Actualité oblige, nous nous tournons de nouveau vers Moro Guéta Cissé pour décrypter le jeu des acteurs politiques en Gambie. Aux yeux de l’opérateur économique qui a vécu dix années à Banjul, le revirement de Yaya Jammeh est dicté par la peur et, il faut bien le reconnaître , par des erreurs de communication du nouveau président élu. Adama Barrow n’est certainement pas adepte de Conficius lequel enseignait que si tu accules l’ennemi dans une impasse, sans aucune voie de retraite possible, tu l’obliges à un corps à corps désespéré et suicidaire. Dans le cas d’espèce, promettre à Jammeh, dès le lendemain même de la reconnaissance de sa défaite, un box à la Cour Pénale Internationale (CPI) et, en prime, le sort de Laurent Gbagbo, revient à le faire muer, quitte ou double, en un nouveau Robert Gueï en lieu et place du pépère fermier de Kanilaï qu’il rêvait de devenir.Décryptage.
F.A. Quelle lecture faites-vous de la situation actuelle en Gambie suite au reniement du Président Jammeh?
MGC: J’avoue que le scénario qui se joue actuellement n’était pas dans mes prévisions, car je ne pouvais pas imaginer que le Président Jammeh, après avoir reconnu sa défaite et félicité le Président élu, revienne sur ses propres déclarations pour contester les résultats sous le prétexte que la Commission Electorale Indépendante s’est trompé et a corrigé les premiers résultats publiés alors que les nouveaux résultats réajustés sont encore en faveur de Mr Adama Barrow.
Je suis d’autant plus surpris et choqué que des voies de recours existent et qu’elles ne sont pas encore forcloses (NDRL: à l’heure où l’entretien se déroulait, Yaya Jammeh n’avait pas encore annoncé qu’il allait introduire un recours devant la Cour Suprême. Il avait jusqu’au 12 décembre, soit ce lundi, jour férié hélas, pour le faire. Son dossier qui sera déposé mardi, soit un jour après la date de clôture, sera-t-il accepté ?) mais la préférence du Maître des lieux est pour une contestation des résultats et une nouvelle élection sans en préciser les modalités et son argumentaire ne repose sur aucune base constitutionnelle.
Par ailleurs, même si le recours devait être introduit par le président Jammeh auprès de la Cour Suprême, il y’a un risque non négligeable: les hauts magistrats sont presque tous des étrangers sous contrat révocable avec le gouvernement gambien même si le support de leur analyse ne peut être que celui qui leur sera fourni par la Commission Electorale Indépendante.
F.A. Qu’est ce qui peut bien expliquer cette nouvelle attitude du Président Jammeh?
MGC: La peur et rien que la peur d’une part du côté du Président Jammeh et, d’autre part, l’impréparation et l’amateurisme du Président élu, peu préparé à ses nouvelles charges et pas du tout encadré par sa coalition pour sa communication alors que celle-ci compte de brillants intellectuels et des politiciens très avisés , connaissant très bien les capacités de nuisance du Président Jammeh.
Je rappelle qu’il s’agissait d’une élection gambienne alors que le Président élu ne s’est pas encore adressé directement à ses concitoyens à travers la GRTS (télévision nationale) mais plutôt avec la presse sénégalaise qui a fait beaucoup de bruits autour de cette victoire, privilégiant les nouvelles perspectives de coopération que la nouvelle donne va faciliter à toute autre considération objective.
Des erreurs graves ont été commises dont les conséquences ont conduit à la situation actuelle car si, dès les félicitations du Président Jammeh, le Président élu avait fait sa déclaration à travers la GRTS, procédé à la nomination de son Directeur de Cabinet ayant pour mission de prendre contact avec les autorités pour la préparation de la passation de service, les choses se seraient passées autrement car des alertes pouvaient avoir lieu très tôt et les jeux et intrigues éventuels seraient très vite découverts et portés à la connaissance de tous.
Cette situation n’honore point le Président Jammeh mais, également, il met à nu la naïveté et le degré d’impréparation de la classe politique réunie au sein de la coalition alors qu’elle compte en son sein des leaders expérimentés et rompus à la lutte politique dont certains ont eu des expériences d’hommes d’état.
F .A. Quelle solution en perspective ?
MGC: A mon avis, les autorités sénégalaises devraient mettre un peu de bémol dans leurs actions et déclarations publiques car la diplomatie est plus efficace quand elle est souterraine. Il s’agit d’abord d’une affaire strictement gambienne, des conseils auraient pu être donnés en temps opportun dans la discrétion avant que le Président Jammeh ne déroute leurs plans et, en l’absence d’une demande formelle du Président élu, Adama Barrow, pour assurer sa sécurité qu’aucune agence de sécurité privée étrangère ne disposant pas d’armes en territoire étranger n’a de chance d’assurer convenablement et, aucune intervention militaire extérieure ne peut être envisagée sans une résolution des instances ayant compétence en la matière.
Le préu Jammeh a d’ailleurs fermé les frontières de la Gambie sans dévoiler sa stratégie. Une intervention militaire serait très risquée et sur quelle base d’autant que la période de transition est toujours en cours et beaucoup de positions peuvent évoluer. Par conséquent, la voie du dialogue devrait être privilégiée et la porte de sortie pourrait entre les mains des Présidents Mohamed Ould Abdel Aziz de la Mauritanie, Alpha Condé de Conakry , José Mario VAZ de Bissau et Ibrahima Boubacar Keita du Mali, surtout que le Président mauritanien lui a déjà assuré grâce à l’armée mauritanienne un retour gagnant en Gambie suite à un coup d’état manqué alors qu’il était en visite d’état en Mauritanie.
Il faut éviter les discours belliqueux des va- t’en guerre, la sagesse est la seule voie qui sied en pareille circonstance et en Afrique quand la case du voisin brule on ne doit pas attiser le feu mais plutôt aider à le circonscrire pour l’anéantir.
Face au déficit de communication et de prises d’initiatives fortes de la part du Président élu ainsi qu’aux menaces à peine voilées de poursuite du Président Jammeh devant la CPI, il est compréhensible que l’armée gambienne, toujours aux ordres, se retrouve autour de son chef surtout après les dernières nominations en son sein pour récompenser et mettre de son côté les fidèles ainsi que tous les hésitants ou indécis.
La condamnation du volte- face du Président Jammeh par l’Union Africaine et d’autres condamnations et résolutions qui vont suivre sont importantes mais, Il est urgent qu’une délégation composée des présidents ci-dessus cités se mette au travail pour désamorcer cette bombe dont les effets pourraient être dramatiques pour le peuple gambien et les hôtes étrangers qui y vivent et dont les ressortissants des pays cités y vivent en toute quiétude.
La Gambie d’aujourd’hui n’est pas celle où Fodé Kaba a pu réinstaller le Président Dawda Jawara car elle dispose désormais d’une armée bien entrainée disposant d’un armement sophistiqué pouvant faire face à toute agression extérieure fut elle pour des raisons démocratiques ou humanitaires et l’erreur à ne pas commettre est d’oublier que Fodé Kaba s’attaquait aux rebelles de Koukoï Samba Sanneh et non à l’armée gambienne presque inexistante à l’époque.
F.A. Quel rôle les chefs religieux sénégalais pourraient- ils jouer dans ce dossier ?
MGC: Qu’on laisse les politiques s’occuper des affaires de la politique et que les chefs religieux restent nos guides spirituels ; les gens ont tendance à oublier que le Président Jammeh a les meilleures relations avec les guides spirituels de la sous-région et que comme pour Khelcom (champs cultivé chaque année par des disciples de la communauté Mouride) ce sont les talibés mourides qui viennent bénévolement sur N’diguel (ordre religieux synonyme de Fatwa) du Khalife chaque année pour assurer la récolte de ses champs à son village natal de Kanilai. Donc, que l’on ne s’y trompe pas.
F.A: Une heureuse sortie de crise est t-elle encore possible ?
MGC: Je suis optimiste quant à une issue heureuse de ce dossier si la commission que je préconise prend en main l’affaire car sa résolution rapide et sans effusion de sang sera à l’avantage de tous les peuples de la sous-région dont les ressortissants travaillent et gagnent honnêtement leur pain en Gambie et nul ne souhaite voir un voisin, un ami ou un compatriote perdre la vie pour de simples affaires politiques.