“L’Afrique doit transformer ses matières premières avant de les exporter”
À la veille de la rencontre “US-Africa Business Summit” qui réunit du 19 au 22 juillet à Marrakech (Maroc) des chefs d’Etat, des ministres et des institutions financières, nous avons interviewé Florie Liser, CEO de Corporate Council on Africa (CCA), initiatrice de la conférence. Également coprésidente du conseil consultatif de la Millennium Challenge Corporation (MCC), l’économiste, titulaire d’un M.A. en économie internationale de l’Université Johns Hopkins, School of Advanced International Studies (SAIS), et d’un B.A. en relations internationales et sciences politiques du Dickinson College, a un parcours de haut niveau. Première femme à diriger la CCA, institution dédiée au renforcement des échanges commerciaux avec l’Afrique, depuis sa création en 1993, madame Liser estime qu’il est temps pour l’Afrique de transformer localement ses matières premières avant de les exporter. Pour celle qui a rejoint la CCA en provenance du Bureau américain au commerce (USTR), où elle était la représentante adjointe du commerce américain pour l’Afrique depuis 2003, les relations entre l’Afrique et le reste du monde doivent être évaluées qualitativement, en termes d’exportation de produits transformés sur place et non de produits bruts. À l’USTR, madame Liser avait notamment dirigé la politique commerciale et d’investissement envers 49 pays d’Afrique subsaharienne, supervisant la mise en œuvre de la Loi sur la croissance et les opportunités en Afrique (AGOA). Dans sa carrière, Mme Liser a été représentante adjointe du commerce américain pour l’industrie, l’accès au marché et les télécommunications de 2000 à 2003. Elle a également été conseillère principale en politique commerciale au Bureau du transport et du commerce internationaux du ministère des Transports de 1987 à 2000 ; elle a travaillé comme directeur au Bureau des affaires du GATT de l’USTR et a été chercheur associé à l’Overseas Development Council (ODC) de 1975 à 1980. Tout récemment, Florie Liser a été membre du comité consultatif pour l’Afrique subsaharienne de l’Export-Import Bank (EXIM) de 2019 à 2021 et a été membre du conseil d’administration de Women in International Trade (WIIT). C’est donc une femme qui maîtrise bien son chapitre qui répond à nos questions sur les relations commerciales et les investissements entre les USA et l’Afrique.
Quels sont les objectifs assignés à cette édition de US-Africa Business Summit de Marrakech ?
Notre objectif global est de promouvoir le business. Nous avons à la fois des multinationales et des PME parmi nos membres. Nous favorisons la mise en relation de nos membres avec d’autres entreprises et sommes présents dans de grands événements à l’instar des assemblées générales de l’ONU ou des réunions des institutions de développement comme la Banque Mondiale. Nous encourageons les échanges avec l’Afrique et sensibilisons le secteur privé américain sur l’évolution du climat des affaires en Afrique. La perception du risque associée au continent est très souvent exagérée. Cette session de Marrakech offrira des perspectives importantes sur l’orientation future des relations commerciales et d’investissement des États-Unis avec l’Afrique, ainsi que sur ce que l’Afrique attend des États-Unis. Les entreprises et les gouvernements offriront leurs points de vue sur les politiques et les approches qui auront le plus grand impact sur le développement durable et l’approfondissement des liens commerciaux et d’investissement.
Quelles sont vos attentes en termes de niveau de participants ?
Nous organisons cet événement tous les ans alternativement en Afrique et en Occident. En 2019 , à Maputo, au Mozambique, nous avions réuni 800 personnes. Marrakech est une étape charnière. C’est la première fois que nous organisons le US-Africa Business Summit en Afrique du Nord dans un pays, le Maroc, qui a la particularité d’être un investisseur majeur en Afrique subsaharienne. L’un des objectifs de ce forum est de voir comment augmenter les échanges entre l’Afrique et les USA, notamment les IDE. Le continent ne reçoit que 1,7 % des IDE de par le monde.
Justement en dépit de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) dont vous êtes l’un des artisans, les échanges entre l’Afrique et les USA sont nettement en deçà de ceux entre la Chine et l’Afrique. Comment expliquez-vous ce gap ?
C’est vrai mais nous ne devons pas voir les choses sous cet angle. Quand l’AGOA a été signé en 2000, l’Afrique n’avait pas de capacités de production suffisantes pour fournir le marché américain. Aujourd’hui alors que l’AGOA s’approche de sa date d’expiration en 2025, c’est encore le cas. Le plus important est de faire en sorte que l’Afrique exporte des produits semi transformés ou transformés et non des matières premières à l’état brut. Il faut exporter des produits avec de la valeur ajoutée. Ce n’est pas encore le cas de la noix de cajou dont 70% vont à l’état brut au Vietnam et en Inde. Le Vietnam transforme ces produits et les réexporte en Afrique et en Europe. Imaginez le manque à gagner pour l’Afrique. Les exportations africaines vers le Chine sont constituées essentiellement de matières premières. Il est temps pour les pays africains de se positionner sur la transformation de leurs matières premières sur place. Le pétrole, le diamant et les autres ressources sont exportées en général sans transformation. C’est ce qui explique le paradoxe du Nigeria, exportateur de pétrole brut et importateur de pétrole light.
La COVID-19 a remis en cause beaucoup de chaînes de valeur. Une nouvelle donne s’est mise en place. De nouvelles opportunités se créent. Il faut créer des chaînes de valeur résilientes. L’Afrique peut se positionner sur les semi -conducteurs, sur l’électronique et dans des segments porteurs. Du reste, Il y a beaucoup de sociétés américaines en Afrique mais pas assez comme cela se devrait. Des institutions américaines clés participent à ce forum et elles vont nous aider à faciliter les échanges avec l’Afrique. Nous attendons la présence de beaucoup de chefs d’Etat dont, nous l’espérons bien, Macky Sall, president en exercice de l’Union Africaine.
La sécurité alimentaire est un sujet de préoccupation au niveau international. Comment votre organisation peut-elle aider l’Afrique à résoudre cette équation?
La sécurité alimentaire est à la une depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février dernier.Nous devons à court terme veiller à ce que l’Afrique ait accès à tous les programmes d’urgence et d’assistance organisées dans le cadre de la coopération internationale. À moyen et long terme, il faut transformer le potentiel de l’Afrique, détentrice de 60% des terres arables encore inexploitées dans le monde. L’Agriculture doit être envisagée dans une chaîne de valeur incluant la transformation sur place et non seulement l’exportation des produits à l’état brut.
Etes-Vous optimiste quant à l’avenir de l’Afrique ?
Oui, plus que jamais. L’Afrique sera un partenaire commercial et d’investissement de plus en plus important, sa population jeune devant doubler d’ici 2050 pour atteindre 2,5 milliards de personnes. L’Afrique a amélioré sa compétitivité et son intégration dans les chaînes d’approvisionnement mondiales en améliorant le climat des échanges et des investissements au niveau national. Les pays africains négocient également l’Accord de libre-échange continental africain (ZLECAF/ AfCFTA), qui mettra en place la plus grande zone de libre-échange depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce et permettra à l’Afrique de mieux tirer parti de la puissance de son marché en pleine croissance.