Criblée de dettes et acculée par ses fournisseurs, la compagnie malgache d’électricité paie – et avec elle ses clients – les frais de sa dépendance aux énergies fossiles. Diversifier le mix énergétique de l’île, en poussant l’hybridation vers le solaire et l’hydroélectrique, permettrait à la fois d’alléger la dette de la Jirama tout en atteignant les objectifs de Madagascar en termes d’énergies renouvelables. Fraichement nommé au Ministère de l’Energie et des Hydrocarbures, Olivier Jean-Baptiste saura-t-il arbitrer en faveur d’un mix plus équilibré et plus durable ? Ce serait un signal fort envoyé par le gouvernement de Christian Ntsay, et plus largement par le pays dirigé par Andry Rajoelina, dont l’objectif ambitieux est de donner accès à l’électricité à plus de 50% de la population avant la fin de son second mandat.
Les habitants de Madagascar auront-ils toujours de l’électricité dans les prochains mois ? Et comment celle-ci sera-t-elle produite ? Au croisement de ces deux questions figurent les difficultés de trésorerie éprouvées par la Jirama, la compagnie nationale malgache de production et de distribution d’eau et d’électricité. Criblée de dettes, la société malgache s’est, l’été dernier, vue adresser un ultimatum de la part de plusieurs de ses transporteurs, auxquels la Jirama devait, à ce moment, près de 14 milliards d’ariary, soit l’équivalent de 3 millions d’euros.
Menaçant d’interrompre leurs livraisons de carburant aux diverses centrales opérées par la compagnie malgache, les transporteurs ont dénoncé « le non-respect des engagements de la Jirama », qui pourrait, selon eux, mener à une situation de « paralysie » handicapante pour l’ensemble du pays et de ses près de 29 millions d’habitants – sans parler des autres sociétés prestataires de la Jirama, dont les comptes sont également plombés par les retards de paiement de leur client, retards dont le montant total est estimé à 500 milliards d’ariary. Dans un pays où seulement 34 % de la population a accès à l’électricité et où celle-ci continue d’être, majoritairement, produite par des centrales thermiques fonctionnant aux énergies fossiles, la détresse financière de la compagnie publique fait peser de lourdes menaces sur le pays tout entier et obère sa transition énergétique.
Les arbitrages attendus du nouveau ministre de l’Energie
La récente nomination d’un nouveau Ministre de l’Energie et des Hydrocarbures pourrait-elle changer la donne ? Beaucoup, sur la « grande île », se prennent à l’espérer, tant Olivier Jean-Baptiste semble cocher de cases en sa faveur. Diplômé en économie pétrolière et technique à l’IFP School (Rueil-Malmaison), passé sur les bancs de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, le nouvel homme fort du gouvernement de Christian Ntsay a tout de l’homme providentiel. L’ingénieur a, en effet, fait ses débuts au sein de grands groupes pétroliers opérant en Afrique, comme Galana Distribution ou Mobil Oil Cameroun. Au terme d’une carrière entièrement dédiée aux questions énergétiques, Olivier Jean-Baptiste arrive donc à la tête du ministère en terrain connu.
Trop connu, peut-être. Nul doute, en effet, qu’à la tête du ministère de l’Energie, Jean-Baptiste aura à cœur de démêler le sac de nœuds qu’est devenue la compagnie publique d’électricité malgache. Les sous-traitants de la Jirama doivent être payés si Antananarivo et les grandes villes des provinces veulent éviter de futurs délestages du réseau électrique. Mais, lui-même ancien employé de puissants groupes pétroliers, le nouveau ministre des Hydrocarbures ne sera-t-il pas tenté d’essuyer en priorité l’ardoise des fournisseurs d’énergies fossiles ? Des fournisseurs au premier rang desquels la société Jovena, qui exige, comme ses concurrents, que lui soient versés ses arriérés en totalité. Et qui, dans un pays où 80 % de l’électricité provient des énergies fossiles, dispose d’un formidable moyen de pression.
Solaire, thermique, hydroélectrique : comment redéfinir l’équilibre énergétique malgache ?
En d’autres termes, les arbitrages bientôt opérés par Olivier Jean-Baptiste se feront-ils au détriment des acteurs de la transition énergétique malgache ? En tout état de cause, le contexte énergétique de l’île étant ce qu’il est, aucun volontarisme politique ne viendra, à court et moyen termes, à bout de l’écrasante prédominance des énergies fossiles dans le mix énergétique malgache ; il suffit, pour s’en convaincre, de constater que le carburant représente encore au minimum 15cts$/kWh sur les 17cts$/kWh qui sont facturés aux clients malgaches. Autant dire que si transition énergétique il y a bien sur l’île, celle-ci se fera nécessairement de manière très graduelle, et ne se passera pas de l’énergie thermique avant encore une dizaine d’années au moins.
Madagascar ne manque pourtant pas d’atouts pour accélérer cette transition et décarboner son mix énergétique. A commencer par l’énergie solaire, dont la massification représenterait au moins deux avantages de taille : Madagascar disposant de plus de 3 000 heures d’ensoleillement par an, les projets d’énergie solaire permettraient d’accélérer significativement la transition énergétique de l’île et d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés, à savoir 80 % de son mix énergétique d’origine renouvelable en 2030 ; hybrider le mix malgache aurait, de plus, un effet mécanique sur les dépenses de la Jirama en termes de carburants : une hybridation solaire à 9 MW permettrait une économie de 5,5 millions de dollars par an, et pousser l’hybridation jusqu’à plus de 90 MW engendrerait une économie de 54 millions de dollars par an.
Une crise porteuse d’opportunités ?
Autrement dit, favoriser les projets d’énergie renouvelable – solaire, mais aussi hydroélectrique – permettrait d’accompagner la Jirama dans son redressement financier. Tout en lui offrant davantage de flexibilité́ dans la gestion de ses opérations. Du point de vue énergétique, Madagascar se trouve donc à la croisée des chemins : s’il lui faut, évidemment, régler ses dettes envers ses fournisseurs, ces difficultés passagères peuvent impulser une dynamique positive et amorcer la véritable transition énergétique dont l’île, ses habitants et ses finances ont tant besoin. Le gouvernement malgache devra pour cela faire à la fois preuve de volontarisme en se portant, par exemple, garant pour les fournisseurs de carburant, et d’ouverture en accélérant l’hybridation du mix énergétique de l’île. La balle est dans le camp de Monsieur Jean-Baptiste.