Par Cheick Sanankoua, Managing Partner de HC Capital Properties
Il n’y a jamais eu autant de centres commerciaux en Afrique qu’actuellement et c’est un bon signe. Modèle typique de la société de consommation du 20ème siècle, le développement des centres commerciaux dans de nombreux pays du continent est révélateur de la mutation sociale et économique en Afrique. Au regard de la métropolisation des grandes villes du continent africain marquée par une évolution des habitudes de consommation et une hausse des revenus des ménages, la présence de nouveaux centres commerciaux apporte une compréhension fine des enjeux de la consommation, de l’évolution des technologies, des nouvelles dynamiques de la mobilité et de la démographie.
En moyenne, la proportion des ménages africains dont le niveau de consommation est inférieur au seuil de 1,9$ par jour est passée de 40% en 2010 à 34% en 2019, en deçà de 3,2$ par jour de 63% en 2010 à 59% en 2019, et en deçà de 5,5$ par jour de 83% en 2010 à 80% en 2019. Malgré une légère hausse du taux de pauvreté en 2020 pour cause de crise sanitaire liée à la Covid-19, la croissance a été de retour en 2021 avec un niveau estimé à 4,5% selon le FMI, et cette même institution donne une projection de croissance estimée à 3,8% pour le continent africain en 2022.
Ainsi, le nombre de centres commerciaux a, en parallèle de cette solide croissance, fortement augmenté sur le continent ; l’Afrique en comptait 225 en 2010, elle en compte 622 en 2021. Toutefois, les centres commerciaux sont très inégalement répartis ; des pays comme l’Égypte, le Kenya, le Maroc, ou l’Afrique du Sud ont des espaces commerciaux bien plus développé que la moyenne des pays africains. L’Égypte par exemple compte à lui seul, près de 106 centres commerciaux, dont près de 66 juste au Caire. Il semble donc nécessaire de définir, sur toute l’étendue du continent, une stratégie claire de développement d’actifs afin de constituer un portefeuille cohérent de centres commerciaux pérennes au cœur des territoires à forts potentiels de croissance économique ou avec une forte densité de population pour répondre aux attentes de celles-ci. De ce fait, un territoire en Afrique présentant une zone de chalandise de plus de 100.000 habitants ainsi qu’une dynamique économique attrayante serait éligible à une infrastructure de grande distribution moderne. La notion d’infrastructure de grande distribution moderne englobe les centres commerciaux, les galeries marchandes et les marchés modernes, adaptés au modèle de consommation des ménages africains.
En effet, l’enjeu principal des prochaines années en Afrique sera de proposer des centres commerciaux qui s’articulent autour de la durabilité environnementale et sociale afin d’adresser aux consommateurs des offres pertinentes et d’amorcer l’essor des commençants locaux, futurs champions nationaux, en accompagnant leur transformation et la valorisation de leurs offres. Peu d’acteurs tiennent compte des spécificités du continent dans leur approche d’investissement. En effet, la conception des centres commerciaux devrait s’articuler autour des besoins de la classe consommatrice africaine, qui est majoritairement constituée des ménages à revenus faibles et moyens. Dans ce contexte, la modernisation des marchés traditionnels de vente de détails apparait comme une véritable opportunité, en vue d’adresser une portion plus importante des consommateurs à faibles revenus.
En plus des pays cités précédemment, il sera donc nécessaire d’être très vite capable de viser des pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Cameroun, le Gabon, la République Démocratique du Congo ou encore le Congo.
Un modèle dépassé ?
Ces dernières années, l’explosion du numérique et de l’e-commerce en Afrique peut laisser croire que le développement des centres commerciaux est à contre-courant. Mais c’est tout l’inverse qui se passe en réalité. L’e-commerce et les centres commerciaux sont, par leur complémentarité, deux facettes de la même pièce. La signature en 2018 d’un partenariat entre Jumia, leader de l’Internet marchand en Afrique, et Carrefour, pionnier français de la grande distribution, en atteste. Ce type de partenariat permet de proposer un ensemble de produits et de services qui intègrent les grands enjeux qui sont liés à la digitalisation de nos us et coutumes. De plus, les grandes villes africaines souffrent de défis urbains complexes tels que la circulation dense, la mobilité limitée en raison du manque de transports publics adéquats, les habitudes naturelles et culturelles poussant les personnes à rester dans leurs quartiers. Ainsi, les infrastructures de consommation modernes existantes (centres commerciaux, galeries marchandes et marchés traditionnels modernes) agissent comme des mini centres de distribution pour le e-commerce.
Les centres commerciaux du 21ème siècle sont bien différents de leurs prédécesseurs. Ils se réinventent en se connectant aux consommateurs bien au-delà des bâtiments via le web, alliant ainsi expérience client physique et digitale, prennent des nouvelles formes pour devenir des lieux propices au tissage de lien social. Ils deviennent des lieux de liberté, où les populations se baladent, des lieux de passage stratégique dans lesquels nous pouvons retrouver des gares, ou encore un moyen efficace pour recréer des espaces d’échanges et d’interactions à travers l’implémentation de différents points culturels comme des cinémas ou encore des bibliothèques. Les centres commerciaux deviennent finalement des lieux de vies pour les individus et les familles de par la multiplicité des actions et opérations qu’ils proposent.
En plus de permettre aux populations précaires d’avoir accès aux meilleurs standards d’hygiènes, de qualité et de sécurité, le développement des centres commerciaux sur le continent africain est un modèle moderne qui est parfaitement adapté à l’évolution actuelle de la société africaine, en prenant en compte toute sa diversité et sa complexité.