L’Union européenne a clos ses négociations de libre-échange avec le Canada : modèle ou repoussoir ? C’est le premier accord commercial avec un membre du G7.
Le Canada et l’Union européenne ont célébré vendredi la fin de leurs négociations de libre-échange. Après six ans de pourparlers, les deux pays ont diffusé le texte de l’ accord, un pavé de 1.600 pages. Une première dans les négociations commerciales qui répond aux appels des citoyens à la transparence. L’accord doit encore être traduit dans toutes les langues de l’Union, puis obtenir le feu vert du Conseil européen, des parlements canadien et de l’Union, et la ratification des Etats. Si tout va bien, il pourrait ainsi entrer en vigueur en 2016. Longtemps passée inaperçue, la négociation européo-canadienne a pris un nouveau relief au sein des partis politiques européens, qui y voient une préfiguration de l’accord de libre-échange actuellement en discussion entre l’Europe et les Etats-Unis.
Il y a des ressemblances. L’Europe conclut à Ottawa son premier accord commercial avec une puissance de l’OCDE au niveau de développement identique au sien, sans passer par l’OMC. L’accord est aussi bien plus exhaustif que des textes plus traditionnels, puisqu’à la baisse des droits de douane s’ajoutent des négociations sur les marchés publics, les services financiers, les télécommunications, l’agriculture, le secteur maritime, les investissements, les valeurs morales et même sur la reconnaissance des qualifications professionnelles. Les discussions avec Washington ont un même niveau d’ambitions. Néanmoins, « les accords commerciaux sont toujours très différents », prévient un des négociateurs en chef, en rappelant que la taille de l’économie canadienne n’a rien à voir avec celle des USA, que sa structure de production est aussi très différente et qu’enfin le Canada est aussi « le plus européen des pays d’Amérique du Nord », notamment en matière sociale.
Un coup d’accélérateur
Dans l’ensemble, les négociateurs européens sont ravis des résultats obtenus, surtout sur deux points clefs : l’ouverture des marchés publics aux entreprises européennes aux niveaux fédéral et provincial, et la reconnaissance par Ottawa de plus de 120 indications géographiques protégées, ce qui va donner un coup d’accélérateur aux exportations de vrais jambons de Parme ou « parmigiano reggiano », ces produits italiens dont les marques sont usurpées par des producteurs canadiens. Côté français, le secteur du vin et des spiritueux est déjà dans les starting-blocks pour conquérir de nouveaux marchés. En échange, l’Europe a autorisé l’importation de 50.000 tonnes de bœuf (0,6 % de sa consommation globale) à condition qu’il soit élevé sans hormone. « Pour la France, c’est globalement un bon accord, qui pourrait se traduire vite par un volume d’exportations supplémentaires d’environ 2 milliards d’euros », explique un spécialiste. Plusieurs pays, l’Italie, le Royaume-Uni, ont salué la finalisation des négociations, mais des doutes persistent du côté de l’Allemagne. Le ministre allemand de l’Economie, Sigmar Gabriel, sous la pression de son parti, le SPD, a mis en doute le chapitre sur « la protection des investissements », estimant qu’il « n’est pas acceptable en l’état aux yeux de l’Allemagne ». Ce mécanisme, qui prévoit notamment le recours à l’arbitrage international, pourrait permettre aux multinationales de contester en justice des politiques nationales. Si le gouvernement allemand n’a rien dit, le sujet est très sensible et focalise l’attention des ONG. « L’accord a été entièrement soutenu par tous les membres de l’Union européenne, y compris l’Allemagne », a rappelé vendredi le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Reste que nombre d’acteurs contestent la nécessité de créer une jurisprudence particulière sur la protection des investissements entre deux Etats libres, démocratiques et pourvus d’une justice qui fonctionne. L’appel à l’arbitrage avait servi à protéger les investisseurs dans des régimes dictatoriaux ou corrompus. Les socialistes sont d’autant plus méfiants qu’ils ont peur de créer un précédent pour la négociation avec les Etats-Unis.
Les Echos