Par Lauric NGOUEMBE
Depuis 2014, les finances publiques de la République du Congo sont exengues, seulement trois (3) ans après l’annulation massive de sa dette de 80%. Comme d’habitude, ses autorités évoquent de nouveau, tel un refrain, les facteurs exogènes notamment le ralentissement de la production de pétrole et la chute du prix du baril comme si depuis 1973, année du premier choc pétrolier, elles ne disposent d’aucun modèle de prévision ou de projection des variables macro-économiques, en général, et des activités du secteur pétrolier, en particulier. Autorités rêveuses et inconscientes de multiples syndromes déjà théorisés, en lien avec l’activité pétrolière et sa corrélation avec la volatilité des cours du baril, des matières premières et du dollar US.
Encore et encore, des facteurs exogènes. Mais, quels sont réellement les efforts nationaux de réformes économiques et financières entrepris depuis la crise de 2014 ? Quelles solutions le Congo a apportées à son épineux problème de dette publique ? Quels sont les fondements théoriques de ces solutions ? Comment les mécanismes desdites solutions servent-ils d’exemple aux autres pays surendettés, pendant que les autorités congolaises passent à côté de réelles opportunités ?
Autant de questions qui nécessitent de réponses en quatre (4) points : i)- opportunités de recours au marché des capitaux et dérapages constatés, ii)- thérapie pour la situation de la dette publique de la République du Congo, iii) – Programme national de l’optimisation de la trésorerie (PNOT) : fondements théoriques, principes et mécanismes, et iv)- PNOT comme modèle à mettre en œuvre par d’autres pays surendettés.
1. Opportunités du marché des capitaux sous-régional et dérapages constatés.
« En 2017, la situation de la dette de la République du Congo est devenue insoutenable et le pays s’est résolu à conclure un accord avec le FMI au titre e la Facilité élargie de crédit. » (Jean-Baptiste ONDAYE, ministre de l’économie et des finances, Bulletin statistiques de la dette publique, CCA, mars 2024). A partir de cette année, les autorités découvraient, comme un jeu d’enfant, les opportunités qu’offre le marché des capitaux sous-régional et la levée des fonds par émission de bons de Trésor et assimilables ainsi que l’emprunt obligataire. Très timide au début, l’appétit venant en mangeant, cette oseille, succulente, accélérera son rythme de recours au marché de capitaux sous-régional quasiment tous les 15 jours, pour lever des dizaines de milliards de FCFA. Heureusement, il s’agit là d’un endettement en devise locale, le Franc CFA, éliminant ainsi tout risque de change qui, auparavant, grevait le coût et donc le service de la dette extérieure. De 2017 à 2024, la dette publique a augmenté de 43,60%, passant de 5.940,94 milliards de FCFA (118% du PIB) à 8.530,90 milliards de FCFA (94,74% du PIB) pendant que la part de la dette publique intérieure (en devise locale) est passée de 1.858,68 milliards de FCFA à 5.179,33 milliards de FCFA, soit une augmentation de 178,66% en sept (7) ans. La pression des engagements financiers de l’Etat sur ses ressources propres demeure exorbitante.
Les dépenses publiques, quant à elles, pour la même période, ne faiblissent pas, pendant que les ressources propres de l’État s’effondrent et les déficits publics se sont accélérés. Aucune option de mesures simultanées de diminution des dépenses publiques ostentatoires, d’une part, et d’augmentation des recettes budgétaires, d’autre part, n’est envisagée au mépris de toute règle de gestion rationnelle des finances publiques.
L’argent facile sur le marché sous-régional, incitation à l’endettement de marché par le biais des rétroversions de quotes part du produit des levées de fonds induisant l’éviction de la maximalisation de la mobilisation des recettes fiscales et douanières, choix budgétaires hasardeux, ont enfoncé un peu plus, chaque année, les finances publiques congolaises dans criticité. Les défauts de paiement se multiplient, les arriérés de la dette s’accumulent et le stock de cette dernière ne fait que s’enfler sans que les autorités congolaises ne sourcillent ou ne s’en inquiètent.
2. L’hydre de la dette : Y-a-t-il une thérapie pour le Congo ?
Avec l’arrivée du Ministre ANDELY Rigobert Roger, en mai 2021, la guerre contre l’« oseille facile » du marché des capitaux est ouverte. A peine commencé cette guerre, ses adversaires crieront, victoire 15 mois plus tard, lorsqu’il est éjecté du gouvernement. Son message ou consigne, passé (e) avec insistance à son successeur, le Ministre Jean-Baptiste ONDAYE, lors de séquence de passation de service en dit long. Avertissement ?
Le ministre entrant en prend avec sérieux la mesure. Il est prêt à sacrifier son poste pour emboîter le pas de son prédécesseur en matière de gestion rigoureuse de la dette, et il va aller plus loin sur tous les fronts. Trop loin, pour certains. Il veut gagner du temps. Des réformes tous azimuts avec comme vision, « devenir le vecteur de la bonne gouvernance économique et financière du Congo à l’horizon 2026 » et changer la culture budgétaire des gouvernants, mais sans compter avec les adversaires de la bonne gouvernance. Son paradigme pour la réforme : la gestion axée sur les résultats et le management de la performance, au travers de la valorisation des cadres mis en concurrence par un système d’appel à candidature pour accéder aux fonctions dans les structures sous tutelle. Le mérite est mis donc en avant, certes avec quelques failles au démarrage, mais avec beaucoup de transparence. Les médiocres inquiets, anxieux, se braquent avec la bénédiction de certaines hautes autorités. Les postes de hauts fonctionnaires sont mis à concurrence, mais les signataires habilités se refusent de jouer ce jeu pour accéder aux hautes fonctions de l’administration. La gestion axée sur les résultats et la gestion de la performance n’intéressent personne, même sa hiérarchie immédiate. Statut quo ? Le Ministre Jean-Baptiste ONDAYE le dénie et veut bouger les lignes en opérationnalisant le programme national d’optimisation de la trésorerie (PNOT) en octobre 2024, un vrai chef-d’œuvre de la finance oni par le gouvernement de la République du Congo.
3. Un coup de génie de l’ingénierie financière, le PNOT : fondements théoriques, principes et mécanismes de mise en œuvre.
Le PNOT est le résultat de la mise en œuvre d’une approche efficiente et anticipative de la gestion de la dette publique, fondée sur des concepts, des principes et des mécanismes financiers en lien avec la théorie financière et les modèles d’anticipation rationnelle.
Il sied ainsi de comprendre au préalable ces concepts et ces principes théoriques ainsi que ces mécanismes financiers, avant de chercher à cerner le contexte et les contours de leur mise en œuvre pour réaliser le PNOT en République du Congo.
Pour ce faire le présent paragraphe s’articule en deux points : i)- définitions et fondements théoriques du reprofilage de la dette, et ii)- principes et mécanismes de mise en œuvre du PNOT.
- Définitions et fondements théoriques du PNOT.
Selon la Banque mondiale, le reprofilage de la dette consiste à modifier les conditions de remboursement d’une dette existante, généralement en allongeant la maturité, en réduisant les taux d’intérêt ou en rééchelonnant les paiements, sans réduction du principal. Son objectif principal est d’améliorer la soutenabilité de la dette publique en réduisant les pressions de liquidité à court terme et en diminuant le risque de refinancement.
Autrement dit, il s’agit d’une anticipation sur la gestion du risque de refinancement en allongeant la maturité de la dette, ce qui permet de lisser le profil de remboursement, de réduire la concentration des échéances et, donc, de limiter le risque de devoir refinancer une grande partie de la dette en période de tension sur les marchés. En conséquence, ce mécanisme permettrait éventuellement de substituer une dette coûteuse à court terme par une dette à plus long terme et à taux plus ou moins bas et, donc, la réduction du coût du service de la dette, tout en générant des économies budgétaires immédiates. Autant, il favorise l’adaptation de la structure de la dette (part en devise locale, taux d’intérêt fixe/variable, maturité) en vue de mieux maîtriser l’exposition aux variations de taux d’intérêt et de change, qui peuvent affecter la charge de la dette.
Cette littérature trouve ses fondements théoriques dans la théorie du surendettement (debt overhang), l’approche bilancielle (économique, institutionnelle et financière) de la gestion de la dette publique et la théorie de la soutenabilité (DSA – Debt Sustainability Analysis) et solvabilité de la dette. En fait, un niveau élevé de dette publique (surendettement) peut freiner la croissance économique, car le service de la dette réduit les ressources pour la consommation et/ou détourne l’épargne disponible pour l’investissement (effet d’éviction de Ricardo) et limite ainsi la croissance économique à long terme. L’effet d’éviction du surendettement est donc un frein à l’investissement productif et à la croissance future. Le reprofilage vise alors à restaurer la viabilité de la dette sans passer par une restructuration plus lourde. Ainsi, la gestion de la dette doit être envisagée dans une logique d’équilibre entre actifs et passifs publics, en tenant compte de la capacité future de l’État à générer des recettes pour honorer ses engagements. Ce qui s’inscrit dans une démarche visant à garantir que la valeur actuelle des excédents budgétaires futurs soit suffisante pour couvrir le service de la dette, sans nécessiter d’ajustements macroéconomiques irréalistes.
Par ailleurs, selon la théorie néoclassique (Robert Barro), les agents économiques anticipent que la dette publique sera remboursée par des hausses d’impôts futures. Ils augmentent donc leur épargne en prévision, annulant ainsi l’effet de relance de la dette sur l’investissement et la consommation. La dette publique n’a donc pas d’effet net sur la demande globale. Elle insiste sur la nécessité que le taux de croissance économique soit supérieur au taux d’intérêt de la dette pour garantir sa soutenabilité. Si ce n’est pas le cas, la dette devient insoutenable et peut justifier des opérations de reprofilage pour éviter une crise de paiement.
En somme, les mécanismes décrits ci-dessus sont assujettis à l’efficience (informationnelle et opérationnelle – E.F. Fama (1965), M.C. Jensen (1978)) et de la rationalité des agents économiques sur le marché de capitaux (parfait ou imparfait), entre autres, au sens des théories économiques classiques, néoclassiques et keynésiennes. Ils doivent prendre en compte la diversité des risques associés et le besoin de rationalité de la gestion du portefeuille des titres ainsi que les gains y afférents. Le reprofilage de la dette repose donc sur des fondements théoriques liés à l’anticipation et à la gestion des risques financiers, à la soutenabilité budgétaire et à l’optimisation du coût de la dette, avec pour objectif central de préserver la stabilité macroéconomique et la crédibilité de l’émetteur de titres sur les marchés financiers.
- Cas empirique : principes et mécanismes du PNOT mis en œuvre par le Congo.
L’opération de reprofilage de la dette publique en République du Congo s’effectue dans un contexte de vulnérabilité financière et a permis d’éviter des défauts de paiement tout en maintenant la confiance des investisseurs et des créanciers institutionnels, grâce à une crédibilité internationale et à des garanties solides (valorisation fiable des assets miniers et pétroliers) ainsi qu’à la gestion prudente du risque de refinancement et de défaut et à la préservation de la solvabilité de l’État, en cohérence avec l’idée initiale de limiter l’impact négatif de la dette sur la croissance et la stabilité macroéconomique et d’éliminer l’effet d’éviction et les tensions de trésorerie.
En fait, en réalisant le programme national d’optimisation de la trésorerie (PNOT), le Ministre Jean-Baptiste ONDAYE a donné le tournis aux experts du FMI. Quant à ses collègues ministres, cogestionnaires des questions de la dette et de la mobilisation des ressources publiques, ceux-ci n’y croyaient pas. Ces derniers ont même tenté de forcer l’annulation de l’opération, au mépris de toute règle de patriotisme. D’aucuns n’imaginaient et ne comprenaient le mécanisme de ce coup de génie, dénommé PNOT. De quoi s’agit-il ?
Une conception théorique adéquate intègre les concepts, les principes et des mécanismes financiers décrits plus haut dans le contexte actuel d’endettement de la République du Congo. Plus de 8.500 milliards de FCFA de dette publique, dont 87% de dette extérieure en 2020, la part de celle-ci est descendue à 41% pendant que la dette de marché (en FCFA) atteint 59% en 2024, avec plus de 50% souscrits par les institutions financières (notamment les banques et assurances). Le portefeuille comprenait 2.314 milliards de FCFA de titres (OTA et BTA), soit plus de 30% de l’encours des titres publics de la CEAMAC, à honorer sur une durée moyenne de 2,6 ans, à fin septembre 2024. En outre, 1.678 milliards de FCFA de remboursements concentrés sur 2 ans, à l’horizon 2026. Ces contraintes exerçaient une pression considérable sur les finances publiques. L’État s’endette pour « manger » (salaires des agents publics et fonctionnement des services) et refinancer le service de sa dette. Le stock total de la dette publique atteint 99% du PIB en 2023 et 94,74% en 2024.
Courant 2023 même, le Ministre Jean-Baptiste ONDAYE s’en inquiète et commence par analyser la structure de cette dette et son évolution, pour identifier les composantes les plus nuisibles de la trésorerie, afin d’amorcer un délestage rapide du poids de celles-ci et libérer les espaces budgétaires à court (moins de 3 ans), moyen (3-6 ans) et long terme (6-10 ans). Ensuite, il va entamer les négociations avec la BEAC et les institutionnels (banques et autres) détenteurs des titres du Trésor congolais quasiment échus. Il leur propose le rachat de leurs créances par l’échange des anciens titres avec les nouveaux, sans changement de coût donc du service de la dette et sans augmentation du stock de celle-ci.
En revanche, les créanciers opposent le besoin de couverture du risque de l’opération dont la garantie est assurée par la centralisation de toutes les ressources publiques à la BEAC, notamment le produit de la libération de quelques cargaisons de pétrole antérieurement hypothéquées pour rembourser la dette des traders suisses, presqu’en cours d’instinction, produit qui sera reversé dans un compte séquestre ouvert dans les livres de la BEAC.
Cette dernière, en acceptant d’appliquer le taux de pondération du risque nul (zéro), annihile les coûts additionnels de cette opération de refinancement et donc tous frais supplémentaires pouvant grever la charge de la dette de marché. Quant au niveau du stock de la dette, il demeure inchangé. Pendant la souscription des nouveaux titres du Trésor par les acteurs institutionnels, l’engouement de ces derniers a dépassé toutes les attentes et permis d’engranger plus de 250 milliards de FCFA en argent frais dans les caisses de l’État pendant que le paiement 1.314 milliards de FCFA des anciens titres échus échangés est différé suivant les différentes nouvelles échéances (3, 6 et 10 ans). Ainsi, la durée moyenne de vie des OTA a augmenté à 7,4 ans, contre 2,6 ans en septembre 2024. Au lieu de faire face à 100% du paiement des titres (anciens) à date échue, le Congo allait désormais ne payer que 40% en moyenne du montant du service de la dette initial dû. Les 60% restants représentent l’ouverture d’un espace important de trésorerie. Entre septembre et octobre 2024, c’était la fête des salaires et des arriérés sociaux. La joie devant les distributeurs automatiques, l’euphorie. Les bénéficiaires n’ont aucune idée de l’origine réelle de cette cuvée.
- Le PNOT, un exemple à suivre par les autres pays africains surendettés.
Comme le Congo, le Gabon était parmi les trois pays les plus endettés de la CEMAC. Ses indicateurs macro-économiques et financiers étaient très critiques. Les notations internationales de la crédibilité de sa gouvernance économique et financière n’étaient pas luisantes. Les autorités gabonaises vont opérer sur les traces du Congo pour arracher leur dernière revue de programme avec le FMI. Si le Congo a réussi avec ce schéma d’ingénierie financière, pourquoi pas le Gabon, où le PNOT a pris le nom d’« OPÉRATION MOUELE. » D’autres pays comme le Cameroun et la Centrafrique sont sur le point d’opter pour le même mécanisme.
Plus de 1.500 milliards de FCFA en jeu, de dette reprofilée, assortis d’un « bonus » du produit (plus de 300 milliards de FCFA) de la vente de nouveaux titres du Trésor échangeables sur le marché des capitaux sous-régional. C’est le résultat de l’opération de reprofilage que vient de réaliser la République gabonaise, il y a quelques semaines, à l’identique de sa consœur, la République du Congo. Il ressort que cette opération a même été adoubée par le FMI, qui a fini par conclure avec succès la dernière revue de son programme de Facilité Élargie de Crédit conclu avec ce pays dans le sillage de la CEMAC.
A la différence de la République du Congo, les 300 milliards de FCFA de bonus (contre 250 milliards de FCFA pour le Congo) ont servi à financer le budget d’investissement (prévu à environ 400 milliards de FCFA) de la République du Gabon. De grands projets structurants vont ainsi voir le jour et transformer le paysage économique et social de ce pays dans quelques mois voire dans quelques années, selon les indications de son gouvernement.
Conclusion
Le PNOT et l’OPÉRATION MOUELE, ou autres, sont désormais des synonymes dans le monde de la finance sous-régionale. Un mécanisme innovant de refinancement de la dette de marché en monnaie locale, avec le moins de risques possibles. Pendant que le Gabon excelle dans l’usage de ce mécanisme, au Congo les regards sont orientés ailleurs. Les défauts de paiement continuent de se multiplier. La faillite est aux portes du trésor congolais. Orgueil, égo, ignorance ? Apprendre et copier, ce n’est pas mal non plus. Les autorités congolaises devraient faire l’effort d’améliorer et de parfaire leur gestion, renforcer le train des réformes dans les domaines de l’économie et des finances publiques, au cœur du développement de leur pays, et soulager les souffrances pour le bien-être de leurs concitoyens.
Désormais, le PNOT et l’OPÉRATION MOUELE feront Ecole dans la sous-région voire au-delà. Ils devraient faire l’objet d’une théorisation approfondie et d’une large vulgarisation dès lors que, de plus en plus, le recours au marché de capitaux, pour financer les économies africaines, est devenu un passage obligé. Fini les conditions d’endettement imposées et plutôt asservissantes, grâce à l’opportunité qu’offrent les outils comme le PNOT et l’OPÉRATION MOUELE.
Lauric NGOUEMBE,
Docteur ès sciences économiques,
Expert Consultant en finances publiques,
Cabinet ITONGA Consulting & Co.
Congo – Brazzaville.