Par Abderrahmane MEBTOUL, Professeur des universités, expert international, docteur d’Etat.
Lors de sa réunion prévue à Alger du 29 février au 2 mars 2024, l’organisation des pays exportateurs de gaz (GECF) abordera deux dossiers fondamentaux : le rôle du gaz, considéré comme un produit relativement propre par rapport au pétrole et au charbon, dans la transition énergétique future, et le prix d’équilibre qui concilie les intérêts des producteurs et des consommateurs. Rappelons que le GECF, créé en 2001, regroupe 11 pays membres : 5 en Afrique (Algérie, Égypte, Guinée équatoriale, Libye, Nigeria) ; 2 au Moyen-Orient (Iran, Qatar) ; 3 en Amérique du Sud (Bolivie, Trinité-et-Tobago, Venezuela) ; et la Russie. Sept pays non-membres ont un statut d’observateur : l’Angola, l’Azerbaïdjan, les Émirats arabes unis, l’Irak, la Malaisie, la Norvège et le Pérou, représentant environ 70% des réserves mondiales de gaz.
Au 20 janvier 2024 à 8h GMT, le prix du Brent s’élevait à 78,60 dollars et celui du WTI à 73,43 dollars. Le prix de cession du gaz sur le marché libre, ayant atteint un pic le 9 janvier 2023 à 57,8 euros le MWh, était coté à 32,858 euros le MWh. En France, sur le marché PEG, le prix du MWh de gaz pour le contrat de mars 2024 était de 28,045 €/MWh, contre 33,398 €/MWh le 27 décembre 2023. Les tensions en mer Rouge pourraient impacter l’évolution des prix des hydrocarbures, sachant que près de 12 % du commerce mondial y transite, avec environ 30% des volumes de conteneurs. Les pétroliers passant par la mer Rouge représentent entre 12 et 14% du trafic maritime mondial. Le détroit d’Ormuz, contrôlé par l’Iran, est la zone de transit d’hydrocarbures la plus importante au niveau international, avec un flux quotidien estimé à 21 millions de barils, soit 21 % de la consommation mondiale de produits pétroliers. Cela a un impact sur les coûts du transport maritime, avec des augmentations de prix allant de 60 à 100 %, atteignant un pic en 2023, et un coût supplémentaire de 1 000 à 2 000 USD pour un conteneur transitant par la région européenne.
Selon Allianz Trade, un doublement des coûts du fret maritime pourrait entraîner une augmentation de 0,7 point d’inflation en Europe et aux États-Unis, contre 0,3 point en Chine. Pour l’inflation, cela représenterait une hausse de 0,5 point, soit 5,1 % d’inflation en 2024, avec un impact de -0,9 point sur la croissance du PIB pour l’Europe et de -0,6 point pour les États-Unis. À l’échelle mondiale, l’impact sur la croissance du PIB serait de -0,4 point, limitant celle-ci à +2 % pour 2024. Il est crucial d’éviter toute mauvaise interprétation concernant le niveau des réserves de gaz ou de pétrole. Premièrement, les réserves sont calculées en fonction du prix international et des coûts : par exemple, si le prix est de 100 dollars le mégawattheure, les réserves se rapprochent du niveau actuel ; mais si le prix tombe à 50 dollars, les réserves sont divisées par deux.
Deuxièmement, le prix du gaz ne réagit pas instantanément à l’offre et à la demande comme le pétrole, le marché du gaz étant segmenté géographiquement du fait de la prépondérance des canalisations (environ 70 %) et du GNL (environ 30 %), ce qui souligne l’importance des contrats à moyen et long terme en raison de lourds investissements et de la rentabilité à moyen et long terme. Actuellement, 65 % du gaz est transporté par canalisation et 35 % sous forme de GNL. Il est prévu que le GNL représente 48 % du volume global de gaz échangé en 2030. Selon Self Energy Fr, une réactualisation des réserves prouvées au niveau mondial montre, par ordre décroissant, la Russie avec 37 400 milliards de mètres cubes, l’Iran avec 32 100 milliards, le Qatar avec 24 700 milliards, et ainsi de suite. Les réserves économiquement exploitables de gaz naturel en Algérie étaient estimées en 2020/2021 à 2 279 milliards de mètres cubes, plus 27 320 milliards de ressources potentielles, dont 1 800 milliards de gaz conventionnel et 20 020 milliards de gaz de schiste, ce dernier étant le troisième réservoir mondial. Il ne faut pas confondre les réserves avec la production, ni la production avec l’exportation, après avoir déduit la consommation intérieure et l’injection de 20 à 25 % dans les puits de gaz pour éviter leur épuisement.
En termes de production en 2022, les États-Unis arrivent en tête avec 1 027 milliards de mètres cubes, suivis par la Russie, l’Iran, et d’autres. Le mix énergétique mondial évolue, mais reste dominé par les énergies fossiles, avec le pétrole à 31,569 %, le gaz naturel à 23,490 %, et le charbon à 26,731 %. Selon les prévisions, le gaz naturel et les énergies renouvelables représenteront 60 % de l’approvisionnement en électricité d’ici 2050, modifiant ainsi le mix mondial de production d’électricité. Pour le GECF, l’investissement total dans le gaz d’ici 2050 atteindra près de 10 000 milliards de dollars, et la production mondiale de gaz pourrait augmenter de 1 900 milliards de mètres cubes pour atteindre plus de 5 900 milliards. Pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, selon le consultant américain BCG, il faudrait investir 27 000 milliards de dollars dans six domaines principaux, incluant les énergies renouvelables, les réseaux électriques, le stockage d’énergie, les carburants alternatifs, les matériaux pour bâtiments verts, et les technologies de capture et de stockage de CO2. Les mutations mondiales actuelles, influencées par une recomposition du pouvoir mondial vers un monde multipolaire et les changements à venir entre 2024, 2030 et 2035, nécessitent des adaptations systémiques pour s’insérer dans un ordre social en devenir. Ces bouleversements influent sur les méthodes de gestion des États, et la prochaine réunion ministérielle du GECF devrait adopter des stratégies d’adaptation tenant compte de ces nouvelles mutations énergétiques mondiales.