Par Paul Yuma Morasho.
Nous publions ici une chronique de l’ancien secrétaire général de la Banque Africaine de Développement. Aujourd’hui à la retraite, le congolais Paul Yuma Morasho, consultant senior en développement des stratégies de gestion, estime au regard de sa position privilégiée de témoin des trois crises majeures qui secouèrent l’institution, en 1970, en 1979 et en 1994, qu’il n y a jamais de fumée sans feu… Cette rétrospective éclairante mérite, à notre sens, d’être versée comme pièce dans le dossier brûlant qui paralyse l’institution notée triple A depuis quelques mois.
’Il n’y a pas de fumée sans feu’’ dit l’adage. Mais à distance, la fumée n’indique pas nécessairement la nature et l’intensité du feu. Il convient de fournir des efforts nécessaires, consistant à se rapprocher de l’origine de la fumée pour immanquablement se trouver devant le feu à maîtriser ou à éteindre. Après en avoir déterminé la nature. Depuis quelques mois, une fumée s’évade de la maison de verre, de cet immeuble imposant et à forme unique qui se dresse sur le Plateau d’Abidjan : la Banque Africaine de Développement. Des dépêches et de nombreux documents qui circulent, dénoncent ou commentent des abus de gestion présumés à charge du Président en exercice, chef exécutif et représentant légal de l’institution.
Le Conseil des Gouverneurs de la BAD, organe suprême de l’institution, vient de décider de lancer une enquête indépendante sur ce sujet brûant et complexe. Pour le moment, le Conseil des Gouverneurs se préoccupe naturellement de savoir si les abus dénoncés sont vérifiables et avérés, dans la perspective immédiate de la réélection du Président en place, unique candidat à la prochaine élection présidentielle prévue au courant du mois d’août 2020. Aucun signe perceptible, à mon sens, n’indique que le Conseil des Gouverneurs se soucie déjà d’appréhender l’importance de la nuisance éventuelle de la crise latente sur la qualité et l’efficacité du travail, l’impact développemental, la crédibilité et la compétitivité de l’institution à moyen et à long terme. Il s’agit de savoir en fait, si la fumée observée de près ou de loin, émane d’un feu anthropique, allumé par une personne en détresse qui cherche du secours ou d’un feu naturel ou causé par des courts circuits procéduraux, et qui pourrait menacer la survie intacte de l’institution à moyen terme ou son utilité pérenne à long terme.
Ces trois crises, prises individuellement, se sont hélas dénouées par la démission et la séparation d’avec un Président en exercice et d’un Président en fin de mandat.
Au sujet de la crise qui secoue la BAD ces derniers mois, le Conseil des Gouverneurs fait preuve de sagesse ; il cherche à vérifier objectivement la réalité, la véracité, l’importance de la nuisance des abus dénoncés et encore simplement présumés. L’enquête ordonnée ne manquera pas de s’appuyer sur des critères simples de conformité, de régularité voire d’opportunité. Néanmoins quels que soient les résultats, positifs ou négatifs, de cette enquête, il serait crucial de s’interroger d’ores et déjà sur l’impact potentiel de la crise latente sur l’avenir de l’institution, dont l’existence est dissociable de celle de chacun de tous ceux qui sont à son service, à durée déterminée ou limitée. Cette interrogation devrait hanter le cœur et l’esprit de quiconque pourrait se souvenir des crises institutionnelles majeures, vécues par la BAD en 1970, en 1979 et en 1994. Elles étaient toutes liées à la compréhension ou à la perception des fonctions du Président de la BAD et du mode de leur exercice, solitaire ou collégial. Ces trois crises, prises individuellement, se sont hélas dénouées par la démission et la séparation d’avec un Président en exercice et d’un Président en fin de mandat. A ces époques, les crises institutionnelles de la BAD étaient peu connues du grand public. Pour quatre raisons objectives : (i) le Président du pays hôte protégeait l’institution contre les médias contrôlés par l’Etat, comme «un bébé à lui confié par ses pairs» disait-il ; (ii) les crises étaient gérées par les Gouverneurs Africains entre eux, soucieux de sauvegarder l’outil plutôt que les personnes ; (iii) la gouvernance de la BAD n’était pas encore démocratisée dans le sens qu’aujourd’hui le personnel est réglementairement autorisé à dénoncer tout dysfonctionnement non conforme aux règles qu’il constate et regrette et (iv) les réseaux sociaux n’existaient pas.
Témoin oculaire de cette partie de l’histoire de la BAD, je me souviens que , l’institution a dû chaque fois, colmater les brèches à des prix organisationnel, financier et moral variables, payés en silence. Ces prix ne semblent pas avoir fait l’objet d’une analyse spécifique. Aujourd’hui, les outils disponibles devraient permettre d’atténuer les prix à payer au terme de la crise en cours, à l’instar des approches d’atténuation des effets du changement climatique, en vue d’assurer la pérennité et l’impact développemental significatif de l’institution à moyen et long terme.
Un commentaire
Il ne s’agit pas de mettre le poids des crises qui secouent la Banque Africaine de Développement sur la seule personne du Président, à mon avis, les Gestionnaires ont leur part de resposabilité, et les clients (les bénéficiaires de financement et de don) sont aussi coupables que les acteurs ci-dessus désignés. La médiocrité a laissée ses empreintes partout sur les systèmes et les procédures de gestion, la gouvernance tant au niveau des bénéficiaires, qu’au niveau des circuits opérationnelles de la gestion financiaire de la BAD, est remplacée par une désorganisation sans limite, jusqu’à laisser libre champ a l’utilisation des deniers financiers a une consommation irrégulière et délictuelle. Des accords tacites existent a certains niveaux entre la gestion financière de la BAD quant a cette utilisation, alors que le contôle est quasimment inéxistant. Les cabinets d’audit qui font un travail sérieux et qui révèlent les irrégularités constatées sur les opérations financières et comptables sont punies et des représailles arrivent, tantôt sur les honoraires qu’ils ne perçoivent pas, tantôt, par pression notamment, sur le changement de l’opinion (certification qui aurait dû être prise indépendamment par l’auditeur lui même. Nous avons même trouvé des clôtures de projet faites prématurément, sans avoir consulté la comptabilité et surtout, le rapport de l’auditeur externe.