarations somme toute acceptées sur la nécessité de concilier croissance et emplois.
Présent à cette rencontre, le président de la Banque Africaine de Développement, Akinwimi Adesina, rappelle quelques chiffres d’une année 2016 difficile. Le continent a enregistré l’une de ses plus faibles croissances, soit 2,2%. Mais, tempère M. Adesina, quelque 20 pays ont enregistré une croissance situee entre 3 et 5%, ce qui est une performance par rapport au reste du monde. Et le président de la BAD d’insister sur ses priorités, les fameux « high five » qui, argue-t-il, représentent 90% des Objectifs de Développement Durable (ODD) et 90% de l’agenda 2063. « À l’exemple du Vietnam qui a atteint l’accès universel à l’électricité il y a dix ans, l’Afrique peut raccorder toute sa population », poursuit-il en fondant de bons espoirs sur le programme ivoirien visant le plein accès à l’électricité à l’horizon 2025.
Très à l’aise avec les chiffres, l’ancien ministre nigérian de l’Agriculture administre une piqûre de rappel à la salle archi-comble: « l’Afrique importe 35 milliards de dollars de produits alimentaires ». Il est temps, dit-il, au regard de ces chiffres de faire de l’Agriculture une priorité.
Prenant la parole, Helen Clark n’en dira pas moins: l’émergence ne doit pas seulement augmenter le PIB par habitant mais aussi induire aussi le développement humain, rejoignant les « High Five » et ses Objectifs d’amélioration de la vie des africains. Saluant les progrès réalisés dans le développement des infrastructures dans un certain nombre de pays, l’ancien premier ministre néo-zélandais rappelle que le secteur manufacturier africain était estimé à 500 milliards de dollars en 2015 mais devrait être porté à 930 milliards dollars en 2025. Et Mme Clark de saluer en particulier la Côte d’Ivoire qui a réalisé une croissance de 8% en 2016 contre une moyenne africaine de 2%. Plus significatif peut être, l’amélioration du niveau du développement humain (IDH) de la Côte d’Ivoire, de l’ordre de 1,4% par an depuis 2010.
Pour la patronne du PNUD, l’exemple ivoirien est le résultat des réformes structurelles et des investissements clés pour stimuler l’émergence. Reste à assurer une meilleure répartition des fruits de la croissance dans un continent où les 20% disposant de revenus les plus élevés gagnent dix fois plus que les 20% disposant de revenus les plus bas .
L’inégalité des genres coûterait au continent 95 milliards de dollars par an et 6% de croissance, poursuit l’administrateur du PNUD, qui articule l’émergence autour de trois piliers: la transformation économique structurelle, le renforcement de l’Etat orienté vers le Développement et le relèvement du capital humain.
Si les États ont enclenché des dynamiques positives, il reste tout de même, rappelle Macky Sall, à rendre la tendance irréversible. C’est l’objectif du Plan Sénégal Émergent lancé en février 2014 avec, souligne le président sénégalais, une large concertation impliquant le secteur privé, la société civile, les syndicats etc. Un véritable changement de paradigme a lieu résultat d’un processus d’appropriation et une concertation avec les acteurs.
Reste que quelque soit la programmation, elle ne peut échapper à la conjoncture. Pour Macky Sall, il est étonnant que l’on crie au surendettement de l’Afrique dès le seuil de 60% de l’encours de la dette sur PIB alors qu’il y a beaucoup de pays qui dépasse le ratio des 100%.
A la fin de cette cérémonie d’ouverture, c’est peut être le president Ouattara qui a la bonne définition du thème du jour. Le premier critère de l’émergence est d’avoir la volonté politique de réduire la pauvreté. « Que la croissance profite au plus grand nombre « , poursuit celui qui a augmenté les salaires de la fonction publique de son pays, bloqués depuis un quart de siècle .
Adama Wade, Abidjan