Entretien avec Omar Cissé, CEO : « L’année dernière, nous avons traité environ 3 milliards d’euros de transactions »
Alors que la fintech révolutionne l’inclusion financière, accélère les transactions et réduit leurs coûts, InTouch se distingue comme un acteur clé de ce changement. Nous avons rencontré Omar Cissé, son PDG, à l’occasion de l’Africa CEO Forum à Kigali. Fondateur de l’un des premiers incubateurs TIC au Sénégal, CTIC Dakar, et co-fondateur de Teranga Capital, Omar Cissé partage des insights précieux sur les stratégies et les réussites de son entreprise, qui célèbre cette année son dixième anniversaire. Il évoque les succès de sa plateforme, qui simplifie les transactions financières dans un contexte de multiples défis réglementaires et monétaires sur le continent, et partage également sa vision pour l’avenir des paiements en Afrique.
Financial Afrik: Pour commencer, pourriez-vous nous présenter InTouch, ses missions, et nous expliquer comment l’idée de cette startup vous est venue ?
Omar Cissé : InTouch a été fondée en 2014 et cette année, nous fêtons notre dixième anniversaire. Notre mission principale est de soutenir l’écosystème entrepreneurial et de simplifier l’acceptation des paiements pour les entrepreneurs. Comme vous le savez, parler de l’Afrique comme d’une entité unique est réducteur, car c’est un continent de 54 pays avec des régulations et des monnaies diverses. Nous sommes confrontés à une multitude d’acteurs dans le domaine du mobile money, et des cartes, sans oublier le cash. Réunir tous ces éléments représente un défi considérable. InTouch offre donc une plateforme unique qui permet aux commerçants et aux entreprises de l’écosystème d’accepter tous les moyens de paiement de la manière la plus simple. Notre particularité est de proposer des solutions personnalisées à nos clients, nous nous positionnons comme la SS2I [Société de services et d’ingénierie en informatique, ndlr] du paiement.
FA: Quel bilan tirez-vous des réalisations d’InTouch dans différents pays après dix ans ?
Omar Cissé : Dix ans après sa création, InTouch est solidement établie avec 23 filiales en Afrique et des équipes dans 16 pays. L’année dernière, nous avons traité environ 3 milliards d’euros de transactions, ce qui correspond à près de 2 000 milliards de francs CFA et plus de 186 millions de transactions. Nous collaborons avec près de 3 000 entreprises, ainsi qu’avec environ 60 000 commerçants qui utilisent notre plateforme pour accepter des paiements ou distribuer des services numériques.
FA: Pouvez-vous nous décrire la stratégie que vous avez développée au fil des années pour fidéliser vos clients et renforcer votre présence panafricaine ?
Omar Cissé : Depuis dix ans, nous capitalisons sur l’évolution du mobile money et des services numériques en Afrique. Nous avons travaillé sur chaque maillon de la chaîne de paiement. Initialement, nous aidions les commerçants à effectuer des dépôts et des retraits de mobile money. Progressivement, nous avons évolué vers la facilitation des paiements. Actuellement, nous sommes dans une phase où les entreprises et les PME ont adopté les paiements numériques. Nous voulons surtout offrir une expérience personnalisée dans le domaine des paiements. InTouch se positionne pour aider ces PME et commerçants à simplifier le paiement pour leurs clients.
Nous avons d’abord investi dans des ressources humaines de qualité. InTouch emploie actuellement environ 400 personnes réparties dans 16 pays. Dès le début, nous avons misé sur le recrutement de talents, et plus précisément d’entrepreneurs. Lorsqu’on construit une entreprise à cette échelle, il est important que ce soit des entrepreneurs qui prennent l’initiative et développent de nouvelles idées. Cela a créé un collectif d’entrepreneurs qui développe ce qui est aujourd’hui InTouch.
Cette stratégie est soutenue par un socle solide de grands actionnaires qui nous ont rejoints après le lancement. Parmi eux, TotalEnergies, qui a non seulement investi dans notre entreprise mais avec qui nous avons aussi établi une collaboration exclusive pour accepter des paiements et distribuer des services numériques dans les régions que nous desservons ensemble. D’autres acteurs clés comme Worldline, leader européen et quatrième mondial dans la sécurisation des paiements et des transactions, ainsi que le groupe CFAO, présent dans plus de trente pays africains, et Mobility 54, le fonds d’investissement de Toyota, ont également contribué à notre capital.
Cette gouvernance renforcée est essentielle pour avoir démarré comme une startup et se développer en une entreprise aussi robuste qu’une multinationale du paiement. Aujourd’hui, nous nous efforçons de maintenir un esprit de startup, ce qui, pour nous, représente bien plus qu’une croissance rapide : c’est une question d’agilité, d’adaptation continue à l’environnement et de capacité à pivoter facilement face aux changements. Cela repose toujours sur le talent de notre équipe, que nous considérons comme le véritable esprit d’InTouch. Et nous affirmons toujours que nous sommes une startup multi-pays.
FA: Vous avez été très actif dans la promotion de l’entrepreneuriat et de l’inclusion financière, notamment avec des initiatives comme les 10 000 Jambaars avec MasterCard Foundation. Quel impact concret ces initiatives ont-elles eu sur le terrain?
Omar Cissé : Nous croyons fermement que des entreprises comme la nôtre doivent se développer avec un impact durable en Afrique. Une entreprise ne peut réussir dans cet écosystème que si elle génère un impact significatif et durable. Chez InTouch, nous avons misé sur le soutien aux entrepreneurs dès le départ. Accompagner ces entrepreneurs signifie leur fournir tous les outils nécessaires pour développer leur activité grâce à une acceptation efficace des paiements. Nous permettons par exemple à une personne de lancer un service numérique à Abidjan et de le rendre disponible dans 23 pays dès le lendemain. Nous offrons également la possibilité de recevoir des paiements de partout en Afrique dès que le service est lancé.
En outre, nous pensons que la réussite passe aussi par des partenariats stables. Nos premiers partenaires sont les marchands, les commerçants et les entreprises, ceux qui réalisent des transactions quotidiennes. Au Sénégal, par exemple, nous avons mis en place une initiative avec la Fondation Mastercard qui a permis de créer plus de 8 000 emplois en 3-4 ans autour des services que nous proposons. Nous les soutenons en leur fournissant non seulement la technologie nécessaire mais aussi le dispositif d’accompagnement complet, parfois même jusqu’à l’infrastructure nécessaire pour distribuer ces services. Nous avons également développé avec l’UNCDF [Fonds d’équipement des Nations unies, ndlr] plusieurs programmes visant à atteindre les régions les plus reculées pour y simplifier l’accès aux services numériques.
FA: En parlant de rentabilité, quels sont les principaux leviers que vous utilisez chez InTouch pour maintenir votre équilibre financier tout en poursuivant votre expansion ?
Omar Cissé : InTouch a suivi le parcours classique d’une start-up, en devenant une multinationale ou, comme nous aimons à le dire, une « start-up multi-pays ». Nous avons commencé avec nos propres fonds, avant de réaliser plusieurs levées de fonds, avec un total de 23 millions d’euros. Nous sommes désormais à un stade où nous avons atteint la rentabilité et commençons à utiliser des instruments financiers liés à la dette.
Après avoir consolidé notre expansion — aujourd’hui nous opérons dans 23 pays et visons à être présents dans au moins 30 pays africains dans les prochaines années — nous nous sommes concentrés sur la rentabilité de l’entreprise. À partir de 2019, nous avons intensivement travaillé sur l’amélioration de notre rentabilité, ce qui a mené à notre premier EBITDA positif en décembre 2021, suivi d’une année complète d’EBITDA positif en 2022 et d’un résultat net positif en 2023. Nous sommes fiers de cette performance, obtenue après dix ans d’efforts et huit ans d’attente. Notre défi actuel est de continuer à croître tout en préservant cette rentabilité, ce qui est important pour toute entreprise en expansion.
FA : Vous avez participé à l’Africa CEO Forum de Kigali. Quelles sont vos attentes pour cet événement et comment pensez-vous qu’il va renforcer votre projet ?
Omar Cissé : L’Africa CEO Forum est une plateforme unique qui réunit de nombreux décideurs et entreprises de qualité. Pour nous, c’est l’opportunité de rencontrer ces acteurs qui cherchent à se développer en Afrique, d’échanger sur leurs défis et de leur proposer des solutions adaptées. Ce forum est également une chance de renforcer nos relations avec nos clients actuels et de rencontrer de potentiels nouveaux clients qui ont entendu parler d’InTouch mais n’ont pas encore eu l’occasion de collaborer avec nous. Nous voyons cet événement comme un excellent moyen d’accélérer l’insertion des entreprises dans le marché africain et d’enrichir notre réseau.
FA : En regardant vers l’avenir, quelles innovations ou nouveaux services InTouch envisage-t-elle d’intégrer pour répondre encore mieux aux attentes des consommateurs africains?
Omar Cissé : InTouch se positionne comme le partenaire de confiance de chaque transaction digitale en Afrique. Nous voulons être impliqués dans chaque transaction numérique sur le continent. Nous avons évolué avec l’écosystème numérique africain, qui était naissant il y a une dizaine d’années mais qui est maintenant mature et offre encore un grand potentiel de croissance. Nous avons toujours cherché à offrir les meilleures solutions pour accompagner nos clients, des petits commerçants aux grandes entreprises.
Notre objectif est de fournir la meilleure expérience de paiement à chaque entreprise qui se lance en Afrique. Nous sommes désormais connectés à tous les opérateurs de mobile money des régions que nous couvrons et envisageons de connecter tous les opérateurs de mobile money en Afrique. Notre prochain grand projet est le B2B2C, où nous voulons permettre à nos clients de mieux servir leurs propres clients via notre plateforme. Cela inclut le lancement de MyTouchPoint, une plateforme B2B2C qui permet à nos clients d’interagir non seulement via le web mais aussi via une application mobile. Nous travaillons également sur des solutions personnalisées en marque blanche pour nos clients afin d’améliorer leur expérience.
En parallèle, nous développons des solutions spécifiques pour des secteurs comme l’éducation, les assurances et les services bancaires, en collaboration avec nos partenaires. Nous voulons nous assurer que chaque entreprise en Afrique puisse offrir la meilleure expérience client possible en utilisant nos solutions. C’est un aspect fondamental de notre stratégie pour promouvoir la transformation numérique sur le continent et aider les entreprises à maximiser leur potentiel.
FA : Un dernier mot pour conclure cette interview ?
Omar Cissé : Le secteur du paiement est en constante évolution, tout comme l’écosystème numérique. Nous avons traversé plusieurs phases de développement au cours des dix dernières années, et l’Afrique subsaharienne a souvent été à l’avant-garde de ces changements. Cependant, nous rencontrons encore de nombreux défis, notamment en termes de conformité et de transfert d’argent entre les pays. Chaque pays ayant souvent ses propres réglementations, cela peut compliquer les transactions transfrontalières. Nous travaillons activement sur des solutions pour améliorer l’interopérabilité des systèmes de paiement afin de simplifier ces processus.
En dépit des obstacles, nous sommes optimistes quant à notre capacité à surmonter ces défis. L’interopérabilité entre les marchés reste une priorité pour nous, et bien que ce soit un processus graduel, les premiers pas sont prometteurs. Notre objectif est de faciliter autant que possible le commerce et les transactions en Afrique, en réduisant les contraintes réglementaires et en exploitant pleinement le potentiel du numérique.
L’avenir est prometteur, et nous sommes déterminés à continuer à innover et à développer des solutions qui non seulement répondent aux besoins de nos clients, mais qui contribuent également à façonner un avenir numérique plus intégré pour l’Afrique. C’est avec cette vision que nous abordons chaque nouvelle étape, prêts à affronter les défis et à saisir les opportunités qui se présentent.