Un billet fraîchement imprimé n’est pas encore de la monnaie tant qu’il n’est pas émis par la Banque Centrale et intégré au circuit économique. Avant cette mise en circulation, ce n’est qu’un morceau de papier doté de caractéristiques de sécurité. La création monétaire repose sur des mécanismes systémiques reliant la banque centrale et les banques commerciales. Les billets, les pièces et autres formes de monnaie ne sont que des instruments utilisés dans le système bancaire.
Fabrication vs émission de monnaie
Il est essentiel de ne pas confondre fabrication et émission de monnaie. Un billet devient une monnaie lorsqu’il est reconnu légalement et accepté comme moyen de paiement par les agents économiques. Autrement dit, la monnaie n’existe pas uniquement en raison de son support physique, mais grâce à la confiance et au cadre institutionnel qui la légitiment.
Un exemple concret : tant que les billets imprimés en France restent stockés dans les coffres de la BCEAO (Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest) et ne sont pas injectés dans l’économie, ils ne peuvent pas être considérés comme de la monnaie. Ils acquièrent leur statut monétaire uniquement lorsqu’ils sont émis officiellement par la BCEAO, inscrits dans son bilan et distribués via les banques commerciales.
Aujourd’hui, la majeure partie de la monnaie en circulation est scripturale (comptes bancaires, virements, crédits) et n’a même pas de support physique. Ce qui compte vraiment, c’est son rôle dans l’économie et la confiance que lui accordent les utilisateurs.
Cette distinction s’applique également aux réserves obligatoires et aux billets détruits : ils existent physiquement, mais tant qu’ils ne sont pas en circulation active, ils ne jouent aucun rôle monétaire.
Avec la monnaie scripturale et électronique, cette distinction est encore plus marquée : ce n’est pas la fabrication qui crée la monnaie, mais son inscription dans le bilan d’une banque centrale ou commerciale.
La fabrication des billets de banque
Elle est est souvent confiée à des entreprises américaines et européennes spécialisées dans l’impression de billets sécurisés.
En Mauritanie, les billets de la Banque Centrale de Mauritanie (BCM) sont imprimés à l’étranger. En 2017, lors de la réforme monétaire qui a introduit une nouvelle ouguiya (MRU), la BCM a fait appel à Oberthur Fiduciaire, une entreprise française spécialisée dans l’impression de billets sécurisés.
En Guinée, les billets du franc guinéen (GNF) sont imprimés par des sociétés étrangères. Historiquement, la Guinée a fait appel à des imprimeurs comme Oberthur Fiduciaire (France) et De La Rue (Royaume-Uni) pour produire ses billets.
Les billets du Ghana Cedi (GHS) sont principalement fabriqués par De La Rue, une entreprise britannique spécialisée dans l’impression fiduciaire.Cependant, la Bank of Ghana (BoG) possède une usine d’impression locale, qui s’occupe de la production de certaines petites coupures et documents sécurisés.
La Nigeria Security Printing and Minting Company (NSPMC) imprime une partie des billets du Naira (NGN) localement, mais des commandes sont aussi confiées à De La Rue.( Royaume Uni).
Les billets du franc CFA (XOF pour l’Afrique de l’Ouest et XAF pour l’Afrique centrale) sont imprimés principalement par François-Charles Oberthur Fiduciaire (France) et la Banque de France.
La France et le Royaume Uni ne font que fabriquer les billets pour la majorité des pays africains mais ils ne les émettent pas. C’est la BCEAO (pour l’Afrique de l’Ouest) ou la BEAC (pour l’Afrique centrale) qui décide de leur mise en circulation.
Base monétaire, Masse monétaire et Contreparties
Les notions de base monétaire, masse monétaire et contreparties sont fondamentales pour comprendre la création monétaire et le fonctionnement du système financier.
La base monétaire correspond à la monnaie créée directement par la banque centrale. Elle représente la monnaie émise par la banque centrale, sert de fondement au système monétaire et comprend :
- les billets et pièces en circulation (monnaie fiduciaire)
- les réserves des banques commerciales auprès de la banque centrale (monnaie scripturale détenue par les banques sur leurs comptes à la banque centrale).
- les avoirs des Trésors publics à la banque centrale (dans certains pays)
La masse monétaire en circulation dans l’économie, créée majoritairement par les banques commerciales à travers l’octroi de crédits, est constituée des billets et pièces en circulation et des dépôts bancaires.
Les contreparties de la masse monétaire, quant à elles, expliquent d’où vient la masse monétaire monnaie et comment elle est utilisée. Les principales contreparties sont :
- les crédits à l’économie qui sont les prêts accordés par les banques au secteur privé
- les créances sur l’État : la monnaie peut être créée en échange de titres de dette publique achetés par les banques
- les créances sur l’extérieur que sont les devises étrangères et les actifs en monnaie étrangère détenus par le système bancaire.
Le processus de création monétaire
Prenons un exemple concret : un agent économique de l’UEMOA exporte du pétrole vers les États-Unis pour une valeur de 5,333 millions de dollars. Lorsqu’il reçoit ces dollars, la BCEAO les conserve et lui remet en contrepartie 320 millions de FCFA, selon le taux de change en vigueur. La Banque Centrale vient donc de créer de la monnaie CFA.
Dans le processus décrit ci-dessous, notre exportateur reçoit 320 millions de FCFA (étape 1), en garde 80 millions sous forme de billets et dépose le reste, soit 240 millions, sur son compte bancaire. Sa banque constitue des réserves de précaution de 48 millions et prête le reste, soit 192 millions, qui constituent une nouvelle création monétaire. Ainsi de suite, le processus continue :
- A chaque fois qu’une personne reçoit un crédit, elle en garde une part (b = 25 %) sous forme de billets et pièces.
- Le reste (1 – b = 75 %) est déposé sur son compte bancaire.
- À son tour, la banque garde 20 % (r = 0,20) du dépôt en réserves de précaution.
- Ensuite, elle accorde le reste en crédits, générant ainsi une nouvelle création monétaire.
Tableau : Processus de création monétaire
Etapes | Variation de la monnaie | Billets et pièces | Dépôts | Réserves | Crédits |
1 | 320 | 80 | 240 | 48 | 192 |
2 | 192 | 48 | 144 | 28,8 | 115,2 |
3 | 115,2 | 28,8 | 86,4 | 17,28 | 69,12 |
4 | 69,12 | 17,28 | 51,84 | 10,37 | 41,47 |
5 | 41,47 | 10,37 | 31,10 | 6,22 | 24,88 |
6 | 24,88 | 6,22 | 18,66 | 3,73 | 14,93 |
7 | 14,93 | 3,73 | 11,20 | 2,24 | 8,96 |
8 | 8,96 | 2,24 | 6,72 | 1,34 | 5,38 |
… | … | … | … | … | … |
Total | 800 | 200 | 600 | 120 | 480 |
On pouvait trouver le résultat directement, en appliquant la formule du multiplicateur de crédit m.
Augmentation totale de la monnaie = 320 x 2,5 = 800. A la fin du processus :
- la monnaie totale créée est 800 millions F.CFA
- la part sous forme de billets et pièces est 200 millions F.CFA
- la part sous forme de dépôts est 600 millions F.CFA
- les réserves bancaires s’élèvent à 120 millions F.CFA
- les crédits accordés sont de 480 millions F.CFA.
Les 320 millions de F.CFAinitiaux constituent la base monétaire, créée par la Banque Centrale, à partir de laquelle l’ensemble de la masse monétaire est généré.
Il s’agit d’un modèle théorique qui détermine le montant maximal de monnaie pouvant être créé, sous l’hypothèse que les comportements des agents économiques restent constants. Toutefois, si ces derniers choisissent, par exemple, de conserver tous leurs billets sans les déposer en banque, alors le processus de création monétaire s’interrompt.
La Masse monétaire et ses contreparties dans l’UEMOA*
À la fin de l’année 2023, la masse monétaire de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et ses contreparties avaient atteint 47 778,4 milliards de FCFA, comme l’indiquent les graphiques ci-dessous.
Les billets et pièces en circulation s’élevaient à 10 673,8 milliards de FCFA et ne représentaient qu’une portion congrue (22%) de la masse monétaire. En revanche, les dépôts bancaires étaient de 37 104,7 milliards de FCFA(78%). Voir les graphiques ci-dessous.
L’analyse des contreparties révèle que les crédits à l’économie nets totalisaient 44 990,11milliards de FCFA (94%), les actifs extérieurs nets (or, devises) 1 149,2 milliards de FCFA et les autres éléménts du passif 1639,16 milliards FCFA. Cela prouve que l’essentiel de la création monétaire est du resort des banques commerciales, sous le contrôle de la banque centrale.
Source : BCEAO, Bulletin trimestriel des statistiques 4T 2023
Pour conclure, nous dirons que la création monétaire est un processus fondamental qui structure l’économie moderne. Elle repose sur une distinction essentielle entre fabrication et émission de monnaie, mais aussi sur le rôle central des banques commerciales dans l’expansion de la masse monétaire à travers le crédit. Contrairement à une idée répandue, la monnaie ne se limite pas aux billets et pièces en circulation : elle est majoritairement scripturale et repose avant tout sur la confiance des agents économiques et le cadre institutionnel qui la régit.
En définitive, comprendre la création monétaire, ses mécanismes et ses implications est essentiel pour appréhender les enjeux économiques contemporains et les politiques monétaires mises en œuvre par les institutions financières.
Pr Amath NDiaye UCAD-FASEG, 06/3/25
Références :
- Banque de France (2022) : Paiements et infrastructures de marché, chapitre 1.
- BCEAO (2023) : Bulletin trimestriel des statistiques 4T 2023.
- Chaineau André (1999) : Qu’est ce la monnaie, 2ème édition Economica 1999.
- Couppey-Soubeyran J. et Arnould G. (2015) : Monnaie, banques, finance, PUF, 2015.
Annexe :
*L’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) est une organisation régionale regroupant huit pays d’Afrique de l’Ouest qui partagent une monnaie commune, le franc CFA (XOF), et une politique économique intégrée.
Les pays membres de l’UEMOA :
- Bénin 2. Burkina Faso 3. Côte d’Ivoire 4. Guinée-Bissau (seul pays lusophone de l’union) 5. Mali 6. Niger 7. Sénégal 8. Togo.
A propos de Prof. Amath Ndiaye
Prof. Amath Ndiaye est un éminent économiste sénégalais, titulaire d’un Doctorat d’État en Sciences Économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (2001) et d’un Doctorat de 3e cycle en Économie du Développement de l’Université de Grenoble, France (1987). Depuis 1987, il enseigne à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Expert reconnu, il a collaboré avec des institutions prestigieuses telles que la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, et le FMI, se spécialisant notamment dans les domaines des taux de change, de la croissance économique, et du développement institutionnel. Il était expert-membre du comité de pilotage de la Commission de l’Union Africaine pour la Création de la Banque Centrale Africaine.. Prof. Ndiaye est l’auteur de nombreuses publications influentes, notamment sur les régimes de change et la croissance économique en Afrique de l’Ouest. Trilingue, il maîtrise le wolof, le français et l’anglais.