» Chypre, la musique sur le chemin de la pacification »
« Les gens, disait Nelson Mandela, réagissent selon la façon dont vous vous les abordez. Si vous les approchez d’une manière violente , ils vont réagir de la même façon. Mais si vous dites : «nous voulons la paix , nous voulons la stabilité », vous pouvez faire beaucoup de choses qui contribueront à l’avancement de la société».
L’histoire de Katie Economidou provient de Chypre mais elle pourrait se passer n’importe où, n’importe quand. Même juste à côté de vous, ou bien dans un pays imaginaire. Le Chypre est un pays ensoleillé du bassin Levantin, béni par les dieux de la Grèce antique avec une nature méditerranéenne et une diversité culturelle incroyable. Un coin de terre l’Orient et l’Occident se croisent.
Même si l’île a les données initiales d’un petit paradis démocratique et multiculturel, jusqu’à nos jours elle reste malheureusement fractionnée. L’on y trouve la seule capitale européenne divisée par une ligne verte contrôlée par les troupes de l’ ONU, qui séparent les grecques chypriotes des turques chypriotes. Depuis 1974, le Nord est sous occupation militaire turque et autoproclamé République turque de Chypre du Nord en 1983 sans être reconnue par la communauté internationale, en dehors de la Turquie.
Le Sud, où vivent les grecques chypriotes, est connu comme la République de Chypre. Depuis son adhésion à l’Union Européenne en 2004, l’île est face à un nouvel espoir de réunification, qui mettrait en cause des enjeux économiques mais également politiques pour l’île. La création de points de passage entre les deux parties de l’île depuis 2005 représente encore un pas dans l’amélioration de la situation. Des actions bicommunautaires foisonnent et démontrent une réelle volonté d’évoluer vers la pacification et de la réunification.
Le contexte est assez familier pour certains d’entre nous, n’est ce pas : une rupture au milieu d’un pays, suscitée par des interventions externes et tensions internes ? Les motifs, répétitifs : un conflit, des morts, les refugiées, la douleur, la haine, la peur, la frustration..
Dans tous ces tourments, qui durent depuis des dizaines d’années de souffrance, il y a des petites étincelles d’humanité qui peuvent illuminer et redonner de l’espoir. Au-delà des macrodécisions politiques et des plans de paix, c’est l’initiative des citoyens qui crée l’espace du changement ; chacun à son niveau : en commençant par faire la paix avec soi-même puis avec les autres, même quand c’est douloureux.
Voici la lettre que j’ai reçue un jour, suite à mon voyage à Chypre. C’est venu dans le contexte d’un échange d’emails à l’occasion de la journée de l’indépendance, en parlant du futur de l’île avec Katie. Elle révèle une histoire de survivance, d’amour, de tolérance, d’espoir. Un témoignage du fait qu’importe ce qui est arrivé hier, le présent nous appartient ; on est, en quelque sorte, les créateurs de nos propres réalités.
« Chère Maria ,
La chorale [bicommunautaire, formée par des musiciens Chypriotes des deux côtés de la ligne verte ] est mon bébé , qui évolue maintenant indépendamment.
On a pris l’initiative en 1994. Il m’a fallu un an pour convaincre l’ONU de le parrainer, de nous acheter un piano et d’obtenir le droit de répéter. A cette époque, j’avais pris l’habitude de visiter le bureau de M. Rokoshevski, le porte-parole de l’ONU, presque toutes les semaines. Après un an, le représentant de l’ONU, M. Gustav Feissel, a approuvé l’utilisation de Ledra Palace. Mais le leader chypriote turc, M. Denktash, ne permettait pas aux turcs chypriotes de nous rejoindre. L’idée était d’inviter deux musiciens, un Turc Chypriote et un Grec Chypriote de prendre en charge en tant que conducteurs. On les a invités deux fois en Norvège afin de se rencontrer et planifier leur travail. En ce moment, nous ne pouvions pas le faire en Chypre. Quelques mois plus tard, nous avons pu commencer le travail en situ, en utilisant un vieux restaurant dans le village mixte de Pyla. Et puis, à travers l’ONU, nous avons réussi à obtenir les autorisations pour les chypriotes turcs et ils ont réussi venir à Ledra Palace pour les répétitions. Jusqu’à aujourd’hui, ils ont leurs répétitions au Ledra Palace chaque mercredi soir. C’est merveilleux de voir que nos idées vivent , même si on n’était plus là.
En tant que chanteuse classique, j’ai senti que la musique, spécialement la chorale, deviendrait le passeport du processus de paix dans le monde . A présent, je chante avec un trio [toujours mixte], composé d’un pianiste, un flûtiste et voix. Nous avons fait quelques merveilleux concerts sur toute l’île, dans la plupart des églises. Ce que nous gagnons est reversé pour les causes charitables.
Mon histoire est triste. Initialement, je me suis impliquée suite à la disparition d’une sœur et de beaux-parents perdus depuis le 20 juillet 1974. J’ai vécu une période de deuil et la peur de l’inconnu. Je ne pouvais pas transformer les sentiments de désespoir et de colère en empathie et pardon. Je pleurais beaucoup, je me tapais la tête contre les murs, je n’arrivais pas à trouver les réponses à des questions qui me hantaient au milieu de la nuit. Finalement, je me suis rendue; il n’y avait pas d’autres moyens de combler le vide et le chagrin, que l’amour. Et si, j’ai survécu. Merci de m’avoir écouté avec ton cœur. »
Des fois, c’est le cœur qui offre la seule ration valable. L’année dernière Katie et son associé Dervish Baha ont obtenu le prix Stelios pour leur initiative conseil de médiation (« Mediation Consultancy Initiative »). Elle s’est lancée dans le processus de paix bicommunautaire il y a 20 ans, et son engagement a contribué à la formation de plusieurs groupes bicommunautaires. Si vous visitez Chypre un jour, vous seriez peut être surpris de la trouver à l’ Organisation de Tourisme où elle travaille en tant que guide multilingue. Vous trouverez une femme qui crée et raconte des histoires du pays, et qui projette ses espoirs en réalités tangibles. A nous des créer les notre!
Photo Katie. Crédit photo Katie Economidou