Sénégalais, ivoirien, etc., nombreux sont les gouvernements qui ont déjà adopté leurs projets de loi des finances, gestion 2016. Mais au Togo, l’on s’attend au mois de décembre. Voire la deuxième quinzaine du mois, comme cela a souvent été le cas. Mais qu’est ce qui explique ce retard dénoncé par moment par le Fonds monétaire international (FMI), et quelles en sont les conséquences ? Financial Afrik a mené l’enquête.
Au Togo, l’Assemblée nationale vote les projets de loi de finances dans les conditions prévues par la loi organique sur la loi de finances. Et selon cette dernière, le projet de loi de finances de l’année suivante doit être déposé au Parlement pour étude et vote, au moins quarante-cinq jours avant son adoption. Sauf que cette disposition n’est pas la plus respectée par l’exécutif togolais.
« C’est toujours le cas au Togo, où le gouvernement fait adopter à la hâte et en fin d’année, son Budget de l’année suivante », constate l’économiste Michel Nadim Kalife. « Pour ces dernières années, le projet de loi est envoyé au Parlement dans la deuxième quinzaine du mois de décembre. C’est grave », renchérit un député de la majorité parlementaire.
De l’improvisation … aux rectifications
Pour son collègue Ouro-Akpo Tchagnao (opposition parlementaire), vice-président de la Commission des Finances à l’Assemblée nationale, c’est parce que « le budget en lui-même comporte des incohérences, que les choses se font dans la précipitation, même au niveau du gouvernement ».
En effet, « cette situation qui se présente, cette année encore, pour la loi de finances 2016, laisse ressortir toute une batterie de difficultés relatives à la conception du budget, à la justification des lignes budgétaires et surtout à l’adéquation entre les affections de ressources et les priorités socioéconomiques », remarque Kwami Ossadzifo Wonyra, consultant en analyse de budget, et directeur exécutif du Centre d’étude et d’analyse des politiques publiques (CEAPP).
Et de poursuive : « Dans un contexte où la dette du pays – 54% du PIB – dépasse la moyenne communautaire, où des faits de corruption et de mauvaise gouvernance sont avérés, il n’est pas commode que le seul organe de contrôle de l’exercice budgétaire n’ait pas suffisamment de temps pour analyser et apporter des critiques constructives à la lumière des débats budgétaires. Il nous semble donc que la précipitation pour le vote du budget en fin d’année d’exercice n’est que le voile d’une improvisation qui conduit dans nombre de cas aux lois de finances rectificatives ».
Ailleurs, on attribue ce retard sans cesse inexpliqué, à un « amateurisme » et un « manque de compétences » de la cellule dédiée au Budget. « Le FMI et la Banque mondiale en avaient déjà fait le reproche au gouvernement togolais lors d’une mission spéciale en 2013, où ils ont réuni toutes les branches des finances pour constater qu’il n’y a pas assez de cadres financiers et qu’ils sont tous concentrés dans une seule cellule du secrétariat au budget, sans ramification dans les autres ministères dépensiers », rappelle Michel Nadim Kalife. « Les collectifs budgétaires à répétition de toutes ces dernières années, reflètent le caractère d’improvisation du ministère d’Ayassor qui perdure depuis 8 ans, malgré toutes ces incohérences », insiste-t-il. Mais au Ministère des Finances, on jette le tort aux différentes institutions, qui ne présenteraient pas leur Budget à temps.
Précipitation sous pressions
Et les travaux au parlement en pâtissent : « Nous n’avons pas le choix, il faut aller vite. Et pour aller vite, il y a des détails qu’on ne peut pas chercher à comprendre, ou à expliquer. Quand on vous dit d’aller vite, vous êtes obligés de fermer les yeux sur des choses qui peut-être, vont vous rattraper après », regrette Ouro-Akpo Tchagnao. De même, « nous n’avons pas le temps d’étudier le budget ministère par ministère. Parfois, les dotations ministérielles ne respectent pas l’orthodoxie financière. Il y a des ministères dont le budget évolue d’une manière exponentielle, sans explications ».
Et de donner l’exemple du Ministère de développement à la base, dont le budget est passé de 4 milliards de F CFA à 14 milliards, de 2014 à 2015. Aussi, la ligne bourses et aides du Ministère de l’enseignement supérieur, passée de 9 milliards à 7 milliards. « Les chiffres ont diminué à ce niveau, alors que le nombre d’étudiants a augmenté de plus de 15.000. Nous avons demandé d’explications au ministre, il n’en a pas données ».
Autre conséquence, tous les départements ministériels ne passent pas au Parlement, comme prévu par la loi organique des finances, pour défende leur Budget. Normal, puisqu’en dix jours, cela relève de l’impossible. Et le parlement de faire un tri. Ainsi, les députés cautionneraient, de gré ou force, l’inadéquation entre réalité des politiques publiques et les dépenses prévues. Même si la Stratégie de croissance accélérée et de promotion de l’emploi (SCAPE), document de référence de l’exécutif togolais, est mise à la touche lors de la conception de la loi des finances. « (…) On constate qu’il y a un décalage entre la SCAPE et le Budget de chaque année, aussi bien celui de 2014 que de 2015 ; ce qui est très mauvais au niveau du développement des ressources humaines et des axes porteurs de croissance », tonnait encore en début d’année, le professeur Aimé Gogué, ancien ministre du Plan, commentant le Budget de l’année en cours, rectifié mercredi 7 octobre dernier en Conseil des ministres. « … Dans ces conditions, le budget passe comme une ordonnance médicale », conclue Ouro-Akpo Tchagnao.
« Restructurer le ministère des Finances »
Dans son Rapport, la mission 2015 du FMI au Togo a relevé des insuffisances dans l’élaboration du budget.
Ainsi, l’institution appelle les autorités togolaises à adopter une stratégie, dont la priorité consistera à se concentrer sur les mesures visant à assainir la gouvernance budgétaire. Et de recommander une restructuration du ministère des Finances : « Les axes essentiels de cette réforme seraient (entre autres,) un département du budget renforcé, intégrant la préparation et le suivi du budget ainsi que les cadres budgétaires à moyen terme et la mise en place d’une cellule de politique budgétaire ».
De même, les services du FMI ont révélé que la production des données est compartimentée entre différents services et non triangulée pour en vérifier la cohérence. « (…) Le processus de préparation du budget est sapé par les informations limitées disponibles sur l’exécution du budget en cours d’année ».
Et de recommander qu’ « un plus grand accent soit mis sur la disponibilité de données cohérentes et en temps voulu pour la prise de décisions éclairées (…). La projection du budget pour l’année suivante devrait être basée sur la projection de l’exécution du budget pendant l’exercice en cours. Cela obligerait les acteurs concernés à un exercice de suivi de l’exécution du budget et à la communication entre les différents services ».
Par Nephthali Messanh Ledy