Par Jacques Leroueil, Kigali
Salué pour son climat des affaires et ses bonnes performances économiques, le pays des Mille Collines se rêve en hub régional accueillant les investisseurs venus de tous les horizons. Une vision et des résultats qui doivent beaucoup à une institution : le Rwanda Development Board.
Les visiteurs étrangers ou membres de la Diaspora rwandaise qui reviennent au pays après plusieurs années d’absence le disent tous : depuis le début des années 2000, le pays s’est métamorphosé. Du centre-ville de Kigali, où tours de bureaux et malls poussent comme des champignons, aux nombreux hôtels et unités de transformation agroalimentaire en cours de construction à travers tout le pays, les investissements massifs des dernières années sont visibles partout. Des opérations souvent réalisées avec des capitaux étrangers et qui font du Rwanda d’aujourd’hui l’une des nations les plus en pointe pour l’accueil des opérateurs internationaux. Avec une croissance moyenne de 8 % au cours de la dernière décennie et des investissements privés étrangers multipliés par 7 au cours des 5 dernières années, le Rwanda n’a jamais été aussi tendance.
L’explication de cet attrait nouveau du Pays des Mille Colllines tient en un acronyme : RDB. Agence nationale en charge de la promotion des investissements, le Rwanda Development Board (plus communément appelé RDB) est au Rwanda de ce début du 21e siècle ce que le mythique MITI fut pour le Japon triomphant d’après-guerre : la cheville ouvrière d’un miracle économique. Né en 2009 de la fusion de différents services dédiés à la création d’entreprise ainsi qu’à la promotion des investissements et des exportations, le RDB est aujourd’hui en première ligne pour faire du plan directeur national “Vision 2020” une réalité. En ligne de mire : le statut de pays émergent à revenu intermédiaire d’ici 2020. Vivian Kayitesi, du département stratégique à la Promotion des Investissements au sein du RDB, le dit d’emblée, “…il y a une volonté politique évidente de parvenir à cet objectif”. Un volontarisme appuyé qui s’affiche partout.
Le site de l’agence nationale annonce ainsi clairement la couleur : “Transformer le Rwanda en un centre global dynamique pour les affaires, l’investissement et l’innovation”. Sous d’autres latitudes, une telle formule d’accroche prêterait à sourire – l’Histoire regorge de slogans restés lettre morte- mais dans le cas en l’espèce, force est de reconnaître que l’ambition du Rwanda Development Board de faire décoller le pays a d’ores et déjà quelques solides résultats à faire valoir. Avec un PIB multiplié par près de 4 depuis 2000 (de 1,9 milliard à 7,1 milliards de $) et un revenu par habitant en progression de près de 200 % sur la période, le Rwanda fait partie des meilleurs élèves de la classe économique africaine.
RDB a beau être une institution étatique, l’atmosphère de travail qui y règne apparaît plus proche de la start-up que de la bureaucratie tatillonne. Dans les couloirs de l’agence à Kigali, une première impression frappante : nombre de responsables de service sont jeunes, collaborateurs polyglottes et cosmopolites fréquemment venus de la Diaspora. Et comme souvent au Rwanda, bien des postes de direction sont occupées par des femmes ; à commencer par le sommet avec Madame la PDG, Valentine Rugwabiza ( photo), auparavant Directrice générale adjointe à l’OMC. Tout est fait ici pour simplifier à l’extrême les différentes procédures sous un seul et même toit : enregistrement, fourniture de licences commerciales, certificats d’investissement, permis de construction, accès à l’eau et à l’électricité… Les investisseurs en redemandent. Pravin S., un opérateur économique indien en prospection dans la sous-région, constate ainsi “…qu’en Afrique de l’Est, le Rwanda a bien des avantages à offrir. La rapidité des procédures, le niveau d’imposition raisonnable (7 % pour les investisseurs étrangers dans certaines conditions), la faible corruption et son excellent réseau de transport le positionnent au-dessus de bien d’autres pays”.
Les chiffres corroborent en tous les cas ces échos positifs. De 160 millions de $ en 2008, le stock d’investissements privés étrangers dépassent aujourd’hui le milliard de $. “Et encore ne s’agit’il que des opérations dont le montant est supérieur à 250.000 $”, rappelle Vivian Kayitesi. En clair, la partie émergée de l’iceberg. Samuel Kirubi, le directeur général d’Equity Bank, venu récemment en visite dans la capitale rwandaise à la tête d’une délégation de chefs d’entreprise kényans, ne dit rien d’autre lorsqu’il évoque “le Rwanda comme l’une des destinations d’investissement les plus populaires du continent”. Il est bien placé pour le savoir. L’établissement financier qu’il dirige opère dans le pays depuis de nombreuses années et ses compatriotes sont aujourd’hui les 3e plus importants investisseurs étrangers, après l’île Maurice et l’Afrique du Sud. Finance, mais aussi immobiler, agroalimentaire,tourisme, énergie et mines. Tous les secteurs sont concernés et les hommes d’affaires du monde entier viennent toujours plus nombreux pour bénéficier des atouts multiples qu’offre le pays (stabilité, sécurité, climat des affaires accueillant). Le dernier rapport Doing Business 2014 de la Banque mondiale ne s’y trompe pas.
Alors que nombre de pays africains continuent d’occuper les profondeurs du classement, le Rwanda progresse à vive allure vers le peloton de tête : il est désormais au 32e rang mondial (sur 189 pays) et à la 2e place continentale (derrière l’île Maurice). Encore loin derrière les stars asiatiques (Singapour et Hong-Kong, 1er et 2e mondiaux) mais devant tous les pays émergents des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et les nations industrialisées du Vieux Monde que sont la France (38e), l’Espagne (52e) ou l’Italie (65e).
Reste maintenant à transformer l’essai. Une tâche de longue haleine pour le pays, qui doit relever encore bien des défis. La réthorique entendue de “Singapour africain” ne saurait ainsi faire oublier qu’en dépit des remarquables progrès accomplis au cours des dernières années, le Rwanda demeure un pays pauvre. Avec une population rurale à 80 % et un revenu par habitant inférieur à 700 $ par an, on est encore à des années-lumières du modèle asiatique (50.000 $ de PIB/habitant annuel pour Singapour). Les rwandais le savent, la prospérité ne se décréte pas, elle se cultive dans la durée. Axe prioritaire du RDB, le développement des exportations reste encore insuffisant pour faire contrepoids aux importations, 3 fois supérieures aux premières. Résulat : la balance commerciale est structurellement déficitaire (1 milliard de $ par an) et la vie reste chère ; pénible condition d’un pays enclavé qui dépend intégralement de ses grands voisins limitrophes (Tanzanie, Kenya, Ouganda) pour son approvisionnement. Souvent pointé du doigt, le coût de l’électricité au Rwanda demeure excessif en comparaison de ce qui est pratiqué dans la sous-région (jusqu’à 100 % plus cher). Qui plus est, dans un pays en forte croissance, les besoins vont grandissant. Vivian Kayitesi le dit elle-même, “l’énergie est un vrai problème”.
Les choses évoluent dans le bon sens cependant. Des programmes d’assistance sont ainsi proposés depuis peu par le RDB aux entrepreneurs, afin d’aider ces derniers à mieux valoriser leurs produits à l’exportation. Répondre aux meilleurs standards internationaux, permettre un accès facilité aux principaux marchés, et partant accroître significativement la valeur des biens et services vendus à l’étranger : là est tout le sens de cette démarche. L’offre d’énergie devrait aussi sensiblement progresser à moyen terme. En partenariat avec les autorités rwandaises, plusieurs investisseurs se sont d’ores et déjà engagés à fournir des installations (centrales hydroélectriques, fermes solaires) qui apporteront une puissance installée supplémentaire d’au moins 150 MW au cours des prochaines années.
De quoi enfin fournir une énergie plus abondante et à meilleur marché, condition indispensable à la poursuite de l’expansion économique rwandaise. De même, la mise en service du futur chemin de fer est-africain d’ici la fin de la décennie pour un investissement total supérieur à 5 milliards de $ réduira notoirement la durée du transport et le coût de celui-ci. Un avantage qui pourrait s’avérer décisif pour faire du Pays des Mille Collines le hub incontournable qu’il entend devenir entre les aires francophones (Afrique centrale) et anglophones (Afrique de l’Est) de la sous-région. Enfin, avec l’enregistrement des sociétés qui s’effectue désormais en ligne, en quelques clics de souris et gratuitement, le Rwanda Development Board conforte encore un peu plus sa réputation flatteuse d’efficacité. C’est ainsi qu’on fait la différence dans un monde globalisé où la compétition pour attirer les capitaux est de règle. Demeurer dans le peloton de tête des pays les plus compétitifs à force de vigilance constante et d’une proactivité permanente : la réussite est à ce prix. Une leçon qu’a parfaitement intériorisée le Rwanda Development Board.