« Nous créons le lien entre les entrepreneures africaines et les investisseurs du monde entier »
En Afrique et particulièrement dans la partie francophone, l’accès au financement est un véritable enjeu pour l’entreprenariat féminin. Au fil de cet entretien qu’elle nous a accordé, Hafou Touré Samb, fondatrice de HTS Partners, explique comment son cabinet est à la manœuvre pour transformer ces PME de femmes en grandes enseignes régionales.
Après avoir travaillé pour de grandes institutions financières comme la Banque africaine de développement (BAD) et la Société financière internationale (IFC) et dans des entreprises de renommée internationale (Deloitte, UBS Investment Banking, Moody’s), avec quelles ambitions avez-vous créé le cabinet HTS Partners ?
HTS Partners est issu d’un désir profond de rentrer au pays et d’apporter ma pierre à l’édifice. La première idée était de trouver des financements pour les entrepreneurs afin d’accroître leur business. Néanmoins, en arrivant sur le terrain, nous avons réalisé que ce n’était pas seulement l’accès au financement et à la liquidité qui constituaient le problème majeur : il fallait avant tout que l’entreprise soit structurée avec un bon système organisationnel et des gérants dotés des capacités adéquates pour l’administrer convenablement. C’est ainsi que HTS Partners est devenu un cabinet proposant de l’assistance technique pour le développement et le renforcement des capacités financières et managériales des entreprises. Nous les accompagnons dans l’élaboration du plan de financement de leurs structures afin de faciliter leurs levées de fonds. Notre objectif est de pouvoir créer le lien entre les entrepreneurs africains et des investisseurs du monde entier.
Pourquoi avoir opté pour un accompagnement global, de la création à leur expansion, et quels en sont les bénéfices ?
En Afrique, 80 % des entreprises du secteur privé sont des PME qui méritent toutes autant qu’elles sont d’être encouragées, boostées et financées. Ce sont elles qui deviendront les grandes entreprises de demain aux niveaux national, régional et sur le plan international. Pour les amener le plus loin possible, il faut les accompagner graduellement dans leur processus de développement. Quand on parle de PME, on doit comprendre qu’elles sont toutes très diverses et dans des secteurs distincts. Les PME dirigées par des femmes ont parfois des problématiques bien différentes de celles gérées par des hommes. Notre rôle est donc d’aider chacune d’elles à résoudre leurs problématiques.
Justement, même si toutes les PME vous intéressent, pourquoi celles dirigées par des femmes vous tiennent particulièrement à cœur ?
La question du genre dans l’accès au financement est primordiale car nous savons tous qu’en termes de pourcentage, les femmes y ont moins accès que les hommes. Pourtant en Afrique, une femme sur quatre entreprend. Oui, 25 % de nos entreprises sont dirigées par des femmes et sont complètement indépendantes. Voilà pourquoi chez HTS Partners, nous voulons soutenir et représenter les femmes africaines entrepreneures ou dirigeantes de PME. Nous sommes d’ailleurs nous-mêmes une équipe majoritairement féminine.
Selon le rapport 2016/17 du Global Entrepreneurship Monitor (GEM), le taux d’entrepreneuriat féminin en Afrique subsaharienne est de 25,9 %. Mais la plupart de ces femmes estiment qu’en dépit de l’existence de mécanismes, l’accès au financement est difficile. Comment expliquer que ce dynamisme ne se matérialise pas par l’accès aux financements ou dans la croissance même de leurs entreprises ?
Pour ma part, cela est dû à deux raisons principales. La première est qu’il n’existe pas assez de mécanismes financiers adaptés à leurs besoins et la deuxième est que ces femmes entrepreneurs ont tendance à maintenir leur activité au même stade qu’au lancement. Par ailleurs, elles ont parfois un manque d’éducation financière et d’accès à l’information leur permettant de trouver des solutions de financement. Elles restent donc de petites entreprises, alors que celles dirigées par des hommes réussissent à croître. De nombreuses initiatives comme l’AFAWA, »Affirmative Finance Action For Women in Africa » de la BAD permettent de trouver des fonds et de fournir une assistance technique aux entrepreneures. L’accès au financement de ce type de programmes se fait à travers des garanties données aux institutions financières, souvent réticentes, pour accorder des prêts à ces femmes entrepreneures.
Quelles conditions doivent-elles remplir pour bénéficier d’un soutien institutionnel et quels sont les facteurs bloquants ?
Pour obtenir un financement, il faut un business model qui génère du revenu et être en mesure de le prouver car les banques et les institutions financières ne sont pas des philanthropes. Les femmes qui entreprennent en Afrique se lancent le plus souvent dans des activités sans grande différenciation ni de clientèle fiable et fixe. Elles ne sont pas toujours formalisées et professionnalisées, on n’a donc pas d’idée précise de la gestion de leurs actifs et de leurs revenus mensuels ou annuels. Elles n’ont pas de collatéral, c’est-à-dire des actifs qui peuvent servir quand elles voudront aller vers une banque. Par conséquent, bien qu’elles soient entrepreneures, elles sont très difficiles à bancariser. D’ailleurs, elles ne détiennent souvent même pas de compte bancaire.
L’Indice 2020 des femmes entrepreneures de Mastercard (MIWE) a révélé que 11 pays africains ont réalisé des progrès sur l’accès aux financements et à la formation à l’entreprenariat pour les femmes. Seulement, il s’agit exclusivement de pays anglophones. Quels facteurs pourraient encourager les pays francophones à suivre cet exemple ?
Je pense que l’esprit entrepreneurial n’est pas suffisamment ancré dans nos mœurs, il ne fait pas partie de la culture francophone. La tendance, c’est plutôt d’être bureaucrate, surtout quand on a fait de longues études. Il faut adapter nos systèmes éducatifs, le mindset et l’orienter vers une culture de l’entreprenariat.
Il y a aussi la question de l’accès aux financements, car les banques prennent peu de risques. Il faudra mettre en place beaucoup plus de politiques et mesures régionales dans la zone UEMOA pour encourager l’entreprenariat, notamment des solutions de garanties ou de lignes de crédits pour les banques afin de faciliter l’accès au crédit. C’est ainsi que les pays francophones pourront atteindre le niveau des pays anglophones.
Parmi tous les pays francophones, quel est selon vous celui dont le climat des affaires est beaucoup plus favorable à la création d’entreprises ?
Je pense que la Côte d’Ivoire est bien placée. C’est un pays ayant une économie diversifiée, ouvert aux investisseurs internationaux et disposant d’une classe moyenne en pleine ébullition. La mise en place du guichet unique a facilité la création d’entreprises et je tiens à féliciter le ministère ivoirien en charge de la promotion des PME qui promeut l’entrepreneuriat et ne cesse de mettre en place des solutions innovantes pour rendre nos PME pérennes.
Aujourd’hui, Il faut mettre en place des dispositifs techniques, juridiques, financiers et éducatifs pour booster davantage l’innovation de l’écosystème entrepreneurial à l’instar du Kenya. Il faut une réelle volonté politique pour accompagner cette dynamique entrepreneuriale.
L’éducation financière doit-elle alors devenir une priorité ?
Oui, car le statut d’entrepreneur ne garantit pas nécessairement une aide de la part de la banque. Pour contracter un prêt, il faut être en mesure de fournir un minimum de garanties à la banque pour prouver qu’on pourra payer son crédit. Il est donc important de comprendre ce qu’il faut faire pour structurer son entreprise – avoir un business plan, être déclaré, connaître le montant de ses dépenses, de son chiffre d’affaires, etc… Il incombe à chacun et chacune de rendre son entreprise la plus attractive possible pour obtenir un financement. Pour y parvenir, il faut s’entourer de professionnels et cela n’est malheureusement pas accessible à toutes. C’est pour cette raison que nous travaillons avec les agences gouvernementales qui proposent déjà ces services-là, souvent gratuitement pour ces femmes, comme l’Agence Côte d’Ivoire PME.
Avec la crise sanitaire due à la Covid-19 et la digitalisation accrue des services, certaines activités comme le tourisme, le commerce de détail et la restauration où les femmes sont fortement présentes sont particulièrement touchées : ces aléas sont-ils pris en compte par les mécanismes de financement ?
Chez HTS Partners, on promeut l’innovation et pendant la crise de la Covid-19, nous avons organisé des webinaires de formation à ce sujet où nous avons pu constater que de nombreuses entreprises ont su innover. Le monde est en constante évolution, il faut être capable de s’adapter et les solutions de financement suivront. En Côte d’Ivoire, un fonds de soutien a été mis en place par le ministère en charge des PME et celui de l’Économie et des Finances pour soutenir les entreprises qui ont rencontré des difficultés durant cette période. Si certaines entrepreneures ont pu en bénéficier, avoir accès à ce fonds demande de remplir un certain nombre de critères.
En milieu rural, l’autonomisation est un véritable parcours du combattant pour les femmes. À quelles conditions ces entrepreneures peuvent-elles être accompagnées par HTS Partners ?
Pour qu’on puisse les intégrer dans notre portefeuille, il faut qu’elles génèrent un minimum de revenus et qu’elles soient immatriculées. Quand bien même une entreprise est en milieu rural, elle a généralement un ou plusieurs représentants dans les capitales avec lesquelles nous travaillons. Dans le cas contraire, nous allons à leur rencontre. Dans ce milieu, les femmes ont souvent beaucoup de volonté et de très belles idées mais elles sont freinées dans leur élan par des problèmes socio-économiques, religieux, ethniques ou culturels.
Que direz-vous aux femmes qui ont envie de se lancer dans l’entreprenariat mais n’osent pas sauter le pas ?
Que ce soit en milieu rural ou urbain, si l’on a le désir d’entreprendre, il faut le nourrir et oser faire le premier pas. Une fois que la machine est en marche, nous sommes là pour les aider, les structurer et rattraper cette éducation financière et managériale qui leur manque peut-être. Le maître-mot c’est « foncer » et oser rêver grand. Il est indispensable que les femmes cessent d’assimiler leur business à de la débrouillardise, elles ont les capacités pour devenir de véritables championnes régionales.