Nommé le 17 février dernier par décret du Président de la transition de la République de Guinée, Mohamed Kobele KEITA est le nouveau Directeur Général de l’Autorité Guinéenne de l’Aviation Civile (AGAC).
Monsieur le Directeur, les lecteurs de Financial Afrik ne vous connaissent pas encore et pourtant votre curriculum pèse déjà lourd. Un diplôme d’Étude Supérieur en Gestion de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry mais aussi un Master spécialisé sur le développement du potentiel africain obtenu à Sciences Po Paris. Coté parcours professionnel, une solide expérience de partenariats public-privés et expertise reconnue du domaine des infrastructures et des transports et de l’aviation civile, acquise en tant que conseiller du Ministre des Transports. Après les controverses liées aux défaillances constatées l’année dernière, peut-on supposer qu’il y a désormais la bonne personne au bon endroit ?
(Rires) Merci pour le compliment et pour votre appréciation sur mon parcours. Quand on parle de la bonne personne au bon endroit, je pense surtout au Président de la transition, son Excellence le Colonel Mamadi Doumbouya, Président de la République de Guinée que je remercie pour l’honneur qu’il m’a fait. Puisque vous évoquez le passé, je souhaite aussi rendre hommage à mes ainés qui m’ont mis le pied à l’étrier dans les domaines de l’agriculture, l’électricité, les jeux de hasard où j’ai eu l’opportunité de m’initier et de consolider mes accomplissements dans le métier de la régulation, mais aussi aux équipes qui ont œuvré dans le secteur de l’aviation civile guinéenne jusque-là. Nul n’ignore que la pandémie de COVID a profondément impacté le transport aérien mondial ces deux dernières années. Au niveau national, cette crise a aggravé des lacunes et retardé la mise à niveau du secteur. Cela nous amène directement à notre objectif prioritaire : satisfaire à l’audit universel de sûreté programmé en novembre 2022 et à l’audit de sécurité dont nous attendons le calendrier. Il convient de rappeler qu’en ce qui concerne l’audit de sûreté, la Guinée n’a enregistré aucun point depuis 2009. Dans le domaine de la sécurité, nous en sommes à 22% depuis 2012, là où des pays comme le Togo ou la Mauritanie en sont déjà à plus de 80%.
La volonté qui m’anime est de permettre à l’aviation civile guinéenne de se réveiller et qu’elle soit reconnue à l’échelon national mais aussi à l’international afin d’assurer pleinement son rôle de vecteur de développement. C’est cette vision insufflée par le Président de la République, le Premier Ministre et le Ministre des Infrastructures et des Transport que je me suis engagé à mettre en œuvre.
Pour y arriver, mes maitres mots sont : ambition et rigueur mais aussi lucidité et transparence. C’est d’ailleurs pour cela que je commence ma mission par un diagnostic organisationnel et un état des lieux sans concession de la situation.
Vous venez de parler d’ambitions ; partagez-vous celle de voir renaitre une compagnie aérienne guinéenne ?
Bien entendu ! Je partage cette ambition légitime pour mon pays, mais j’ai également parlé de lucidité et je pense donc que cette ambition doit être soutenue parce que l’écosystème de l’aviation guinéenne l’oblige. En effet, la mission première de l’AGAC, n’est pas seulement de stimuler les activités aéronautiques, mais aussi de les superviser et de s’assurer qu’elles s’opèrent dans le respect total des règles de sûreté et de sécurité. J’en reviens donc à mon objectif premier : établir à l’AGAC un cadre normatif de certification et obtenir la certification OACI dans les délais les plus raisonnables.
C’est vraiment le point de départ de toutes choses, et croyez-moi, il y a encore beaucoup d’efforts à faire. Absence de méthodes, d’outils et de mode de gestion de performance depuis la création de l’AGAC, selon les premiers résultats du diagnostic en cours, hormis le copier-coller.
Pour le reste, je profite néanmoins de votre tribune, pour rassurer les acteurs du transport aérien, qui souhaiteraient participer au développement du ciel guinéen, qu’ils trouveront en moi, une oreille attentive et bienveillante.
Vous avez entamé une série de visites professionnelles dans la sous-région ; quels pays avez-vous visité et quels enseignements en avez-vous tiré ?
J’ai, en effet, souhaité rencontrer mes homologues de la sous-région, afin, non seulement, de bénéficier de leur retour d’expériences, mais aussi, de poser les bases d’une coopération renforcée. A titre d’exemple, je cite le cas du Togo, qui me semble constituer un remarquable mélange de pragmatisme et d’ambition. En effet, sous la houlette de son Directeur Général, le Colonel LATTA D. Gnama, l’Agence Nationale de l’Aviation Civile Togolaise, a obtenu la meilleure notation, en termes de sécurité aérienne, mais, elle a aussi favorisé l’essor de l’aéroport de Lomé et de la compagnie régionale Asky Airlines.
Visiblement, il s’agit donc d’un exemple à suivre ?
Un exemple à méditer qui doit nécessairement inspirer notre réflexion, même si chaque pays est différent et doit suivre sa propre voie. N’oublions jamais que les aéroports et les compagnies aériennes doivent être, avant tout, des outils de développement, qui doivent accompagner les vecteurs de croissance, tels que l’industrie et le tourisme. Vu sous cet angle, il y a des efforts à faire, de parts et d’autres, sur le plan des infrastructures, permettant d’attirer les touristes et le monde des affaires.
Cependant, il est clairement démontré que sans infrastructures digne de ce nom, il est difficile d’attirer les voyageurs, et sans voyageurs, il est difficile de financer les infrastructures. C’est exactement pour briser ce cercle vicieux que je recommande avant toute chose, d’améliorer l’existant et de miser sur le capital humain. Je puis vous dire que toute mon équipe est déterminée et engagée à reproduire en Guinée les meilleurs modèles de réussite en matière de l’Aviation Civile.
Par ailleurs, il est important de rappeler que la perspective de la CAN en 2025 est une occasion parfaite pour mettre en pratique cette philosophie de réussite en dynamisant notre trafic aérien. L’échéance 2025 nous donne l’opportunité de lancer de grands projet d’infrastructures aéroportuaires et de relancer les aérodromes régionaux existants. Il est loisible d’améliorer les services, la ponctualité et mettre en place toutes les actions capables de valoriser l’expérience des visiteurs, et ainsi de contribuer au rayonnement de la Guinée. Le supporter sénégalais ou ivoirien qui souhaite soutenir son équipe, est peut-être aussi, un touriste ou un homme d’affaire. A nous de le convaincre de revenir dans notre pays.
Vous avez l’expérience et la barbe blanche…mais on sent chez vous un enthousiasme intact.
(Rires) Vous avez doublement raison ! Comment ne pas être enthousiaste devant le défi qui m’attend. Vous avez également raison de mentionner les années d’apprentissage et de consolidation des métiers de finances, de régulation et de gestion. La barbe blanche est un signe du temps qui passe et qu’il faut gérer efficacement. C’est donc l’occasion pour moi de lancer un appel aux jeunes qui souhaitent s’investir dans le secteur aéronautique en Guinée afin qu’ils se spécialisent dans ce domaine. La Guinée en a grandement besoin pour s’éviter une rupture générationnelle encore marquée par l’histoire de AIR GUINEE. La porte est donc ouverte aux jeunes talents, motivés, disciplinés et soucieux de contribuer au développement de notre pays.