Rappelons que le contenu local d’un projet réalisé grâce à investissement direct étranger désigne les facteurs de production d’origine locale utilisés dans le processus de production par le projet. Il s’agit des équipements, de la main d’œuvre ainsi que des biens et des services utilisés comme consommations intermédiaires. Dans la leçon précédente, nous nous étions limités à analyser l’effet du contenu local en travail sur le revenu national. Dans la présente, nous allons prendre en compte aussi le contenu local en biens et services consommés par l’investissement direct étranger
Création Indirecte de Richesse par les Effets du Contenu Local
On suppose, au départ, que la République du Sahel ne dispose pas, au niveau local, de toute la main d’œuvre qualifiée ni de tous les biens et services nécessaires à l’exploitation des hydrocarbures ; Sahel Hydrocarbures (SH), société appartenant aux investisseurs étrangers à 82% et à l’Etat du Sahel à 18%, va donc utiliser de de la main locale à 70% et des biens et services locaux à 70%. Autrement dit, SH va verser 30% de la masse salariale à des travailleurs expatriés et importer 30% de la valeur de ces consommations intermédiaires (inputs ou intrants). Pour l’année 2023, année de démarrage de ses activités, Sahel hydrocarbures a réalisé une production de 1500 milliards CFA hors taxes, a payé à ses fournisseurs 600 milliards CFA. Les 600 milliards représentent donc la valeur des consommations intermédiaires (CI) de SH (matières et matériaux divers, eau, électricité, communication, sous-traitance et consultance, fournitures de bureau et informatiques, transport et déplacement, etc.). A partir de ces données agrégées, on peut calculer la valeur ajoutée brute (VAB) de SH en 2023. VAB = Production – CI = 1500 – 600 = 900. Donc SH a créé directement une richesse économique de 900 milliards CFA en 2023. Par ailleurs, elle a payé des droits de douane de 5 milliards et versés 90 milliards de TVA sur les ventes destinées au marché intérieur. Le contenu local en consommations intermédiaires de SH est de 70% : ce qui équivaut à 420 milliards CFA (70% x 600 milliards CFA). Ces 420 milliards sont donc des biens et services que SH va acheter auprès des producteurs locaux. Ainsi, pour ces derniers, ces achats vont se traduire par une augmentation de la production locale (PL) et par une augmentation de 252 milliards de VAB. En effet, le taux moyen de la VAB de l’économie du Sahel est de 60%.
Sur cette augmentation de production locale de 420 milliards CFA, l’Etat du Sahel perçoit des droits de douane et de la TVA pour les montants respectifs de 2 et 25 milliards CFA. Ainsi, grâce à l’investissement direct de SH, l’économie du Sahel a enregistré une augmentation de son produit intérieur brut de 1274 milliards CFA, alors que SH n’a créé directement que 900 milliards de valeur ajoutée brute (voir tableau ci-dessous).
Tableau : Répartition de la contribution au produit intérieur brut
SH | Entreprises nationalesImpact du contenu local | Total | |
Valeur Ajoutée Brute | 900 | 252 | 1152 |
Droits de Douane | 5 | 2 | 7 |
Taxe sur la Valeur Ajoutée | 90 | 25 | 115 |
TOTAL | 995 | 279 | 1274 |
On peut dire que l’investissement direct étranger, par ses effets directs et indirects, a contribué pour une valeur de 1274 milliards au PIB de la République du Sahel, malgré un contenu local limité à 70%. SH est le vecteur de base de cette création de richesse, même si sa contribution n’est que de 71%.
L’effet Multiplicateur de l’Investissement Direct Etranger
De ce qui précède, on peut déduire que SH, en achetant des biens et services locaux pour une valeur de 420 milliards CFA, fait gagner à ses producteurs locaux, que nous appelons fournisseurs F1, une valeur ajoutée brute (VAB) de 252 milliards CFA (60% x 420). Ces SH Entreprises nationales Impact du contenu local Total Valeur Ajoutée Brute 900 252 1152 Droits de Douane 5 2 7 Taxe sur la Valeur Ajoutée 90 25 115 TOTAL 995 279 1274 fournisseurs F1, pour répondre à la demande de SH, vont à leur tour, acheter à leurs fournisseurs F2 des biens et services. Ces derniers F2, à leur tour vont en faire de même avec leurs fournisseurs F3 ; ainsi de suite jusqu’au fournisseur Fn. Ainsi, l’augmentation de la production induite par SH va générer des vagues d’augmentation de production au sein de l’économie de la république du Sahel. Le processus s’arrêtera quand la dernière vague sera nulle…. comme la vague de la mer qui se casse sur la plage ! On voit donc que la production de SH a un effet multiplicateur sur la production locale. Quelqu’un nous dira que : …mais les fournisseurs locaux ont aussi des fournisseurs étrangers et achètent des biens et services importés ? Oui dirons-nous. En effet, les vagues d’augmentation de la production locale sont atténuées par les importations. Ces dernières constituent donc des fuites du circuit économique local et diminuent l’effet multiplicateur. Dans notre cas présent, les fuites engendrées par les importations sont captées par le paramètre m dont la valeur est de 0,3. En effet, nous considérons que 30% des biens et services de l’économie sont importés, puisque nous avons 70% de contenu local. En élargissant le raisonnement à la production totale de SH, nous obtenons un multiplicateur de production 𝐾 = 1 1−0,3 = 1,4. Théoriquement, cela veut dire que si SH augmente sa production de 1 milliard CFA, la production totale de l’économie de la République du Sahel augmentera de 1,4 milliards CFA, toutes choses égales par ailleurs. Ainsi, la production de SH de 1500 milliards CFA H.T, pour 2023 année de démarrage de ses activités, pourrait déboucher sur une augmentation totale de la production de l’économie du Sahel de 2100 milliards CFA H.T (1500 x 1,4). Ici, nous avons négligé les fuites résultant d’une partie des salaires des travailleurs expatriés de SH. Par ailleurs, les modèles d’équilibre général calculable sont plus appropriés pour estimer l’impact d’un investissement direct étranger
Comme nous l’avons démontré ici et dans la leçon précédente, l’impact de l’investissement direct étranger sur le revenu national dépasse de loin les revenus attendus par les actionnaires locaux. Le pays d’accueil maximise ses gains en maximisant le contenu local. Les pays en développement souffrent d’un manque chronique de capitaux et du gap technologique qui les sépare des pays développés. Ils doivent encourager les investissements directs étrangers. Cependant il y a un risque d’aliénation économique si les intérêts des entreprises nationales ne sont préservés.
Notice:
Le grand public a besoin de connaître certaines notions de base de l’économie. Cela facilitera la compréhension des problèmes économiques et contribuera, nous l’espérons, à la « convergence » d’idées sur les politiques économiques. Nous ne sommes pas des donneurs de leçons. Nous pensons en toute modestie que nous devons nous rendre utiles comme tout le monde en partageant du peu que nous savons.
A propos de Pr Amath Ndiaye
Prof. Amath Ndiaye est un éminent économiste sénégalais, titulaire d’un Doctorat d’État en Sciences Économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (2001) et d’un Doctorat de 3e cycle en Économie du Développement de l’Université de Grenoble, France (1987). Depuis 1987, il enseigne à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Expert reconnu, il a collaboré avec des institutions prestigieuses telles que la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, et le FMI, se spécialisant notamment dans les domaines des taux de change, de la croissance économique, et du développement institutionnel. Il a également participé au projet de mise en place de la Banque Centrale Africaine sous l’égide de l’Union Africaine. Prof. Ndiaye est l’auteur de nombreuses publications influentes, notamment sur les régimes de change et la croissance économique en Afrique de l’Ouest. Trilingue, il maîtrise le wolof, le français et l’anglais.
Pr Amath NDiaye FASEG-UCAD