«Les marchés financiers de la CEDEAO évoluent vers une plateforme intégrée »
L’horizon est dégagé pour la Bourse régionale des valeurs mobilières de l’UEMOA (BRVM) qui a franchi la barre historique des 6 000 milliards de FCFA de capitalisation boursière le 29 janvier 2014. Pour le reste de l’année, l’agenda sera partagé entre les nouvelles introductions, la mise en place d’un compartiment dédié aux PME et la réalisation de la première étape de la plateforme financière intégrée de la CEDEAO. Sur ces différents enjeux, Edoh Kossi Amenounvé répond à Financial Afrik. Exclusif.
Qu’est-ce qui explique le trend positif à la Bourse régionale des valeurs mobilières de l’UEMOA depuis la fin de l’année 2012 ?
C’est en raison d’abord de la reprise de la croissance dans les pays de notre Union, notamment en Côte d’Ivoire, qui se traduit par une meilleure santé financière des sociétés cotées. Les domaines de la grande distribution, de l’eau, de l’électricité, du BTP connaissent une hausse importante dans leurs indices sectoriels. Les investisseurs, nationaux et étrangers, affichent un certain optimisme sur la rentabilité future de ces entreprises. Hors Côte d’Ivoire, les résultats des sociétés cotées comme la Sonatel (Sénégal) ou l’Onatel (Burkina Faso), la BOA Burkina confirment les attentes des investisseurs en termes de performances, de rendement et de rentabilité. Bref, les investisseurs sont rassurés et confiants dans les performances de nos pays. Il est tout à fait normal que cela se reflète dans les indices et dans la capitalisation boursière.
Mais notons-le bien, ce phénomène haussier n’est pas isolé. C’est une tendance générale en Afrique. Au 31 décembre 2013, la BRVM était classée en 6e position des Bourses africaines, sur le plan de l’évolution des indices, derrière notamment le Malawi (plus de 100%), le Ghana (79%) et le Nigeria (47%). Tout cela montre que la croissance en Afrique et les perspectives de développement dans les pays subsahariens sont positivement appréciés par les investisseurs. C’est une bonne évolution qui ne devrait pas trop nous surprendre. Les Bourses africaines reflètent la santé des économies concernées. En début d’année, on a aussi connu une croissance qui s’est renforcée à la BRVM. Nous avons franchi la barre des 6000 milliards de FCFA le 29 janvier.
Pourquoi cette hausse importante des indices ne se traduit pas, sur un autre plan, par de nouvelles introductions en Bourse ? Y-a-t-il une prévision pour 2014 ?
Effectivement, une Bourse c’est à la fois les volumes de transactions et la progression des cours des sociétés cotées. Mais aussi, les nouvelles introductions qui permettent d’alimenter et de renouveler plus ou moins la cote d’une Bourse. Sur ce point, la BRVM a pris un peu de retard sur la moyenne africaine. Depuis 2010, nous n’avons pas connu de nouvelles introductions. Mais nous y travaillons à travers une stratégie élaborée en plusieurs phases. Compte tenu de la longueur du processus d’introduction, on avait retenu en 2013 que nous allions d’abord miser sur le potentiel existant des entreprises déjà cotées, à travers des actions de communication, la mise en place de la cotation en continu, l’organisation de l’ASEA (Conférence annuelle des Bourses africaines) etc.
Dans le même temps, nous étions en train de préparer le pipeline pour les nouvelles introductions. Hors privatisations, nous espérons attirer entre 3 et 5 entreprises à la cote d’ici la fin d’année. Nous avons au moins trois dossiers très avancés avec des décisions des organes délibérants. Si l’on y ajoute le programme des privatisations (la Côte d’Ivoire annonce une liste assez conséquente dans ce sens), on va aller bien au-delà de ces prévisions.
Quid des PME-PMI ? Y-a-t-il une stratégie pour les emmener à la cote ?
C’est une question importante à partir du moment où les PME/PMI constituent la frange la plus importante du tissu économique de nos pays. Il est tout à fait normal qu’on donne à ces entreprises des opportunités pour accéder à toutes sources de financement. Nos Etats ont jusque-là fait de gros efforts pour prendre en charge le financement des PME/PMI à travers des fonds de garantie, des fonds de développement des PME, des réformes juridiques et fiscales pour accompagner la création des PME.
Evidemment, nous, en tant que marché financier, nous nous inscrivons dans cette démarche pour une plus grande accessibilité des petites et moyennes entreprises aux ressources. Ce qui nous paraissait important, au-delà de la mise en place d’un compartiment dédié aux PME, c’est de mettre en place un instrument performant. Dans ce cadre, nous avons entrepris un benchmarking au niveau international, en étudiant les expériences de la France, de la Grande Bretagne, du Ghana, du Maroc, de l’Afrique du Sud etc. Ce tour d’horizon nous a permis de prendre du recul par rapport au sujet et d’arriver à construire un compartiment répondant aux besoins de notre environnement avec des mesures d’accompagnement adaptées. Le projet est avancé notamment l’élaboration des caractéristiques de ce troisième compartiment.
Quels sont les critères d’admission des PME à ce futur compartiment dédié ?
L’objectif et l’idée de base, c’est de mettre en place des conditions d’admission plus souples que pour les compartiments classiques. Ces conditions ont trait à la fraction minimale du compartiment à ouvrir au public, du nombre d’années de comptes certifiés, à la capitalisation minimale etc.
En termes d’incitations, la fiscalité et la tarification sont généralement mises en avant pour attirer les entreprises en Bourse dans la plupart des marchés que nous avons étudiés. Nous avons cependant remarqué que si la PME s’introduit pour bénéficier uniquement de la période de grâce fiscale, la Bourse devient très vite pour elle une contrainte au-delà de cette période. La PME/PMI doit donc avoir un projet à long terme. Nous ne voulons pas seulement proposer la carotte fiscale ou réduire la tarification. Nous pensons effectivement qu’il faut baisser les coûts pour que cela ne soit pas un facteur dissuasif. Un consensus de place s’est dégagé pour une fiscalité attractive. Mais, bien qu’importants, ces deux incitations (fiscalité et tarification) ne sont pas suffisantes.
En plus, nous pensons à la mise en place d’un fonds de soutien à l’introduction en Bourse des PME/PMI à l’exemple du Ghana. L’idée, c’est de soutenir les PME qui n’ont pas les moyens d’engager tous les coûts d’introduction liés à une revue juridique et fiscale, à la certification des Comptes, à l’évaluation et aux différents conseils. Nous avons pensé à ce fonds qui peut prêter de l’argent aux PME engagés dans le processus de cotation moyennant un remboursement étalé dans le temps. La Bourse du Ghana a mis en place un tel mécanisme qui nous paraît innovant.
Au-delà de ce mécanisme, nous voulons mettre en place un programme d’accompagnement sur le moyen terme (3 à 5 ans). Car, il n’y a pas un vivier de PME prêtes à l’introduction. A travers ce programme, nous allons accompagner les PME/PMI potentiellement « cotables » à moyen terme sur différents aspects comme l’élaboration des états financiers de qualité, l’encadrement en matière de gouvernance. On peut aussi accompagner les PME/PMI sur les volets marketing, prospection de nouveaux marchés etc. Nous voudrions également faire intervenir dans ce processus des fonds de Private Equity qui peuvent rentrer à une phase donnée de la vie de ces PME-là et sortir par la Bourse.
Ce compartiment PME verra-t-il jour en 2014 ?
Nous comptons lancer ce compartiment cette année et attirer déjà quelques entreprises. Nous avons pris des contacts dans les pays de la sous-région pour recueillir les attentes des PME et en même temps identifier quelques-unes susceptibles de venir immédiatement à la Bourse. Ce compartiment devrait, au-delà des PME, attirer les entreprises à fort potentiel de croissance, disposant d’une taille moyenne mais n’ayant pas accès aux autres guichets de financement. Idem pour les entreprises à la recherche du capital de démarrage. Par exemple, une banque en création voulant libérer une partie de son capital dans le public.
La CEDEAO évolue vers une convergence qui devra aboutir à la création d’une monnaie unique en 2020. Comment ces orientations se traduisent-elles entre la BRVM et les autres places financières concernées ?
Nous sommes dans un espace économique qui parachève son intégration. Cela peut emmener à avoir une seule plateforme de cotation pour certaines valeurs à vocation régionale. Cela évitera qu’une société voulant lever de l’argent dans la région soit obligée d’aller demander l’admission dans quatre marchés. C’est une plateforme intégrée qui n’est pas synonyme de disparition des Bourses sous-régionales ou nationales. Cette plateforme CEDEAO de cotation réunissant la BRVM, les places de Lagos, d’Accra et de la Sierra Léone attirera les entreprises d’une certaine taille, présentes dans plusieurs pays de la CEDEAO. Les PME et les entreprises locales pourront toujours lever de l’argent sur les marchés locaux et nationaux.
Cette plateforme pourra-t-elle surmonter les contraintes techniques, réglementaires et les différences culturelles entre ces différents pays ?
En matière de Bourse, la chose la plus importante est le respect des standards internationaux. On ne bricole pas. La BRVM et son autorité de régulation, le CREPMF, sont membres de l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs Mobilières au même titre que la France, les USA ou le Nigeria. Nous avons passé les tests de conformité règlementaire de l’OICV avec succès, il y a quelques années. Donc, nous ne sommes pas des Bourses de seconde zone.
Toutes les Bourses de la CEDEAO sont aux normes internationales. Qu’il y ait des divergences de droit commun entre les anglo-saxons et nous, est une chose aisément surmontable dans notre volonté commune de respecter les standards internationaux. Nous sommes tous d’accord sur ces standards. On a expérimenté cette dynamique de convergence lors de la cotation d’Ecobank en simultané dans trois pays en septembre 2006. A l’époque, nous avions estimé que ce sont les standards internationaux qui primeraient en cas de divergences des règlementations locales. Sur le plan technologique, les standards internationaux en termes de dématérialisation du Dépositaire Central, des délais de dénouement des transactions, des logiciels de cotation sont connus. Etant dans un espace intégré qui veut parvenir à une monnaie unique à l’horizon 2020, nous sommes engagés dans ce mouvement. Nous aspirons à un marché plus vaste et plus ouvert à cet horizon.
Y-a-t-il un échéancier dans cette intégration des marchés financiers de la CEDEAO ?
Nous avons effectivement identifié trois phases dans ce processus d’intégration. Il y a la première phase que nous appelons « l’accès sponsorisé », qui permet à tout courtier de l’espace CEDEAO de pouvoir recevoir un ordre de n’importe quel client et de pouvoir l’exécuter sur n’importe laquelle des Bourses avec l’aide d’un courtier local. Nous travaillons à ce que cet accès soit approuvé par les régulateurs et tous les partenaires.
La deuxième phase sera celle qui va permettre d’avoir une catégorie de courtiers répondant aux normes CEDEAO et de devenir une « SGI CEDEAO », avec une licence permettant d’intervenir à la fois dans l’UEMOA, au Ghana, au Nigeria et en Sierra Leone. Ne seront autorisés à intervenir sur cette plateforme intégrée que ces courtiers disposant d’une licence communautaire. Cette phase sera accompagnée de la possibilité de la reconnaissance mutuelle du visa, de manière à ce que les investisseurs des autres places financières puissent acheter des titres émis à la BRVM et vice-versa.
La dernière phase est la plateforme unique où certaines sociétés peuvent demander à avoir l’approbation pour se faire coter sur cette plateforme avec des critères à mettre en place. En principe, l’accès sponsorisé aura lieu en 2014. A la mi-février, nous avons tenu un atelier de sensibilisation avec les acteurs nigérians. L’atelier de sensibilisation UEMOA aura lieu le 31 mars à Abidjan. Cette rencontre sera suivie de la réunion du West African Capital Market Intégration Council (WACMIC) à Abidjan le 1er et 2 avril pour faire un point sur l’état d’avancement du projet. L’idéal serait que la plateforme intégrée intervienne en même temps que l’avènement de la monnaie unique, l’ECO, en 2020. Nous sommes dans la bonne direction.
Lors des Assemblées de la FANAF (Fédération des Compagnies d’assurances de droit national africaines) où la BRVM était l’un des grands invités, il a été beaucoup question du placement des compagnies d’assurance. Certaines souhaitent pouvoir placer une partie de leurs excédents dans d’autres marchés ? Quel est votre point de vue ?
Je suis à ma quatrième participation à la FANAF. Déjà en 2007, aux états généraux de l’assurance-vie, il avait été beaucoup question de la délocalisation du placement des provisions des compagnies d’assurance ; A la fin de ces travaux, il avait été décidé de la création d’un comité FANAF-CIMA –Conseil Régional avec les directions des assurances des différents pays pour réfléchir à la réforme du catalogue de placement des compagnies d’assurances. Il y a eu des évolutions puisqu’en 2010 particulièrement sur le fait que la CIMA a introduit dans ce catalogue la souscription aux OPCVM. C’est une avancée significative. En 2007-2008, les compagnies d’assurances plaçaient 12% de leurs provisions dans les actions. En 2012, ce taux est passé à 17%. Quand on agrège actions et obligations, nous sommes autour de 30% des ressources des compagnies d’assurances investies sur le marché financier. Les 70% restent dans les liquidités bancaires et l’immobilier. Dans les pays développés, c’est l’inverse. La rentabilité observée dans les valeurs mobilières est beaucoup plus importantes que dans les liquidités d’où l’importance pour les compagnies d’assurances de pouvoir placer leurs ressources dans les valeurs mobilières. Evidemment, la sécurité, la liquidité et la rentabilité restant la règle d’or des compagnies d’assurances, il faudrait leur proposer des opportunités répondant à cette trilogie. La BRVM satisfait pleinement ces trois exigences. Auparavant, nos emprunts étaient totalement garantis. Aujourd’hui, nous avons évolué vers la notation et nous ne sont acceptés que les emprunts qui ont une note au-delà de « l’investment grade ».
Sur la rentabilité, la BRVM est largement supérieure aux DAT des banques. En termes de liquidités, nous avons fait des efforts pour passer en cotation en continu, pour avoir des contrats d’animation de marché sur certaines valeurs, des OPCVM qui peuvent céder au jour le jour à une valeur liquidative. Nous travaillons actuellement sur l’augmentation du flottant des sociétés cotées de manière à accroitre la disponibilité des titres. Nous avons aussi procédé au fractionnement de certaines valeurs. Il y a certainement des choses à faire pour renforcer ces différentes mesures pour attirer davantage les compagnies d’assurances vers le marché.
Et concernant les compagnies qui souhaitent placer leurs provisions en dehors des marchés financiers africains ?
Sur la zone CIMA, selon les chiffres disponibles il y a plus 1.300 milliards de FCFA de provisions de compagnies d’assurances. Si l’on considère que 10% doivent aller dans l’achat des actions, soit 130 milliards à mettre dans les quatre Bourses. Objectivement, on peut dire que ces ressources peuvent être absorbées localement. De plus la rentabilité est excellente au regard des performances récentes de la Bourse du Rwanda et de la BRVM particulièrement. Nous allons augmenter notre capacité d’absorption à travers l’admission de nouvelles entreprises et entre autres l’élargissement du flottant. A ce propos, le directeur général de la BRVM, Edoh Koffi Amenouvé, déclarait à Financial Afrik en marge des dernières assemblées de la Fédération africaine des compagnies d’assurance : « Sur la zone CIMA, selon les chiffres disponibles il y a plus 1.300 milliards de FCFA de provisions de compagnies d’assurances. Si l’on considère que 10% doivent aller dans l’achat des actions, soit 130 milliards à mettre dans les quatre Bourses. Objectivement, on peut dire que ces ressources peuvent être absorbées localement. De plus la rentabilité est excellente au regard des performances récentes de la Bourse du Rwanda et de la BRVM particulièrement ».
Cet article est paru dans Financial Afrik numéro 5, en kiosque en ce moment