C’est à une véritable bataille de communication que l’on a assisté ces dernières semaines sur la question de la flexibilité des prix des carburants. L’annonce d’une hausse des prix à la fin du ramadan par le président Condé en personne fin mars a amené le FNDC (Front national pour la défense de la Constitution) et des acteurs politiques a suscité le débat sur l’opportunité, le bien-fondé et la légalité d’une éventuelle hausse des prix des hydrocarbures dans un contexte de crise. Le débat qui, au départ questionnait sur l’opportunité de cette hausse éventuelle et renvoyait à une opposition à cette éventualité est allée bien au-delà du simple rejet de cette démarche. Il a surtout permis d’éclairer la lanterne des Guinéens sur les mécanismes de structuration des prix des hydrocarbures et parfois, la manipulation dont cette opération peut éventuellement faire l’objet et plus globalement comment les dirigeants des États font payer à leurs populations la facture de la crise, parfois de la mauvaise gouvernance financière et des déficits budgétaires qui en découlent. Flashback sur ce lobbying des acteurs politiques et le débat démocratique cristallisant qui a fait plier en deux le gouvernement guinéen.
Alpha Condé annonce des couleurs
En ces temps de crispations démocratiques et de forts antagonismes politiques dans un pays historiquement secoué par les violences politiques d’État, les faits sont assez rares et se doivent d’être soulignés. Tout est parti d’une annonce officielle du chef de l’État Guinéen, Alpha Condé fin mars, qui a déclaré que son gouvernement » envisage d’augmenter le prix des produits pétroliers à la pompe après la fin du mois de ramadan ». Depuis, il a ouvert la voie à toutes les spéculations, des plus folles aux plus pertinentes. Sidya Touré, le leader de L’UFR a ouvert la brèche dans la foulée en dénonçant la posture présidentielle sur la question, estimant qu’il ne revenait pas, selon lui, au président de la République de faire cette annonce et que cela relève plutôt de l’administration et des structures qui s’occupent de ces questions, et évidemment en concertation avec les acteurs concernés. Mettant au passage, en garde le chef de l’État sur son approche comparative des prix des hydrocarbures avec les autres pays de la sous-région comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire, entre autres. Alpha Condé avait déclaré que le prix du litre d’essence à la pompe est en hausse chez les voisins sénégalais et ivoiriens. « Le litre est vendu à (équivalent de) 13.000 GNF au Sénégal. En Côte d’Ivoire 14.000 GNF. Nous ici, nous sommes à 9000 GNF », avait-il soutenu.
Le leader de l’UFR estimait qu’il fallait relativiser ces chiffres avancés par le chef de l’État, mais aussi cette comparaison en prenant en compte certains indicateurs comme la disponibilité des transports en commun, le PIB par habitant, le SMIG, etc… » En Côte d’Ivoire, le carburant coûte 615 FCFA équivalents de 10,600 francs guinéens à peu près pour 1 euro. Ceci n’est pas une raison dans la mesure où pendant la même période, vous avez 2.000 bus qui circulent dans la ville d’Abidjan qui sont réglementés et qui permettent aux citoyens de se déplacer. Aujourd’hui, le SMIG en Côte d’Ivoire est équivalent à 100 euros, soit 1.200.000 GNF. Il ne faut pas comparer ça aux 450.000 de SMIG en Guinée. Il faut se méfier de ces comparaisons », avait-il déclaré. Accusant le gouvernement de vouloir compenser les 2.000 milliards GNF dépensés pendant les élections (présidentielles) sur le dos des citoyens.
Le FNDC dément, met en garde et fait des révélations
Fin mai. Le Front national pour la défense de l’ancienne constitution guinéenne (FNDC), dirigé par Abdourahmane Sanoh, mouvement toujours actif même si l’essentiel de ses leaders est soit en prison ou en exil, s’est procuré d’un document gouvernemental confidentiel et authentique selon eux, datant de mai 2021, qui détaille l’architecture de la structuration des prix et l’a partagé avec les médias. Dans ce document, le prix de revient d’un litre d’essence au mois de mai 2021 au port de Conakry est de 5 287 GNF. Selon le FNDC, à ce prix, il faut ajouter les autres charges et marges (hors taxes) qui sont la taxe d’entreposage (51 GNF par litre), le prélèvement communautaire (25 GNF par litre), la marge distributeur (555 GNF par litre), la péréquation transport (550 GNF par litre) et la marge détail (300 GNF par litre). L’ensemble de ces frais hors taxes s’élève à 1.481 GNF par litre. Ainsi, le prix de revient d’un litre d’essence à la pompe, toutes les charges comprises, s’élève à 6.768 GNF, conformément à la structure officielle alors qu’il est vendu à 9.000 GNF soit une marge bénéficiaire d’un peu plus de 2.000 GNF. Il faut dire que la divulgation de ce document a quelque peu mis le gouvernement de Kassory Fofana, le premier ministre, dans une mauvaise posture et a amené certains membres du gouvernement à engager une bataille de communication pour justifier la « nécessité » de rehausser les prix des hydrocarbures à la pompe.
Ousmane Kaba, leader du parti PADES en remet une couche
Alors qu’il est de notoriété publique, ce depuis des décennies que les carburants seraient subventionnés par l’État guinéen, ce qui permettrait selon les pouvoirs publics, de maintenir relativement à un niveau accessible la flexibilité des prix, le leader du parti PADES (Parti des démocrates pour l’espoir), Dr Ousmane Kaba, économiste et de surcroît ancien ministre de l’Économie a battu en brèche cette idée. Déclarant dans certains médias que le gouvernement n’a jamais subventionné les carburants. Ranimant un peu plus les débats. Pour l’ancien ministre de l’Économie sous Lansana Conté, le gouvernement n’a jamais subventionné en tant que tel le prix du carburant. » Ce qui se passe pour simplifier, encore une fois, parce que les derniers chiffres que j’ai, c’est de 2018. Vous avez à peu près 5.000 francs qui servent à importer, vous avez à peu près 1.500, c’est les frais et la rémunération des intermédiaires et le gouvernement 3.000 francs, ça donne les 10.000. Mais il arrive que quand on fait le calcul, on peut avoir 10.500, alors que le prix de vente est de 10.000, le gouvernement dit qu’on a perdu 500, donc au lieu d’avoir 3000, il va avoir 2.500 par litre. On appelle ça les moins-values, ce n’est pas des pertes, c’est des moins-values, et le gouvernement ne subventionne pas. Le gouvernement gagne moins d’argent avec le carburant, c’est un abus de langage où j’ai même rencontré dans les rapports du fonds monétaire, on dit subvention, ce n’est pas vrai. Subventionner quelque chose, c’est prendre votre argent pour aider le consommateur, payer à la place du consommateur, ça n’a jamais été le cas », avait « recadré » le leader du PADES estimant en substance que parler de subvention relevait soit de l’abus de langage, ou d’un mensonge d’État.
Le ministre des hydrocarbures tente de clarifier, place au débat économique !
Pas tout à faut juste, rétorque le ministre des Hydrocarbures. « Quand on parle de moins-value, il faut comprendre ce que ça veut dire ! Quand vous achetez une voiture à 12.000 francs, si vous revendez à 10.000, vous avez une moins-value. C’est une perte ! Donc, quand Dr Ousmane Kaba parle de moins-value fiscale, ce n’est autre chose que ce qu’on a encaissé de moins que prévu. Le jargon diffère d’un domaine à un autre. Le comptable, lui, va dire moyen-value sur session actif immobilisé tandis que le fiscaliste va dire déficit sur les recettes fiscales. On est en train de dire la même chose. Ne tombons pas dans la thématique… On était dans une situation au mois de mars où au calcul réel, on aurait pu vendre — comme les autres pays voisins — à 11.000 ou 12.000 francs guinéens. Mais optionnellement, puisqu’on est dans un pays où il faut prendre aussi la pesanteur sociale, le gouvernement a dit qu’au lieu de [vendre le litre à] 11.000 francs pour des questions sociales et religieuses, acceptons momentanément de vendre [le litre] à 9.000 francs. Donc, sur les recettes, il va y avoir un déficit de 2.000 francs par litre. Le consommateur gardera sur lui les 2.000 francs. C’est ces 2.000 qu’on appelle bonification des dépenses », avait réagi Diakaria Koulibaly, estimant pour sa part que la subvention devait être comprise en terme de manque à gagner fiscaux ou de moins-value fiscale.
Cellou Dalein Diallo, leader de l’opposition guinéenne va dans le sens de la « combine d’État à la subvention »
Jusque-là plutôt timide sur la question, le leader de l’UFDG (Union des forces démocratiques de Guinée), a profité de l’assemblée générale de son parti tenue le 29 mai pour donner sa position sur la question. Le premier opposant d’Alpha Condé a brandi à son tour un document sur la structure des prix des hydrocarbures TTC qui rejoint approximativement les chiffres divulgués par le FNDC. Soit un prélèvement fiscal de 2.366 GNF qui représente 26% du prix du litre à la pompe (6.634 GNF). Il bat en brèche, à son tour, la théorie de la subvention supposée des hydrocarbures par l’État guinéen, longtemps avancée par les gouvernements successifs. Cellou Dalein Diallo estime qu’il est inapproprié de procéder à une hausse du prix des carburants au vu du contexte économique du pays et de la double crise sanitaire et économique. Cela risque de créer, selon lui, des effets négatifs et d’amplifier l’inflation à cause de l’augmentation des prix du transport, première conséquence d’une hausse du prix des carburants. Cellou Dalein Diallo réfute également l’idée du gouvernement, selon laquelle une réexportation vers les pays voisins des hydrocarbures à partir de la Guinée à cause d’un carburant moins cher serait préjudiciable. Estimant plutôt que cela est une source de devises et d’apports fiscaux pour le trésor et que son effet sur les réserves de change et sur la balance des paiements est nul.
Si le leader de l’opposition comme tous les autres leaders sont conscients que le principe de flexibilité des prix qui est adossé au prix du baril sur le marché mondial est légitime et que le gouvernement peut s’en servir, Cellou Dalein Diallo estime pour sa part que le moment est inapproprié et que ce réajustement aurait dû être fait au moment où le prix du baril était au plus bas sur le marché mondial et que les plus-values accumulées en violation du principe de flexibilité peuvent compenser les moins-values actuelles.
Le gouvernement recule finalement
Pressenti pour entrer en vigueur, selon plusieurs sources, le 1er juin 2021, le gouvernement guinéen s’est fendu d’un communiqué le 31 mai pour annoncer que le comité paritaire de fixation des prix des produits pétroliers a décidé de maintenir intact le prix du litre à la pompe à 9.000 GNF. Les spéculations sur une éventuelle hausse du prix du carburant et le blackout du gouvernement sur la situation avaient amené les populations à se ruer dans les stations-service pour s’approvisionner en carburant à temps avant l’annonce officielle supposée de la hausse du prix par les autorités. Les stations-service à leur tour avaient baissé les rideaux, dimanche 30 mai, pour éviter de vendre à perte. Ce qui, du coup, a provoqué une pénurie d’approvisionnement sur laquelle les acteurs du marché noir ont surfé à souhait. Le prix du litre se négociait dimanche entre 11 milles jusqu’à 20 milles GNF dans certaines localités en province.
Le débat acerbe, passionné et édifiant, les pressions de l’opposition et des acteurs sociaux ainsi que le contexte social ont fait capituler le gouvernement sans la moindre grève, pris à son propre piège, refusant de baisser les prix quand ça l’arrangeait pour profiter d’une large assiette fiscale. Jusqu’à quand les prix seront-ils maintenus en l’état ? C’est la grosse interrogation. Ce qui est assez probable, c’est que l’administration Condé tentera une nouvelle fois de profiter du principe de flexibilité à la moindre hausse du prix du baril pour procéder à une hausse comme initialement prévu. Les autorités ont tout de même fait savoir que la concertation avec les acteurs sociaux sera prioritairement de mise sur la question. Une victoire pour tous ceux qui ont joué leur partition.
Cet épisode risque de faire jurisprudence car désormais tout dépendra de la pertinence de la démarche des autorités face à une opinion publique plus que jamais édifiée. Les traditionnels débats et négociations à guichets fermés ou à huis clos entre gouvernement et syndicats (qui ont brillé par leur absence dans ce débat-ci) se sont transportés sur l’espace public avec le concours des médias. De toute évidence, une éventuelle décision future de procéder à une hausse des prix procèdera plus que jamais du contexte socio-économique et politique.