Par Benoit Ngom, Président de l’Académie Diplomatique Africaine.
L’Ethiopie va-t-elle précipiter la guerre de l’eau en décidant unilatéralement de commencer le remplissage du réservoir du grand barrage de la renaissance au mois de Juillet coïncidant avec le début de la saison des pluies ?
La télévision d’État éthiopienne a récemment montré autour du grand barrage de la renaissance en finition un déploiement de chars, de véhicules militaires et des dizaines de soldats. Certains observateurs se demandent après de précédentes déclarations du Premier Ministre éthiopien si le pays ne se prépare pas à la guerre contre ses voisins. Surtout quand cette gesticulation militaire coïncide avec la volonté d’Addis Ababa de commencer à injecter 4,9 milliards de m3 cubes d’eau représentant la première étape du remplissage du bassin dont le contenu global est de 74milliards de m3 d’eau.
Ce début unilatéral de remplissage du réservoir se déroule dans une période de vives tensions avec l’Egypte et le Soudan qui ne partagent pas encore la même approche que l’Ethiopie dans la recherche du modus operandi pour résoudre le problème du partage des eaux du Nil.
Au carrefour des options contradictoires des « pays du Nil »
En vérité le grand barrage de la renaissance est situé au carrefour des options parfois contradictoires du développement de l’Ethiopie, de l’Egypte et du Soudan.
Le partage des eaux d’un même cours d’eau traversant plusieurs pays est susceptible de constituer une source de conflit si les pays frontaliers ne réagissent pas avec lucidité et pragmatisme. A cet égard, le partage des eaux du Nil entre l’Ethiopie, le Soudan et l’Egypte en est une illustration.
Plusieurs années de sécheresse marquées par une paupérisation très nette de la population éthiopienne avaient fini par convaincre les dirigeants de ce pays à chercher des solutions durables pour sortir leur population de la misère en essayant de la placer sur les rampes de l’émergence économique et sociale.
Un ouvrage pour le développement durable de l’Ethiopie
C’est ainsi que le Gouvernement opta pour la réalisation d’un ouvrage qui pouvait avoir une incidence directe sur le développement de l’agriculture et sur l’augmentation substantielle de la production en énergie électrique. « Le Barrage de la renaissance » répondait à ces critères. Ce barrage d’une envergure exceptionnelle, grâce à une plus grande maitrise des eaux du Nil pouvait permettre de fournir suffisamment d’électricité à l’Ethiopie et à ses voisins et drainer assez d’eau pour permettre à ses paysans de développer une agriculture libérée des griffes d’une pluviométrie capricieuse.
Le barrage Grande renaissance réalisée sera le plus imposant de tous les barrages hydroélectriques d’Afrique. Avec une puissance de 6 000 mégawatts d’électricité, soit trois fois la puissance du barrage d’Assouan, ou encore huit fois la production totale d’électricité du Sénégal, sept fois celle de la Guinée.
Le barrage Grande renaissance, encore appelé Barrage du millénaire, va permettre à l’Ethiopie d’exporter de l’électricité chez ses voisins. Les deux Soudan, Djibouti, le Kenya, le Yémen, tous sont intéressés par cette électricité à bas coût et dont l’exportation rapporterait à l’Ethiopie 700 millions d’euros par an. Le barrage coûterait au total 4,5 milliards d’euros. Une somme financée à la fois par l’Etat et les Ethiopiens via un emprunt obligataire lancé par le gouvernement.
Outre l’électricité, le barrage va permettre à l’agriculture irriguée de faire un bond en avant. Aujourd’hui, seuls 3 % des terres agricoles sont irriguées. Dans deux ans, les agriculteurs auront à disposition une partie des milliards de mètres cubes d’eau retenues par le barrage.
La réduction inévitable des volumes d’eau du Nil
Toutefois ce bel ouvrage a un cout supposé, la réduction possible des volumes d’eau du Nil qui baignent l’Egypte et le Soudan. Ces deux pays, pour cette raison s’opposèrent pendant longtemps à sa réalisation, allant jusqu’à exercer des pressions sur les bailleurs de fonds qui voudraient participer à son financement. Le Nil bleu venant d’Ethiopie fournit 85 % des 56 milliards de mètres cubes d’eau dont dispose annuellement l’Egypte.
Il y a quelques années, le président de l’époque Mohamed Morsi et d’autres représentants politiques égyptiens étudiaient sérieusement la possibilité d’empêcher ce projet — ils avaient pour projet de lancer une rumeur sur la préparation de bombardements du barrage ou de « soutenir les rebelles éthiopiens » pour faire pression sur les autorités locales !
Mais là aussi la raison pourrait finir par triompher entre les Responsables de pays frères du Continent africain. Ainsi le partage de l’énergie électrique pourrait trouver rapidement trouvé une solution durable entre les parties.
Par contre l’accord de partage des eaux recèle toujours des difficultés. L’Egypte comme certains experts invitent toujours l’Ethiopie à remplir d’une façon raisonnable le bassin du barrage.
En effet s’’il était rempli trop rapidement, l’approvisionnement en eau de l’Égypte pourrait être fortement réduit durant une certaine période, ce qui affecterait également le système énergétique de ce pays .Car le long du Nil se trouve le plus grand système hydroélectrique d’Égypte, près de la ville d’Assouan.
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Mais ce qui est bon pour l’Éthiopie ne l’est pas pour l’Égypte, située en aval. A cet égard, l’Egypte propose que la durée du remplissage soit 8 ans alors que l’Ethiopie a décidé une période 4ans car le pays qui finance ce projet de 4,8 milliards de dollars, souhaite qu’il soit amorti au plus vite possible.
L’Egypte, bénéficiaire d’un partage inéquitable des eaux
Pour l’Egypte, le Nil fut une « artère vitale » pendant des siècles et reste aujourd’hui sa principale ressource d’approvisionnement en eau. Sachant que la population égyptienne augmente régulièrement. Depuis 1950 elle a décuplé pour atteindre 85 millions d’habitants et, selon les pronostics, le pays comptera entre 120 et 150 millions de personnes d’ici 2050. Le pays a de plus en plus de mal à subvenir à ses besoins en eau. Le Caire craint que le barrage, qui bloquera un affluent du Nil, provoque une pénurie d’eau encore plus importante.
Dans cet esprit, il est compréhensible que l’Egypte, qui a bénéficié de cette répartition inégalitaire de ce liquide précieux qui, depuis des siècles, assuraient son développement économique et social, craigne maintenant les conséquences désastreuses qui découleraient d’une réduction drastique de son approvisionnement en eau. Toutefois, les autorités égyptiennes semblent avoir pris cette menace au sérieux en procédant à des réformes dans le domaine agricole qui tiennent compte de la nécessité de privilégier les cultures les moins consommatrices d’eau.
L’Ethiopie, revendication d’un partage équitable des eaux
En vérité, le partage traditionnel des eaux du Nil, s’il a assuré un certain bien être au peuple Egyptien s’est fait au détriment de millions d’Ethiopiens qui n’ont vécu que dans la misère et la désolation. En effet, l’accord de partage des eaux de 1959 donnait à l’Egypte un droit exclusif d’appréciation sur les œuvres à réaliser le long du Nil qui limitait toute initiative des autres pays concernant la gestion des eaux du fleuve. Pourtant, il convient de relever que le Nil blanc qui contribue plus à l’approvisionnement du grand fleuve africain se trouve en Ethiopie.
L’Ethiopie, qui a tant souffert des effets de la sécheresse, dont la population a été frappée par une famine qui a secoué l’humanité, pays pour le sauvetage duquel le Monde entier a eu à se mobiliser, ne pouvait pas, à un certain moment de son histoire, ne pas chercher à assurer la pérennisation de son développement grâce à l’utilisation optimale de ce don de Dieu qu’est ce grand fleuve dont l’une des sources ,le Nil bleu part de ses terres.
2 commentaires
Situation délicate mais pas impossible à gérer. Ce qui la rendrait surtout difficile c’est l’ambition des bailleurs du projet qui mise sur la rentabilité immédiate. S’il est vrai que l’Éthiopie a souffert durant des décennies, elle doit éviter à l’Égypte de connaître le même sort. Des négociations sans passion s’impose.
L egypte ne doit pas chercher l ethiopie, elle ne doit pas se mêler des affaires interne de l ethiopie.