Par Claver Gatete, Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique.
Alors que 600 millions d’Africains n’ont toujours pas accès à l’électricité, le continent fait face à un déficit énergétique majeur, notamment dans les zones rurales. Pour atteindre l’objectif d’accès universel à l’électricité d’ici 2030, il faudrait raccorder chaque année entre 70 et 80 millions de personnes. Or, l’Afrique, qui représente 17 % de la population mondiale, ne produit que 3 % de l’électricité mondiale. Cette « pauvreté énergétique » freine l’industrialisation, limite les avancées dans les domaines de la santé et de l’éducation, et entrave la transformation économique, alors même que le continent exporte de l’uranium et d’autres ressources indispensables à la production d’électricité dans d’autres régions du monde.
Malgré des avancées notables dans certains pays, le rythme des progrès reste insuffisant. D’où l’urgence d’une transition énergétique ambitieuse, intégrant pleinement l’énergie nucléaire, adaptée aux réalités et aux potentialités africaines.
Briser les préjugés grâce à l’expérience et à l’innovation
Les réticences sont nombreuses et légitimes : risques de sécurité, coût élevé, accidents passés, problématique des déchets… et souvenirs tenaces de Tchernobyl et Fukushima. Pourtant, des exemples existent pour prouver la viabilité du nucléaire. La centrale sud-africaine de Koeberg fonctionne en toute sécurité depuis 40 ans. Les experts soulignent également que le nucléaire présente le plus faible taux de mortalité par kilowattheure parmi toutes les grandes sources d’énergie, y compris les renouvelables. Les réacteurs de nouvelle génération, comme l’AP1000 de Westinghouse, sont dotés de systèmes de sécurité passive capables de s’arrêter automatiquement en cas de défaillance.
Dans le monde, plusieurs pays ont franchi le pas avec succès. La Corée du Sud, avec ses 25 réacteurs, est passée du statut d’importateur à celui d’exportateur d’énergie nucléaire, visant 30 % de production électrique d’origine nucléaire d’ici 2030. La France, pionnière du nucléaire civil, en tire 70 % de son électricité, ce qui lui garantit un réseau stable et des prix parmi les plus bas d’Europe. Le Bangladesh, dont le PIB par habitant est proche de celui du Kenya, construit son premier réacteur avec l’aide de la Russie.
Un mouvement continental déjà engagé
Sur le continent africain, les projets se multiplient. L’Égypte construit à El Dabaa quatre réacteurs de 1 200 MW, un investissement de 30 milliards de dollars pour accompagner son développement industriel. Le Ghana collabore avec NuScale Power autour de petits réacteurs modulaires (PRM), capables d’alimenter à la fois mines et agglomérations. Sept pays (Égypte, Rwanda, Ghana, Ouganda, Afrique du Sud, Nigeria, Zambie) sont désormais engagés dans la mise en œuvre ou l’extension de leurs programmes nucléaires. D’autres – dont le Niger, le Kenya, la Tunisie, le Maroc, l’Éthiopie, la Tanzanie, la Namibie, la RDC, le Sénégal, l’Algérie et le Zimbabwe – planchent sur l’intégration du nucléaire dans leur stratégie énergétique.