Il n’aura pas fallu à Abdoulaye Wade deux ans pour se refaire une virginité politique à Versailles. Car les foules, disait le russe Serge Tchakhotine , auteur du monumental « Le viol des foules par la propagande politique« , sont amnésiques.
Les sénégalais, eux, ont encore cédé à cette hypnose collective dont le ressort semble connu d’un seul homme: ce vieil animal politique, 87 ans, qui a scénarisé son retour point par point en saturant l’espace public d’interviews, de communiqués et d’annonces de fraternisation avec tous les déçus du régime Macky Sall.
L’effroyable machine de communication mis en branle par le très expérimenté avocat politique (Interview dans Le Monde, sur RFI, RFM), ajouté à la forte mobilisation des barons du Parti Démocratique Sénégalais -PDS-, totalement ressuscité, a, semble-t-il, poussé les autorités au durcissement. Et, fatalement, à la faute.
L’interdiction de la marche de soutien (cadeau préfectoral divin) a mis de l’eau dans le moulin des opposants qui hurlent légitimement à l’atteinte de la démocratie. Les rumeurs de fermeture de l’Aéroport Leopold Sedar Senghor ont révélé une certaine fébrilité face aux grands événements.
Le paroxysme est atteint en milieu d’après midi de cette folle journée du mercredi 23 avril quand la foule apprendra que l’avion du fondateur du Sopisme est retenu au Maroc. Dès lors, on l’a compris: Abdoulaye Wade est monté d’un cran dans la si accidentée cote de popularité. Loin d’être contrarié par l’incident de parcours, l’opposant de toujours jubile. Cette escale prolongée à Casablanca transforme un simple vol en une odyssée.
Aux yeux des militants chauffés à bloc, c’est l’ultime preuve d’une entente diplomatique pour contraindre le tombeur du parti socialiste au repli stratégique. Loin s’en faut, Abdoulaye Wade est déterminé. De la capitale économique marocaine, les nouvelles de la mobilisation populaire qui lui parvenaient lui ont redonné les sensations de cette journée d’octobre 1999 où 2 millions de sénégalais étaient venus l’accueillir sur le tarmac de l’aéroport Leopold Sedar Senghor.
Certes, autre temps, autres moeurs. L’ancien opposant a été mis aux épreuves. Son bilan, après douze ans aux affaires, est un concentré de sa mégalomanie: des infrastructures ultra-modernes et des coupures d’électricité intempestives, une caste de nouveaux riches dont l’unité de mesure était le milliard de FCFA et une élévation rapide du niveau de vie qui condamnait beaucoup de sénégalais à la précarité.
Le bilan du sopisme, si riche en réalisations dans le domaine des infrastructures, est affaibli par le long feuilleton de l’enrichissement illicite qui maintient l’un de ses ministres et collaborateurs d’alors, son fils Karim Wade, en prison. Nul doute, le retour du père, à quelques semaines d’un procès qui s’annonce retentissant et des élections locales déjà compliquées par les marchandages et la transhumance, sonne comme un nouveau crash test pour la démocratie sénégalaise.