Par Moubarak MOUKAILA, Directeur du Financement du Développement Durable de la BOAD.
À l’approche de la Conférence de Séville* sur les Objectifs de Développement Durable (ODD), une vérité fondamentale émerge : le financement du développement n’est plus une simple question technique. Il s’agit d’un impératif politique, stratégique et moral qui requiert une action concertée. Le manque d’investissement adéquat a des répercussions profondes, se manifestant par une instabilité accrue, un exode massif et des situations de crise.
Le continent africain regorge d’idées novatrices, de talents dynamiques et de projets porteurs d’avenir. Ce qui est attendu depuis des décennies, c’est un accès équitable et stratégique aux ressources financières nécessaires à son développement. Si les engagements pris à Addis-Abeba en 2015 ont été nombreux, la mobilisation des moyens financiers n’a pas suivi le même rythme.
Les conséquences du sous-financement se font sentir à l’échelle mondiale, comme un effet boomerang. Les domaines que nous négligeons d’investir aujourd’hui – l’adaptation au changement climatique, l’agriculture durable, les infrastructures essentielles, l’éducation de qualité – se transforment inévitablement en défis majeurs pour demain : insécurité alimentaire, mouvements de population, radicalisation et conflits.
Dans ce contexte, les méthodologies d’évaluation des agences de notation appliquées aux pays africains gagneraient à être actualisées. Une focalisation excessive sur les déficits budgétaires, une sous-estimation de l’impact de l’investissement social et des pénalités sur les dettes liées à la transition écologique peuvent involontairement freiner des initiatives pourtant viables. Des projets bancables se retrouvent ainsi bloqués en raison de la notation souveraine.
Les banques publiques de développement, à l’instar de la BOAD (Banque Ouest Africaine de Développement), jouent un rôle crucial. Elles innovent, elles s’adaptent, elles financent la résilience. Cependant, elles opèrent dans un cadre de standards internationaux qui peuvent limiter leur potentiel de mobilisation de fonds. On attend d’elles qu’elles agissent avec la rigueur du secteur des banques commerciales tout en assumant des missions publiques à fort impact social et environnemental.
Comment parvenir à un développement durable si les institutions mandatées pour le soutenir sont contraintes par des logiques de rentabilité à court terme ?
La suspension de l’aide de l’USAID est un signal des complexités du paysage mondial, où l’assistance au développement peut être perçue comme un instrument géopolitique. Il est crucial de reconnaître que dépendre indéfiniment des ressources bilatérales fluctuantesreprésente une vulnérabilité.
L’Afrique aspire légitimement à renforcer son autonomie financière à travers des mécanismes innovants tels que les marchés de capitaux verts, les swaps de dette en investissements climatiques et les émissions d’obligations souveraines durables. Pour concrétiser ces opportunités, un espace budgétaire adéquat, des partenariats équilibrés et une confiance mutuelle sont indispensables.
Le manque d’investissements significatifs dans une agriculture durable a des conséquences directes sur l’emploi des jeunes en milieu rural. L’absence d’opportunités dans les secteurs verts contribue à un chômage endémique. Le manque de perspectives peut malheureusement rendre certains plus vulnérables aux discours extrémistes ou les pousser à entreprendre des migrations périlleuses. Ainsi, un déficit d’investissement se traduit en défis sécuritaires et migratoires.
Il est essentiel de souligner que chaque dollar investi judicieusement dans l’éducation, les infrastructures résilientes au climat ou l’entrepreneuriat local peut potentiellement éviter des dépenses dix fois supérieures liées à la gestion de crise, à l’aide humanitaire ou au contrôle migratoire.
La Conférence sur les ODD à Séville offre une occasion impérative de transcender une diplomatie symbolique. Elle doit marquer un tournant décisif, une prise de conscience collective : si les pays africains ne reçoivent pas un soutien financier à la hauteur de leurs ambitions, c’est la stabilité globale qui est mise en péril.
Il est impératif de renforcer les banques publiques de développement, de réformer les pratiques des agences de notation, de faciliter les flux financiers et de repenser les conditionnalités. Il en va de la cohérence de nos actions et du respect des principes de justice.
Loin d’être un continent nécessitant uniquement une assistance, l’Afrique est un acteur central de la stabilité mondiale. Ce qu’elle attend de la Conférence de Séville, ce ne sont pas de simples déclarations d’intention, mais des instruments concrets, des fonds accessibles et des partenariats fondés sur la sincérité.
Il est temps de dépasser une approche paradoxale où l’on hésite à investir dans la prévention pour ensuite faire face aux urgences. Un changement de paradigme est nécessaire pour briser ce cycle.
Car cet effet boomerang du sous-financement et ses répercussions se font sentir avec une acuité croissante.
À propos de Moubarak Moukaila
Moubarak Moukaila est Directeur du Financement du Développement Durable à la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD). Fort de plus de 17 ans d’expérience, il pilote les initiatives régionales en matière de finance climatique, de marchés carbone et d’intégration des Objectifs de Développement Durable (ODD) dans les stratégies de développement.
Macroéconomiste de formation, il a occupé plusieurs postes stratégiques au sein de la BOAD, où il a contribué à la structuration de mécanismes de financement innovants au service des pays de l’UEMOA. Il coordonne également les travaux de l’Alliance Ouest-Africaine sur les Marchés Carbone et la Finance Climat, avec un engagement marqué dans l’accès aux fonds climatiques, la création d’outilsfinanciers’ durables et le renforcement des capacités nationales.
Diplômé en finance et en économie des universités de Boston et de Suffolk (États-Unis), Moubarak Moukaila conjugue expertise technique, leadership institutionnel et diplomatie climatique pour porter une vision ambitieuse du développement durable en Afrique de l’Ouest.
Notes de la rédaction
*La quatrième Conférence internationale sur le financement du développement(FfD4), prévue du 30 juin au 3 juillet 2025 à Séville, s’annonce comme un tournant décisif pour repenser les mécanismes financiers mondiaux au service du développement durable. Dix ans après l’Agenda d’Addis-Abeba, cette rencontre vise à répondre aux défis actuels : crise de la dette, inégalités croissantes, urgence climatique et fragmentation des financements.