Par Aboubakr Barry, directeur général de Results Associates, société de conseil en gestion financière basée à Bethesda, Maryland, États-Unis.
Un audit de la Cour des comptes du Sénégal a révélé des révisions significatives des données fiscales de 2019 à 2023. Le déficit budgétaire moyen a été révisé à la hausse à 5,6 % du PIB, et la dette du gouvernement central a grimpé à 99,7 % du PIB d’ici la fin de 2023, un grand saut par rapport aux 74,4 % précédemment rapportés. Cet ajustement provient de dettes non divulguées totalisant 25 % du PIB (6,75 milliards de dollars / 3,1 trillions de CFA), confirmées plus tard par le FMI le 26 mars 2025.
Bien que le Sénégal soit responsable de la mauvaise communication, l’incapacité du FMI à détecter ces incohérences malgré des années de surveillance soulève de sérieuses questions sur ses contrôles internes. Cela est particulièrement surprenant compte tenu du bureau du FMI à Dakar et de ses vastes ressources techniques.
Ce n’est pas la première fois que le FMI manque une dette cachée. En 2016, le Mozambique a admis avoir dissimulé 1,37 milliard de dollars en prêts extérieurs (10,6 % de son PIB de 2015), violant l’article VIII, section 5 des règles du FMI, qui nécessitent un reporting financier précis. Le FMI a suspendu son soutien jusqu’à ce que des réformes soient faites, mais le cas du Sénégal montre que ces problèmes persistent. Les deux pays étaient sous des programmes du FMI, mais leurs situations étaient différentes :
La dette cachée du Mozambique concernait des projets maritimes.
Les passifs cachés du Sénégal provenaient en partie de partenariats public-privé (PPP) pour les infrastructures.
Entre 2018 et 2023, le FMI a vérifié les finances du Sénégal plusieurs fois et a émis des rapports complets comprenant des Mémorandums de compréhension technique qui spécifiaient des exigences de reporting détaillées :
Le rapport de 2019 (n° 19/27) a décrit les obligations de reporting fiscal (pp. 71–78).
Le rapport de 2022 (n° 22/8) a introduit des exigences de transparence renforcées (pp. 84–91).
Les rapports de 2023 (n° 23/30, 23/250) ont spécifié des protocoles de données (pp. 72–80, 99–107).
Malgré ces mesures, la déclaration du FMI de mars 2025 a blâmé la mauvaise communication uniquement sur le Sénégal : « Ces constatations révèlent de graves lacunes dans les contrôles budgétaires et le reporting financier public, soulignant la nécessité de réformes urgentes… L’équipe a cherché à mieux comprendre l’ampleur de la mauvaise communication et les lacunes légales, institutionnelles et procédurales qui ont permis cela. Les discussions ont également porté sur l’identification de mesures correctives pour renforcer la supervision budgétaire et prévenir leur récurrence. »
L’article VIII, section 5 exige des États membres qu’ils reportent avec précision, mais le FMI doit également vérifier les données par des audits ou des contrôles par des tiers (comme les banques créancières et les porteurs d’obligations).
Des questions clés qui nécessitent des réponses incluent :
- Le FMI a-t-il audité les soumissions du Sénégal ou les a-t-il seulement approuvées sans vérifier ?
- Quelles sont les lacunes entre les données rapportées et les indicateurs de sous-estimation de la dette ?
- Comment quatre évaluations ont-elles pu manquer des incohérences maintenant considérées comme évidentes ?
- Quelles réformes le FMI adoptera-t-il pour empêcher cela de se reproduire en Afrique subsaharienne ?
- Le personnel sera-t-il tenu responsable de ces lacunes de supervision ?
Le refus de responsabilité du FMI est inquiétant. Les mesures d’austérité liées aux dettes cachées nuisent de manière disproportionnée aux populations vulnérables. Au Mozambique, les prêts cachés ont coûté des milliards en perte de croissance du PIB et ont précipité 2 millions de personnes dans la pauvreté (selon le livre Meltdown: Greed, Scandal, and the Collapse of Credit Suisse par Duncan Mavin).
Le Sénégal fait maintenant face à des risques similaires : l’explosion de sa dette pourrait forcer des coupes dans les programmes sociaux, y compris l’initiative de santé universelle (Couverture Maladie Universelle).
Pour prévenir la mauvaise communication fiscale récurrente, le FMI doit :
- Réaliser un audit transparent de sa supervision au Sénégal, évaluer si le personnel a ignoré les signaux d’alerte (comme des ratios de service de la dette incohérents), et publier les résultats.
- Réformer les processus de reporting avec des métriques étalonnées pour la transparence budgétaire.
- Imposer des pénalités pour mauvaise communication afin de dissuader des comportements fiscaux imprudents.
Conclusion
Les révélations de la Cour des comptes du Sénégal mettent en lumière des défauts significatifs tant dans le reporting fiscal du pays que dans les mécanismes de supervision du FMI. La dette cachée et les incohérences fiscales sapent non seulement la confiance dans la gouvernance financière, mais posent également de graves risques pour les programmes sociaux et la stabilité économique. Pour éviter que de tels problèmes ne se reproduisent, il est crucial que le FMI réalise des audits transparents, réorganise ses processus de reporting et impose des pénalités pour mauvaise communication. La responsabilité et la réforme sont essentielles pour garantir que le FMI remplisse sa mission de promotion de la stabilité financière mondiale et d’allègement des souffrances. En s’attaquant à ces défauts systémiques, le FMI peut mieux soutenir des pays comme le Sénégal dans la recherche d’une croissance économique durable et d’un développement.