De Julien BRIOT
Le droit fiscal, en tant qu’instrument des politiques publiques, reflète les choix économiques, sociaux et environnementaux d’un État. À l’échelle internationale, la fiscalité environnementale s’est imposée progressivement comme un levier stratégique pour internaliser les externalités négatives induites par l’exploitation des ressources naturelles et par les activités polluantes. Au Maroc, bien que la fiscalité demeure historiquement ancrée dans une logique principalement budgétaire et redistributive, une dynamique de verdissement du système fiscal émerge à la faveur de réformes récentes.
D’une fiscalité historiquement indifférente aux considérations environnementales à l’intégration progressive de dispositifs incitatifs et dissuasifs en faveur du développement durable, le droit fiscal marocain amorce une transition vers une approche écologique. Cette transformation, bien que timide, s’inscrit dans un cadre juridique et institutionnel rénové, marqué notamment par la Constitution de 2011 et la Charte nationale de l’environnement et du développement durable. À travers une analyse approfondie du cadre fiscal marocain et de ses interactions avec les enjeux environnementaux, cet article examine les dispositifs existants, leurs limites et les perspectives d’amélioration vers une fiscalité verte cohérente et efficiente.
I. L’émergence d’une fiscalité environnementale au Maroc : un cadre juridique en mutation
1. La consécration constitutionnelle du droit à un environnement sain
La Constitution marocaine de 2011 constitue un tournant fondamental dans l’édification d’un cadre normatif favorable à la protection de l’environnement. En effet, l’article 31 énonce que l’État, les collectivités territoriales et les établissements publics œuvrent à garantir aux citoyens des conditions permettant un environnement sain et durable. L’article 35 consacre, quant à lui, la protection du patrimoine naturel et la préservation des ressources naturelles comme principes directeurs des politiques publiques. Dans cette perspective, la loi-cadre n° 99-12 portant Charte nationale de l’environnement et du développement durable (CNEDD) vient préciser les obligations des pouvoirs publics en matière de protection de l’environnement. Elle instaure une série de principes directeurs, notamment celui du pollueur-payeur, et prévoit la mise en place de mécanismes fiscaux incitatifs et pénalisants pour promouvoir des pratiques respectueuses de l’environnement.
2. La Loi-cadre n° 69-19 sur la réforme fiscale : vers une intégration explicite de la fiscalité environnementale
Adoptée en 2021, la Loi-cadre n° 69-19 portant réforme fiscale traduit une volonté de structurer un cadre fiscal plus conforme aux exigences du développement durable. Son article 7 prévoit l’instauration de mesures fiscales adaptées pour la protection de l’environnement, notamment par l’introduction d’une taxe carbone. Cette orientation s’inscrit dans une logique d’harmonisation avec les engagements internationaux du Maroc, notamment l’Accord de Paris sur le climat et l’Agenda 2030 des Nations Unies. Elle témoigne d’une prise de conscience des décideurs quant à la nécessité de mobiliser la fiscalité comme levier stratégique de transition écologique.
II. Les instruments fiscaux au service de l’environnement : état des lieux et limites
1. La taxation des énergies fossiles : un levier budgétaire à finalité encore ambiguë
Le Maroc applique depuis plusieurs décennies des taxes sur les produits énergétiques à travers la taxe intérieure de consommation (TIC). Toutefois, cette taxation, bien qu’imposée aux hydrocarbures, n’a pas été conçue à l’origine comme un instrument de lutte contre la pollution, mais plutôt comme une source de recettes fiscales substantielles. La TIC sur les carburants représente une part significative des ressources budgétaires de l’État, avec près de 17 milliards de dirhams en 2022. Cependant, son absence de ciblage écologique limite son efficacité en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L’augmentation récente des taux de TIC sur le charbon et le fioul lourd, dans le cadre de la loi de finances 2025, marque une inflexion vers une taxation différenciée en fonction du degré de pollution des produits énergétiques.
2. La fiscalité incitative en faveur des énergies renouvelables et des transports propres
Dans le cadre de la promotion de la transition énergétique, le Code général des impôts (CGI) prévoit certaines exonérations fiscales visant à encourager l’adoption des énergies propres. À titre d’exemple, l’article 91-C-6° exonère de TVA les ventes de pompes à eau fonctionnant à l’énergie solaire utilisées dans l’agriculture. De même, les panneaux photovoltaïques et chauffe-eaux solaires bénéficient d’un taux réduit de TVA de 10 % avec droit à déduction. Dans le secteur du transport, des incitations fiscales ont été mises en place pour favoriser le renouvellement du parc automobile. L’exonération de la taxe spéciale annuelle sur les véhicules (TSAV) pour les véhicules électriques et hybrides constitue un premier pas vers une fiscalité plus verte. Toutefois, l’impact de ces mesures reste limité en l’absence d’une politique globale de soutien à la mobilité durable.
3. La tarification écologique des ressources naturelles : une approche encore fragmentaire
Certaines ressources naturelles font l’objet d’une fiscalité spécifique, bien que leur finalité écologique demeure discutable. C’est le cas notamment de la taxe sur l’extraction des produits de carrières, la taxe sur les exploitations minières ou encore la taxe sur la vente des produits forestiers. Dans le domaine de l’eau, le principe du pollueur-payeur est consacré par la loi n° 36-15, qui prévoit des redevances sur l’utilisation et la pollution des ressources hydriques. Cependant, l’application effective de ces redevances demeure limitée, en raison de la faiblesse des mécanismes de contrôle et de recouvrement.
III. Vers une réforme fiscale verte : perspectives et recommandations
Pour asseoir une fiscalité environnementale cohérente et efficace, plusieurs pistes de réforme peuvent être envisagées :
Instaurer une taxe carbone progressive : Conformément aux engagements de la loi-cadre sur la réforme fiscale, une taxe carbone pourrait être introduite progressivement, en tenant compte des spécificités du tissu économique national et en accompagnant les entreprises dans leur transition énergétique.
Renforcer l’affectation des recettes fiscales environnementales : Actuellement, les recettes issues de certaines taxes environnementales ne sont pas systématiquement affectées au financement de la transition écologique. Il serait pertinent d’affecter ces ressources au Fonds national pour l’environnement et le développement durable (FNEDD).
Optimiser les incitations fiscales pour les technologies propres : La mise en place de crédits d’impôt pour les entreprises investissant dans des processus de production écologiques et pour les ménages adoptant des solutions énergétiques durables constituerait un levier d’accélération de la transition écologique.
Mettre en place une fiscalité locale verte : Les collectivités territoriales pourraient jouer un rôle clé dans la fiscalité environnementale en instaurant des taxes locales incitatives sur la gestion des déchets, la mobilité durable et la protection des espaces naturels.
Conclusion
Le droit fiscal marocain amorce une transition progressive vers une fiscalité environnementale, en réponse aux enjeux du développement durable et aux engagements internationaux du Royaume. Toutefois, cette mutation demeure encore incomplète et nécessite une refonte globale pour concilier efficacité économique, équité sociale et protection environnementale. Une réforme ambitieuse et cohérente de la fiscalité verte permettrait non seulement de renforcer la résilience écologique du pays, mais aussi de positionner le Maroc comme un acteur clé de la transition énergétique en Afrique et à l’échelle internationale.