Par Guy Gweth
« N’imitez rien ni personne. Un lion qui copie un lion devient un singe. » S’il fallait s’en tenir à cette citation de Victor Hugo, 30% des commerces en Afrique seraient remplis de singes. Des logiciels aux pièces automobiles en passant par des appareils téléphoniques, des marques de vêtements, de cigarettes, des aliments, des médicaments, des modèles de gestion etc., le continent apparaît comme un bon client de l’industrie de la contrefaçon.
Comment ça marche ? Entre le « vrai-faux » qui consiste en un détournement fiscal de vrais produits, le « faux-vrai » qui renvoie à la fabrication clandestine de génériques sans danger pour le consommateur, le « faux-faux » est le mode le plus néfaste pour la compétitivité de l’Afrique. Car il frappe aussi bien les recettes fiscales, les droits des titulaires et la sécurité du consommateur que la santé publique. Aucun secteur n’est épargné et le phénomène fausse dangereusement le jeu de la concurrence au point d’effrayer plusieurs opérateurs économiques étrangers. Mais il y a pire : les conséquences sur la santé publique. Sur les 10 dernières années, les copies vedettes en Afrique subsaharienne (génériques compris) ont été et sont: le Viagra, l’aspirine, le groupe des traitements dédiés au paludisme et le trio consacré au Sida. Alors que Knowdys Database place le curseur à 35% en moyenne, l’Organisation mondiale de la santé chiffre à 30 % les médicaments contrefaits en Afrique avec des pics de 60% dans un pays comme le Nigeria. La majorité des produits contrefaits proviennent de la Chine, de l’Inde et du Nigeria. Ciment, farine, peinture, sucre, lactose, antigel… tout y passe. Ou presque. Du moment que les contrefacteurs obtiennent l’apparence la plus proche possible du médicament original.
Quel impact sur la compétitivité ? Dans un pays comme le Nigeria, le crime organisé a pris le pas sur les petits falsificateurs, reléguant les brevets et les droits d’auteurs aux oubliettes. Sur ce marché domestique, pour ne citer que lui, l’industrie du médicament contrefait réalise de gigantesques profits à moindre coût sans se soucier de la sécurité et des consommateurs. Selon les estimations de Knowdys, 35 % des médicaments circulant en Afrique au 3ème trimestre 2014 sont d’origine douteuse. Exposés au soleil et aux intempéries, ces produits sont vendus, hors contrôle, sur les marchés, au milieu des préservatifs et des friandises… Malgré les campagnes de sensibilisation régulièrement financées par les fonds internationaux, les consommateurs n’en démordent pas ; pour une raison que les autorités feignent d’ignorer : la faiblesse du pouvoir d’achat des populations. Un Africain dépense, en moyenne, 12 dollars/an pour ses médicaments contre 377 dollars pour un Européen, 505 dollars pour un Japonais et 765 dollars pour un Américain, d’après les statistiques (2013) deKnowdys. Dans son rapport 2014, Interpol précise que le prix du médicament générique, le moins cher, pour soigner un ulcère équivaut à trois jours de salaire de fonctionnaire dans la plupart des pays africains. Mais cela ne justifie pas qu’en plus des dangers de santé publique, les entreprises qui investissent en R&D, créent des emplois locaux et paient des impôts, soient massacrées par l’industrie de la contrefaçon.
L’intelligence économique est-elle la solution ? – Alors que leurs marchés traditionnels sont à maturité, certaines multinationales du luxe telles que LVMH, Chanel et l’Oréal, des grands équipementiers mondiaux comme Bosch, Johnson Controls et Valeo, ou des majors de l’agroalimentaire à l’instar de Coca-Cola, Nestlé et Unilever, vont chercher la croissance en Afrique où attend une classe moyenne de plus de 400 millions de consommateurs. Microsoft, par exemple, estime perdre 20 milliards USD/an dans le monde des suites de contrefaçon. Pour accompagner ces géants sur le marché africain, les conseils en intelligence économique et stratégique jouent un rôle de premier plan pour étudier les habitudes de consommation, établir les profils des prescripteurs, analyser la concurrence, identifier les menaces liées à la corruption et à la contrefaçon, cartographier les contrefacteurs et préparer les ripostes idoines. La même offre est proposée aux entreprises locales menacées dans leurs positions. L’intelligence économique les aide à renoncer au renoncement, à traiter le feu et non la fumée, à se rappeler que le fait de ne pas intercepter les produits contrefaits ne signifie pas qu’ils ont cessé d’exister…
Quelles leçons peut-on en tirer ? Lancée par l’Organisation mondiale des Douanes, « l’Opération Biyela 2 » – pour ne citer qu’elle – a levé un pan du voile sur la facture que paye l’Afrique à la contrefaçon. En dix jours (du 26 mai au 4 juin 2014), son dispositif de contrôle simultané a permis d’intercepter 133 millions d’euros de produits contrefaits avec la participation active de 14 pays africains. Dans leur lutte accrue contre la contrefaçon, des gouvernements courageux (ex : Rwanda, Maurice et Ghana) recourent par ailleurs aux services d’experts en intelligence économique pour jouer les « clients mystères » auprès des importateurs et des services douaniers. Les résultats parlent d’eux-mêmes. En plus des outils techniques (loupes intenses et rayons infrarouges) capables de distinguer les produits contrefaits des originaux, les cabinets spécialisés telsKnowdys tiennent des bases de données permettant de dessiner les tendances futures de la contrefaçon sur des territoires précis (ex: Afrique centrale et de l’Ouest). L’analyse de leurs collectes permet de générer des cartographies d’acteurs, de définir l’évolution des stratégies des fraudeurs, d’anticiper de nouveaux circuits, d’aider les politiques et les entrepreneurs concernés à prendre des mesures préventives et/ou dissuasives.
Guy Gweth
Directeur des Opérations
Knowdys Consulting Group – Home : www.knowdys.com