Par Baptiste-Junior Andely-Beeve, spécialiste en développement de PME et analyste économique.
Et si le moment était venu de bousculer nos vieilles recettes économiques ? Face aux incertitudes des marchés et à la dépendance persistante aux hydrocarbures, le Congo-Brazzaville a besoin d’un instrument de rupture. La réforme du Fonds Congolais d’Investissement en un Fonds Souverain d’Impact peut devenir ce levier disruptif, capable d’ancrer une croissance durable, inclusive et souveraine.
Alors que les prix du pétrole chutent à nouveau sur les marchés mondiaux, le Congo-Brazzaville est confronté à une vérité qui ne peut plus être contournée : notre modèle économique reste dangereusement dépendant des fluctuations externes. Plus de 60 % de nos recettes publiques et 85 % de nos exportations sont encore aujourd’hui liées aux hydrocarbures. Face à cette vulnérabilité structurelle, l’inaction n’est plus simplement une erreur : elle devient une faute stratégique. Il est temps de réinventer nos instruments économiques, de mobiliser les leviers que nous possédons déjà, mais que nous avons laissés s’endormir. Parmi eux, le Fonds Congolais d’Investissement (FCI), institué en 2014, mérite d’être revisité et réorienté en profondeur.
Dans le contexte actuel de transition mondiale, le Congo ne peut plus se contenter d’un simple fonds de placement passif. C’est pourquoi nous proposons de transformer le FCI en Fonds Souverain Congolais d’Impact (FSCI), un instrument stratégique qui répond à une triple exigence :
- Un rendement économique durable : chaque investissement du fonds doit générer un retour mesurable, permettant de renforcer les capacités budgétaires de l’État ;
- Un impact social structurant : en soutenant directement la création d’emplois, l’insertion professionnelle des jeunes, la structuration des PME et la modernisation des chaînes de valeur locales ;
- Un bénéfice environnemental concret : pour orienter nos choix de développement vers des solutions respectueuses de notre biodiversité et de nos ressources naturelles.
Ce repositionnement n’est pas qu’un changement d’étiquette, mais bien une réforme en profondeur. Il s’agit d’abandonner une logique de rente pour entrer dans une économie de création de valeur locale.
Le Congo est l’un des pays les plus boisés d’Afrique, avec près de 65 % de son territoire recouvert de forêts. Pourtant, nous captons moins de 0,1 % de la finance climatique mondiale, malgré notre rôle vital dans la lutte contre le changement climatique. Le FSCI doit devenir la passerelle entre nos ressources écologiques et les mécanismes financiers internationaux, en mobilisant des capitaux verts pour des entreprises de production d’énergie, d’écotourisme, des chaînes de valeur agroécologiques, la transformation du bois et le numérique dans les zones économiques spéciales, les rendant ainsi plus attractives.
Au-delà du développement, ce fonds pourrait aussi servir de stabilisateur macroéconomique. En cas de choc, comme la récente chute de 30 % des recettes pétrolières, il permettrait de protéger les couches les plus vulnérables et d’éviter un effondrement de la demande intérieure. Il ne s’agit pas ici de distribuer des aides sociales, mais de soutenir la production locale, l’innovation et la résilience économique.
Un mécanisme de cofinancement public-privé pourrait être mis en place dans les zones économiques spéciales, pour accompagner les jeunes entrepreneurs, les coopératives agricoles ou les start-up du numérique et de la logistique. Chaque franc injecté doit produire un effet multiplicateur mesurable, traçable et évaluable dans le temps.
Les entreprises pétrolières et minières présentes au Congo ont un rôle à jouer dans ce nouveau modèle. Non pas par obligation fiscale, mais dans le cadre de contributions volontaires orientées vers l’impact. En finançant une part des projets du FSCI, elles renforceraient leur ancrage local et gagneraient en acceptabilité sociale, en cohérence avec leurs engagements ESG (Environnement, Social, Gouvernance).
Il serait aussi judicieux d’intégrer des organisations patronales telles qu’Uni Congo au conseil d’administration du fonds. Cela garantirait une meilleure coordination public-privé et rassurerait les partenaires internationaux en termes de gouvernance, de transparence et de redevabilité.
Le FSCI pourrait également mobiliser la diaspora congolaise en tant qu’investisseur stratégique. Une obligation souveraine rémunérée à 5 % sur 10 ans, adossée à des projets traçables et rentables, pourrait attirer des flux importants. Ce ne serait pas un acte de charité, mais une opportunité d’investissement structuré, dans un cadre digitalisé et sécurisé, avec des rendements et un impact visibles.
Il est temps de sortir de la logique de dépendance. Le Fonds Souverain Congolais d’Impact n’est pas un luxe, mais une nécessité. Il pourrait devenir l’épine dorsale d’un développement économique plus autonome, inclusif et vert, à condition d’être bien gouverné, bien financé et bien orienté.
Le Congo mérite un instrument de cette ambition. Car c’est maintenant, et non dans dix ans, que nous devons poser les bases d’une économie plus résiliente. Investir en nous-mêmes, ce n’est pas une utopie, c’est une stratégie. Et c’est la seule qui vaille, si nous voulons rester maîtres de notre avenir.
À propos desBaptiste-Junior Andely-Beeve
Baptiste Andely-Beeve est un expert congolais en entrepreneuriat et analyste économique. Il cumule plus de dix ans d’expérience dans le développement des PME et les politiques de soutien à l’économie locale. Il a dirigé des programmes pour la Fondation Téléma et contribué activement, en tant que spécialiste du développement des entreprises vertes, au projet USAID-CEERC. Fort d’un palmarès de formation de plus de 100 entrepreneurs, il a accompagné des coopératives dans plusieurs zones rurales du pays. Il est aussi créateur de contenus numériques éducatifs et dirige aujourd’hui le cabinet Le Mentor, qui travaille sur la notation intelligente des PME afin de faciliter leur structuration et leur financement.