Le rapport du cabinet de conseil en stratégie McKinsey, curieusement intitulé « Lions go digital » a le grand mérite de tordre le cou à certaines idées reçues. La plus importante d’entre elle, véhiculée aussi dans ce blog, repose sur une fracture numérique abyssale entre une Afrique anglophone hyper digitalisée car enfant prodige d’un schéma colonial vertueux (sic) et une pauvre Afrique francophone lestée de la « françafrique » et incapable d’entrée dans l’histoire numérique qui s’écrit.
Jean Christophe Desprès (blog)
S’il n’est pas faux de constater que les startups hype éclosent majoritairement au Nigéria – taille de population oblige – ou au Kenya grâce à un accès au financement plus favorable, il n’en demeure pas moins que l’Histoire qui s’écrit en ce moment est comme toujours celle du chasseur et celui-ci est anglo-saxon. Un journaliste installé à Nairobi me confiait ainsi récemment que la barrière de la langue était le principal facteur explicatif de l’absence de couverture des pays francophones par le groupe pour lequel il travaille. Et aussi pointait-il le caractère paradoxal du miracle technologique kenyan, peu porté dit-il par les acteurs locaux.
And the winners are
Le Sénégal est, devant le Kenya, le pays pour lequel le numérique contribue le plus au PIB (3,3%). Investissements dans la fibre optique, multiplication des cybercafés expliquent ce dynamisme. Ajoutons, et c’est une lacune dommageable à ce rapport, le poids de la diaspora dans ce dynamisme numérique, les principaux sites de référence (seneweb, rewmi…) totalisant chacun plus de 5 millions de visiteurs uniques mensuels, dans et hors du pays, ce qui est considérable pour une population d’environ 12 millions d’habitants. La pénétration internet étant de 18% au Sénégal, l’impact des migrants est donc évidemment majeur. Il sera utile sur ce point de se référer aux travaux de recherche e-diasporas
Il l’est aussi au Maroc, dans un contexte différent puisque 51% de la population y est connectée, un record en Afrique. Doté de bonnes infrastructures, de services publics plutôt bien connectés, le Maroc tarde cependant à s’ouvrir au e-commerce et à la banque en ligne malgré la présence d’acteurs financiers de premier plan. Le passage à l’internet mobile, moins développé qu’ailleurs en Afrique représente un enjeu majeur sur un continent où 300 millions de personnes seront équipées de smartphones à la fin de la décennie.
Le coût de la bureaucratie
Malgré sa richesse, l’Algérie reste très faiblement connectée avec un taux de pénétration de 14% (même si Facebook y compte plus de 4 millions d’utilisateurs) et paie le prix d’un Etat omnipotent et défaillant. Le Cameroun souffre aussi de son incurie publique malgré un nombre considérable d’entrepreneurs réussissant sur tout le Continent. L’initiative ActivSpaces est néanmoins saluée dans le rapport.
La Côte d’Ivoire, malgré tous ses atouts, paie elle le prix de son instabilité politique. On suivra donc de près le développement d’Orange Money ou le lancement d’initiatives dans le domaine de l’e-éducation dont nous devrions reparler prochainement.
Mettre la lumière sur une Afrique en marche
Il serait trop simpliste de prétendre que tout ça n’est qu’une affaire de communication mais il est dommageable de ne pas disposer d’un techloyfrancophone. Il serait aussi indispensable aux acteurs économiques digitaux de disposer d’attachés de presse multilingues pour attirer sur eux le regard des médias du monde entier.