À la rencontre des artistes africains de Bruxelles
Pendant mon stage de danse contemporaine à Bruxelles, j’ai découvert Tidiani N’Diaye et Souleymane Sanago, performant à P.A.R.T.S. Les «Performing Arts Research and Training Studios» (P.A.R.T.S.), une référence internationale dans son genre, ouverte à l’initiative de la compagnie de danse Rosas et de la Monnaie, l’opéra nationale belge.
Crédit photo: Simon Jourdan et Erwan Soumhi.
Chaque été, il y a un vrai phénomène de pèlerinage des artistes et amateurs qui participent aux ateliers de l’école d’été. Tidiani, chorégraphe et danseur d’origine malienne, étudiant et performant à Montpelier, fut invité en résidence à PARTS, où, avec son ami d’enfance, Souleymane, il a présenté sa performance « Moi, ma chambre, ma rue», sous la coordination de Fatou Traoré.
Ce qui m’a touché premièrement fut la dualité révélatrice de leur performance, les messages forts de la chorégraphie : deux corps en mouvement créant des géométries, des histoires, des émotions et des espaces multidimensionnels.
Deux espaces, un, celui de l’extérieur plein de sacs en plastique, qui se déploient en rappelant les rues et le chaos vivant d’une ville africaine où on perçoit toujours la trace d’une nature forte; et l’autre, celui de l’intérieur, deux tapis posés par terre, délimitant le cocon de la chambre, l’espace intime du rêve et de la convivialité, de la prière, du repos, du jeu et de la rencontre.
En mouvement, les tapis deviennent dragons et les hommes des derviches tournants. Leur performance lance plusieurs lignes de fuite qui ouvrent des perspectives, en élargissant le zoom : de la chambre à la rue, à Bamako, au monde africain, au monde tout court.
Pour une vingtaine de minutes, le public fut télédéporté au cœur d’un univers que j’aime, et qui, pendant mes voyages, m’a révélé quelques valeurs fondamentales. Cette Afrique puissante, généreuse, vibrante, gaie, dynamique et colorée, qui rigole même en pleurant, qui rêve et qui vit à cœur battant, en dépit de tous les challenges, a résisté aux épreuves grâce à ses valeurs intrinsèques et à sa culture, déjà explorées au niveau de la danse contemporaine depuis un bon moment. Quand même, il semble qu’il y a énormément à faire, sachant que la culture reste un des grands facteurs du développement.
En parlant à Tidiani après le show, j’ai découvert un projet impressionnant. Celui de Copier-coller, une association qui va juste dans le sens du développement et de l’éducation. Tid est le directeur artistique, et Souleymane un de ses premiers boursiers.
Copier-coller a été créé comme un centre de danse à Bamako, avec une antenne à Angers. Selon Tid, « le CC est aussi un projet social, éducatif au sein de la communauté d’artistes et de la population de la ville. Nous soutenons la création des danseurs, la formation des enfants et des jeunes dans la danse, en proposant des formations continues, des ateliers pédagogiques. Le Copier Coller organise des spectacles dans les rues de Bamako. »
En plus, il y a un levier informations qui donne accès aux ressources multimédia et même aux cours d’alphabétisation pour les danseurs qui ne peuvent pas se les permettre. En plein centre du quartier de Sabalibougou, supposé difficile et dangereux, leur projet génèrent des alternatives plus optimistes que possibles.
Plus qu’un danseur traditionnel issue d’une bulle académique, Tid a la conscience de l’importance sociale, du changement que la danse peut emmener, spécialement dans une époque où l’art contemporain d’origine africaine a une place acquise sur les scènes internationales : « À Sabalibougou, comme dans d’autres quartiers, les jeunes n’ont pas d’activités, il y a moins de travail. Avec la danse on arrive à vivre, à s’exprimer, à améliorer notre bagage intellectuel, à voyager, à faire des rencontres, à partager et à connaitre d’autres cultures. »
Quand on lui demande quel est le plus grand challenge de sa mission, il répond tout court : « l’argent ».
Germaine Acogny, une des pionnières. de la danse contemporaine africaine commentait dans un entretien de 2013 : « il faut encourager les arts pour qu’un peuple puisse aller de l’avant. C’est par la culture que nous existons. Pour moi, le budget de la culture devraient être égal à celui de l’armée ». Parait-il que ce n’est pas le cas et pas seulement à Bamako. L’environnement est assez difficile dans la capitale malienne. , Copie-coller se retrouvant dans un moment critique pour son existence à cause du manque de soutien financier.
Pendant nos échanges à Bruxelles, je n’ai pu pas m’empêcher de remarquer la générosité de Tid, s’activant instinctivement en tout contexte. Quand on lui demande sur le quoi et comment de tant d’altruisme, sa réplique est venue naturellement, et elle me semble toujours révélatrice : « je suis habitué à partager, même le peu que j’ai. Sans partage, il y a pas de sens ».
C’est justement là, la richesse incroyable et le grand potentiel de Tid, du projet, du Mali, et pourquoi pas de l’Afrique ? Car aussi simple en apparence, elle pourrait être le dynamo du développement, le principe fondamental pour que les peuples puissent aller de l’avant.
Dans un pays qui souffre toujours, affecté par les jeux de pouvoirs oligarchiques, des projets comme Copier Coller amènent un rayon d’espoir et de beauté. Espérons qu’ils trouverons l’appui nécessaire afin de continuer leur travail.
Nicosie, Septembre 2014
À propos de Maria Nodolu
Consultant media et performer, d’origine roumaine, avec un profil de globetrotter en action, voyagent aux quatre coins du monde, Maria Nodolu aime la danse et les mots. Ce sont ses formes d’expression préférées, le leit-motiv de ses recherches d’Europe, d’Afrique, des Amériques et d’Asie. Ambidextre, et par la suite convaincue qu’on peut développer également les deux côtés du cerveau, que la rationalité et la sensibilité peuvent se rejoindre en harmonie, et qu’on peut élargir nos horizons en projetant un grain d’espoir et de grâce dans nos actions.