Nommé directeur général du groupe Ecobank en mars 2014, Albert Essien, 59 ans, est en train de prolonger son round d’observation en jouant une neutralité positive à toute épreuve entre les différents clans qui ont, pendant 9 mois de gué-guerre, transformé cette institution panafricaine de 20 milliards de dollars d’actifs en un mini-Darfour.
Parmi les grands dossiers qui attendent le nouveau DG (annoncé à la retraite l’année prochaine), la mise en place des mécanismes de la bonne gouvernance et les recouvrements, fastidieux, de certaines créances douteuses. Le gendarme nigérian du marché, la SEC (Security Exchange Commission), s’est fait un point d’honneur d’empêcher Ecobank d’importer des risques d’autres régions dans son marché aseptisé à leurs yeux. Or, si le géant nigérian représente 40% des dépôts d’Ecobank, il concentre aussi au moins la moitié des créances à risque.
Il est aussi question, selon les informations, d’investigations poussées autour de l’acquisition de l’Océanic Bank présenté à l’époque comme le coup de maître de l’ancien directeur général, Arnold Ekpé, nouveau sociétaire du fonds Atlas Mara. Et si ce n’était qu’un coup de Trafalgar de la part d’un ancien directeur général qui a fait beaucoup d’emplettes durant ses 11 derniers mois à la banque, alors qu’il était en période de préavis?
Sur la question, les divisions sont vives à l’intérieur du building en verre et en béton qui surplombe la ville de Lomé: il y a ceux, minoritaires mais puissants, qui estiment qu’il ne faut pas revenir sur le passé de peur de réveiller la bête qui dort. Face à eux, des majoritaires mais peu influents, qui claironnent dans les couloirs de la banque panafricaine qu’une mise à plat est nécessaire pour repartir sur de nouvelles bases.
Bien qu’il ne soit pas question pour l’heure de quelconques désengagements de certaines filiale -pays, des sources internes affirment à Financial Afrik que l’Afrique de l’Est est devenue un boulet pour Ecobank. Ainsi, le faible ROE des filiales zimbabwéenne et kenyane fait hurler les responsables du fonds PIC lequel fonds, avec 18%, est le premier actionnaire de l’établissement de crédit.
Le poids du PIC (150 milliards de dollars d’actifs), gestionnaire de 90% de la retraite des employés sud-africains, dans Ecobank, appellera sans doute la commission sud-africaine du marché à vouloir, à son tour, fouiner dans les comptes de la banque. Pas sûr que la SEC laisse ce lointain gendarme venir troubler son ruisseau.
Autre dossier qui fâche, les effectifs pléthoriques et le nombre de cadres de direction, véritable généraux qui rappellent l’armée mexicaine à bien des égards. La multiplication de directions, départements et divisions rend le mécanisme opératoire de prise de décision opaque pour un directeur général, certes soutenu par ses équipes immédiates, mais qui sait qu’il doit imposer ses hommes.
Or jusque-là, Albert Essien s’est fixé comme règle d’or celle de plaire à tout le monde. Les pro -Tanoh, les inconditionnels de Ekpé, les nostalgiques de Djondo sont, tous, logés à la même enseigne. Les francophones sont flattés, les anglophones gâtés. Même traitement conciliant envers Nedbank, la banque sud-africaine qui entend convertir son prêt de 285 millions de dollars en prise de participation bien avant novembre 2014 pour peu que la révision des chiffres et rapports soient pertinents. Ce rapport à la séduction fait d’Albert Essien un président normal sympathique et aimé de tous. Conséquence, les décisions tranchantes tardent.
Pendant ce temps, le marché, qui n’aime pas être contrarié, attend Ecobank au carrefour des bilans. Albert Essien s’est fixé comme ligne rouge de ne pas préconiser un plan d’austérité pourtant indispensable pour réconcilier les ratios d’exploitation de la banque et les standards en vigueur. Sans aller vers un choc frontal contre le fonds PIC (les détracteurs de M. Essien l’avaient surnommé « L’As de PIC » avant de se rétracter), M. Essien, peut-il persévérer dans son reflexe intérimaire de « je ne touche à rien » sans subir, à la longue, le retour de flamme de ses amis sud-africains? En tout cas, Ecobank qui veut lever de l’argent prochainement doit se résoudre à la douloureuse éventualité d’une coupe dans les effectifs et d’une reconsidération de sa politique d’expansion.