Entretien exclusif depuis Nouakchott. Les 5 et 6 mai 2025, à Nouakchott, Sidi Ould Tah a dévoilé avec conviction les quatre piliers de sa vision pour la Banque Africaine de Développement (BAD). Au lendemain d’un dîner-débat présidé par le ministre des Finances, en présence de ses principaux soutiens, le président sortant de la BADEA (Banque Arabe pour le Développement Économique en Afrique) s’est livré en exclusivité sur les fondements de son ambition.
Homme d’action au verbe mesuré, comme le décrit Frannie Leauter, membre de son équipe de campagne aux côtés de Thierry Hott, Ould Tah vise un véritable changement d’échelle. Objectif : multiplier par dix les approbations et les décaissements annuels de la BAD, aujourd’hui plafonnés à respectivement 10 et 5 milliards de dollars. « C’est loin d’être suffisant face aux immenses besoins du continent », tranche-t-il. Infrastructures, climat, développement : les besoins africains s’élèvent à plusieurs centaines de milliards de dollars. Pour y répondre, Sidi Ould Tah appelle à un bond qualitatif de l’institution.
L’expérience parle pour lui. À la tête de la BADEA, il a réussi à multiplier par 12 les approbations et par 8 les décaissements. « L’enjeu n’est pas seulement d’augmenter le capital, mais de mieux mobiliser notre bilan. Il faut un effet de levier massif. » Et ce levier passe, selon lui, par des alliances stratégiques avec d’autres institutions africaines – Afreximbank, Africa Ré, AFC – aujourd’hui trop dispersées. Il plaide pour une réforme de l’architecture financière du continent, articulée autour d’une BAD fédératrice.
Cap sur les financements innovants
Ould Tah veut ouvrir les vannes des financements privés. Fonds de pension (2 000 milliards de dollars sous gestion), fonds souverains – notamment du Golfe –, assurances, diaspora : tous sont appelés à contribuer à la transformation du continent. « À nous de créer les conditions et les outils pour canaliser ces ressources », insiste-t-il, soulignant le rôle-clé de l’ingénierie financière.
Il critique aussi la lenteur des décaissements actuels de la BAD, souvent bloqués par la faiblesse des capacités des États à monter des projets bancables. « Il faut renforcer les compétences. J’ai été des deux côtés de la table : du côté des bailleurs comme de celui des porteurs de projets. Je sais ce qu’il faut améliorer. » Pour fluidifier l’écosystème, il propose aussi une meilleure coordination entre les institutions de garantie comme ATIDI, FSA, AFG ou Fagace. Et pourquoi pas, à terme, une grande agence panafricaine de garantie ? « Mais cela ne peut se faire sans une synergie efficace entre les acteurs existants », tempère-t-il.
Une vision globale : jeunesse, productivité, climat
Au cœur de son programme : la jeunesse, l’emploi et le secteur privé. Ould Tah promet la création d’une structure dédiée au financement du privé, ainsi qu’un soutien massif aux PME. Il entend aussi s’attaquer au déficit d’infrastructures et à la faible productivité, notamment dans l’agriculture, où les rendements à l’hectare ne représentent qu’un tiers de la moyenne mondiale. « L’Afrique a les moyens de devenir l’usine du monde. Mais il faut augmenter la productivité. »
L’accès universel à l’électricité est une autre priorité. « Notre objectif, c’est le M600 », dit-il, en référence à une initiative ambitieuse d’accès massif à l’énergie.
En plus des 4 piliers évoqués, son programme est complété par trois axes transversaux : la lutte contre le changement climatique, l’adoption des technologies de pointe – intelligence artificielle en tête – et les énergies renouvelables. Il évoque même un potentiel de plus de deux millions d’emplois en télétravail pour les jeunes Africains.
Réformer la BAD, changer le récit
Pour être à la hauteur, la BAD devra se réformer en profondeur : réduire les délais d’exécution des projets, professionnaliser les unités de gestion, attirer les meilleurs talents. Il propose aussi d’impliquer les médias pour assurer un retour de terrain sur les projets et contribuer à « changer le narratif » africain.
Lucide, ambitieux, résolument tourné vers l’action, Sidi Ould Tah veut faire de la BAD le catalyseur d’une transformation africaine à grande échelle.