Par DIAGANA Salatou, Cadre financier |GPE 31, CERDI — UCA
Dans un contexte mondial secoué par des crises économiques persistantes, des tensions géopolitiques croissantes et une montée des replis identitaires, l’aide publique au développement (APD) traverse une période d’instabilité profonde. Tandis que les inégalités ne cessent de se creuser et que les urgences humanitaires se multiplient du Sahel à Gaza, en passant par l’Afghanistan ou Haïti les fondements mêmes de l’aide internationale sont de plus en plus contestés, en particulier dans les pays du Nord.
Aux États-Unis, Donald Trump a ravivé un discours populiste tenace, affirmant que les milliards envoyés à l’étranger seraient non seulement gaspillés, mais parfois même détournés au profit de régimes corrompus, renforçant leur emprise sur le pouvoir. En Europe, plusieurs gouvernements plaident désormais pour un recentrage de l’aide sur des objectifs jugés plus stratégiques, qu’ils soient économiques ou migratoires. Même dans les États historiquement donateurs, l’APD est mise à rude épreuve, tiraillée entre contraintes budgétaires et crispations politiques inédites.
Un autre défi, plus insidieux mais tout aussi déstabilisant, vient des pays bénéficiaires eux-mêmes : la corruption, omniprésente dans certaines régions, continue de saper la confiance dans l’efficacité réelle des dispositifs d’aide. Face à ces critiques parfois fondées, souvent instrumentalisées une question essentielle revient sur le devant de la scène : faut-il poursuivre l’aide coûte que coûte ? Ou bien faut-il en revoir en profondeur les principes, les priorités, et les conditions d’attribution ?
Une aide publique en pleine tourmente
Faut-il encore tendre la main aux pays les plus démunis ? Pour Donald Trump et ses alliés, la réponse est tranchée : c’est non. L’ancien président américain, redevenu figure incontournable de la scène politique, s’acharne à qualifier l’aide internationale de « gaspillage », une supercherie orchestrée par des régimes corrompus profitant de la générosité de l’Occident. Un discours qui fait mouche, surtout à l’heure où l’inflation, l’insécurité et les crises énergétiques frappent aussi les donateurs.
Mais cette vision, si elle s’appuie parfois sur des faits réels, reste largement réductrice. Car si cette aide mérite d’être repensée, elle demeure vitale pour sauver des vies, soutenir les transitions et œuvrer à un monde plus stable.
Oui, la corruption existe. Mais elle ne dit pas tout.
Difficile de le nier : l’aide au développement a parfois servi les intérêts de certains dirigeants. TransparencyInternational estime que jusqu’à 30 % des fonds peuvent être détournés. En RDC, un audit de 2021 révèle des millions volatilisés sur des comptes privés. En Haïti, après le séisme, la majeure partie des 13 milliards promis n’est jamais arrivée jusqu’aux vrais bénéficiaires.
Mais condamner l’aide à cause de ces abus, c’est comme fermer un hôpital parce qu’un médecin triche : ce n’est pas l’outil qu’il faut blâmer, mais ceux qui en abusent.
Une aide qui sauve, chaque jour
Malgré les scandales, les résultats sont bien là. Grâce à l’APD, la mortalité infantile en Afrique est passée de 76 à 45 pour 1 000 naissances en vingt ans. Le Fonds mondial a, à lui seul, sauvé plus de 50 millions de vies en luttant contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Des pays comme le Rwanda montrent qu’avec une gestion solide, l’aide peut être transformative. Entre 2001 et 2020, le taux de pauvreté y est tombé de 77 % à 55 %, notamment grâce à des investissements ciblés.
Réformer, oui. Couper, non.
Alors, que faire ? Certainement pas continuer comme si de rien n’était. Mais couper les vivres serait une erreur.
Des pistes existent :
• Lier l’aide à la transparence, via audits et indicateurs clairs ;
• Sanctionner les élites corrompues, sans punir les populations ;
• Renforcer le rôle des ONG, des acteurs locaux et des médias ;
• Suivre les flux financiers via des plateformes comme IATI.
Un engagement mutuel
L’aide ne doit plus être vue comme un chèque en blanc ou une forme de charité post-coloniale. Elle doit devenir un contrat, fondé sur la responsabilité et le respect.
Supprimer l’aide, c’est abandonner les innocents, favoriser l’instabilité et laisser le champ libre à des puissances moins regardantes sur les droits humains. La réformer, c’est lui redonner sa force : celle d’un moteur pour un avenir plus juste et plus durable.