Franck KIE, Directeur général du Ciberobs Consulting, revient sur les enjeux de la cybersécurité en Afrique. Entre renforcement des infrastructures, coopération régionale et formation des talents, il expose les leviers essentiels pour bâtir une résilience numérique durable. Interview.
Financial Afrik : Qu’entend-on exactement par résilience numérique dans le contexte africain, et quels leviers activer pour la renforcer ?
Franck KIE : La résilience numérique n’est pas un concept abstrait, bien qu’il soit parfois galvaudé. Concrètement, il s’agit des mesures et stratégies que gouvernements et entreprises doivent déployer pour anticiper, se préparer et répondre aux cyberattaques. Pour nous, cette résilience repose sur trois piliers : l’investissement dans les infrastructures ; la coopération entre États et entreprises ; l’éducation et la sensibilisation des utilisateurs.
En Afrique, de nombreuses initiatives jouent un rôle catalyseur en rassemblant décideurs et experts autour de solutions concrètes.
Financial Afrik : Les crises (sanitaires, économiques, politiques) ont-elles changé la perception de la sécurité numérique par les institutions africaines ?
Franck KIE : Absolument. Prenons l’exemple du Covid-19 : l’accélération de la digitalisation dans cette époque s’est accompagnée d’une hausse des cyberattaques. Aujourd’hui, la médiatisation des incidents, comme l’attaque récente contre la Caisse nationale de sécurité sociale marocaine, renforce la prise de conscience. Les acteurs réalisent que la cybersécurité n’est plus optionnelle, mais vitale pour leurs stratégies.
Financial Afrik : L’Afrique manque de compétences en cybersécurité. Quelles priorités pour y remédier ?
Franck KIE : Trois axes sont cruciaux. Premièrement, renforcer les centres de formation existants comme les universités et écoles. Deuxièmement, investir massivement pour multiplier les infrastructures éducatives. Troisièmement, développer des formations en ligne et des hackathons pour détecter les talents. L’enjeu est d’allier présentiel et distanciel pour toucher un public plus large.
Financial Afrik : Comment accompagnez-vous la structuration de l’écosystème ?
Franck KIE : Nous sommes une plateforme de référence sur ces questions, réunissant chaque année personnalités gouvernementales, entreprises et experts. Nous favorisons un dialogue public-privé pour élaborer des standards communs, sensibiliser les dirigeants et promouvoir l’innovation et l’inclusion, notamment via des programmes dédiés aux femmes et aux jeunes talents.
Financial Afrik : Que signifie la souveraineté numérique pour l’Afrique ?
Franck KIE : Ce n’est pas une indépendance totale – illusoire – mais la capacité à choisir ses partenaires et à contrôler ses infrastructures, données et technologies. Aujourd’hui, moins de 10 % des data centers africains hébergent des données locales. C’est une faiblesse, mais aussi une opportunité : investir dans ces infrastructures renforcera notre autonomie.
Financial Afrik : Comment les institutions financières et décideurs politiques peuvent-ils sécuriser l’écosystème ?
Franck KIE : Les institutions financières doivent financer la cybersécurité comme un bien commun, à l’image des investissements traditionnels en sécurité. Les décideurs politiques doivent créer un cadre réglementaire stable pour encourager ces investissements et protéger les citoyens.
Financial Afrik : Pourquoi avoir choisi le Bénin ?
Franck KIE : Le Bénin incarne une dynamique exemplaire : stratégie nationale de cybersécurité depuis 2021, institutions dédiées au numérique, et adhésion à l’Alliance Smart Africa. Nous soulignons ainsi notre volonté de renforcer l’intégration régionale et d’incarner une Afrique jeune et innovante.
Financial Afrik : Comment abordez-vous la question de l’intelligence artificielle ?
Franck KIE : L’IA est une chance, mais exige des garde-fous éthiques. En 2023, c’était notre thème central ; cette année, un panel y sera dédié. À terme, nous envisageons un événement dédié à l’IA, pour approfondir ces réflexions.
Financial Afrik : Quel appel lancez-vous aux jeunes ?
Franck Kié : L’Afrique n’est plus le « continent du futur », mais celui du présent. Les crises globales révèlent nos atouts : la jeunesse doit saisir cette opportunité pour bâtir une économie numérique résiliente. La cybersécurité est un secteur d’avenir – impliquez-vous !