La 14ème édition de la grande messe annuelle de l’Association africaine du Capital investissement et du Capital risque (AVCA) se tient à Abidjan (Côte d’Ivoire), du 3 au 5 avril 2017. Michel Abrogoua, fondateur de PCM Capital Partners, filiale du groupe financier Phœnix Capital Management, un des pionniers du private equity en Afrique subsaharienne francophone, situe les enjeux de cette rencontre. Interview.
La 14ème Conférence de l’AVCA, dont votre groupe est l’un des sponsors leaders, se tient à Abidjan. Quel est l’enjeu de cet évènement ?
La conférence annuelle de l’AVCA est, d’un point de vue général, un forum pour promouvoir le développement et la mobilisation des investissements privés en Afrique. Comme vous le savez, trouver des capitaux à des fins d’investissement est l’un des problèmes majeurs auxquels sont confrontés les entrepreneurs et agents économiques africains. La croissance dynamique des économies africaines et l’ambition d’émergence économique de la plupart des Etats du continent rend nécessaire la diversification des sources de financement.
Dans un tel contexte, l’enjeu de cette 14ème conférence est l’accroissement des investissements productifs dont les investissements liés au private equity sont pour l’Afrique une source novatrice et prometteuse qu’il convient de capitaliser. Ainsi, durant trois jours, les investisseurs en capital-investissement et en capital-risque présents vont exposer sur les perspectives d’investissement à travers le continent.
Parlant de perspectives d’investissement sur les marchés du continent, quelles sont celles des marchés de la Côte d’Ivoire et de l’Uemoa ?
Globalement les perspectives d’investissement sur le marché ouest africain en général et ivoirien en particulier sont bonnes. En effet, bien que la chute des cours mondiaux de certaines matières premières tend à la soumettre à des risques baissiers importants, la croissance économique globale de l’Union à moyen terme demeure solide à un taux de 6% selon les prévisions du Fonds monétaire international (Fmi).
Par ailleurs, les pays de l’Union se sont tous dotés de Plan de développement à moyen terme évalués à plusieurs dizaines de milliards de dollars d’investissements dont la majeure partie est attendue du secteur privé. Prenons le cas de la Côte d’Ivoire, son Plan National de Développement (PND) 2016-2020 projette un niveau global d’investissement de 50 milliards de dollars (soit environ 1,5 fois son Pib), dont 62% en provenance du secteur privé. C’est dire si, à l’instar de la Côte d’Ivoire, l’ensemble des pays de l’Uemoa, offre de belles perspectives et possibilités d’investissement. Notamment dans des secteurs moteurs tels que les infrastructures économiques et sociales, l’énergie, les TICs, de la finance…
Les secteurs privés de l’Uemoa, par exemple, sont-ils en capacité, objectivement, de satisfaire les investissements attendus d’eux dans le cadre de ces programmes nationaux de développement ?
Il n’y a pas de raison d’en douter. En la matière, le capital investissement est un outil propice à leur disposition. C’est un moyen efficace de renforcer les économies africaines, de créer des emplois, de stimuler la croissance et de dynamiser le développement. Il s’agit juste pour les entreprises privées de la région de consentir à ouvrir leur capital aux investisseurs. Malheureusement sur ce front, il y a encore du travail à faire dans nos pays subsahariens de culture francophone. Une inclinaison assez forte à « la conservation patrimoniale » empêche les entreprises de cette partie du continent de capitaliser les belles capacités d’investissement qu’offrent les fonds de private equity, qui sont de plus en plus nombreux à s’intéresser aujourd’hui à l’Afrique. Elles continuent de privilégier le financement par crédit bancaire et/ou sur fonds propres, par rapport au private equity. Certainement parce qu’il s’agit d’un moyen de financement qu’elles ne connaissent pas toujours bien, du reste. Mais aussi encore plus parce qu’il implique pour elles quelques ajustements en matière de gouvernance, de stratégie, de pratiques managériales… qu’elles ne sont pas toujours disposées à faire.
Ainsi, donc l’engouement des fonds de capital investissement à investir ne rencontrerait pas un réel enthousiasme du secteur privé à capitaliser cette opportunité de financement dans l’espace francophone africain ?
Les données de l’AVCA sur les opérations de private equity entre 2010 et le premier semestre 2016, publiées début février dernier, sont édifiantes en la matière. Elles indiquent que sur la période étudiée, 823 investissements ont été réalisés sur le continent et un peu moins du tiers de ces transactions, soit 249, représentant une enveloppe financière de 5,2 milliards de dollars, l’ont été en Afrique de l’Ouest. La Côte d’Ivoire, économie la plus dynamique de la région avec une croissance forte et solide, a été le cadre de seulement 20 opérations dont l’enveloppe globale n’excède pas les 105 millions de dollars. Le Sénégal, deuxième économie de l’Uemoa, n’a enregistré que 10 deals soit autant que le Liberia et un peu moins que la Sierra Leone. Le Nigéria, bien que connaissant depuis deux ans une récession économique consécutive à la chute drastique des cours du pétrole, a été le berceau de 107 opérations enregistrées en Afrique de l’Ouest sur la période pour un investissement financier global de 3,33 milliards de dollars ; quand le Ghana, lui, a accueilli 1,5 milliard de dollars injecté dans 62 opérations.
Ces indicateurs de l’AVCA traduisent une réalité, qu’on ne peut objectivement occulter. Cette réalité étant qu’en matière de private equity, le continent présente trois panoramas différents : une Afrique du Nord active pour capter ce type d’investissement, une Afrique subsaharienne anglophone ouverte aux capitaux liés au private equity au point d’en être la principale destination sur le continent et une Afrique subsaharienne francophone un peu « timorée » à l’égard du capital investissement. Que cette 14ème conférence annuelle de l’AVCA se tienne dans un pays leader économique sous régional francophone, comme la Côte d’Ivoire, après dix éditions dans des pays non francophones, devra jeter les bases d’une amélioration de la maturité du marché du private equity dans les espaces francophones du continent.
Pionnier du capital investissement dans les pays francophones d’Afrique subsaharienne, pensez-vous que les fonds de private equity ont évolué dans leur approche du risque ?
La structuration des fonds de private equity a beaucoup évolué au cours des vingt dernières années. La majorité des fonds est aujourd’hui apportée par des investisseurs autres que les institutions financières de développement. Cette transformation notable dans la qualité des investisseurs s’est accompagnée d’une évolution des interventions de ces derniers qui tendent à renforcer les bases de l’entreprise dans laquelle ils ont investi, lui apporter certes du capital, mais aussi le faire bénéficier d’une expertise et de certains savoir-faire pour bien croître et mieux s’étendre.
En ce qui nous concerne, le West Africa Emerging Market Growth (Waemgf) I, le fonds de capital investissement du groupe Phœnix Capital Management (PCM), géré par sa filiale PCM Capital Partners, qui est l’un des rares fonds africains financé et géré par les africains, a, à cet effet, investi plus de 30 millions de dollars sur les cinq dernières années pour faire émerger ou accompagner des champions régionaux dans les secteurs de l’énergie, de l’agroalimentaire, la finance, de l’hôtellerie et tourisme, les TIC et la Pharmacie en Afrique de l’Ouest. Le deuxième fonds du groupe, Phoenix Africa Fund, dont le bouclage est en cours, s’inscrit dans cette même stratégie.
Le capital-investissement, est un investissement direct dans les entreprises africaines. En cela c’est une solution de financement non génératrice d’endettement qui est adaptée pour les entreprises désireuses d’entreprendre leur expansion et d’élever le niveau de leur gouvernance. Tout l’enjeu pour nos pays est aujourd’hui de savoir en tirer parti.
Propos recueillis par Albert Savana